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    L'Actu vue par Remaides : Maladies chroniques et travail : l’égalité en jeu !

    • Actualité
    • 17.08.2024

     

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    © Studio Capuche

    Par Jean-François Laforgerie

    Maladies chroniques et travail : l'égalité en jeu !

    En décembre 2023, la Défenseure des droits (DDD) et l’Organisation internationale du travail (OIT) publiaient leur 16e baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi. Cette enquête dressait un panorama des discriminations dans l’emploi, secteurs privé et public, concernant notamment les personnes vivant avec une maladie chronique. Remaides N°127 (printemps 2024) en a rendu compte. Qualification des faits, recours possibles, obligations légales des employeurs-ses et rôle de la médecine du travail. Remaides fait le point dans cette seconde partie.

    Pourquoi s’intéresser aux maladies chroniques et à leurs impact et prise en compte dans le domaine de l’emploi ? Sans doute parce qu’elles prennent aujourd’hui une plus grande place. De fait, elles sont en constante augmentation. La part de la population active atteinte d’une maladie chronique était estimée en 2019 à 15 %, elle devrait atteindre 25 % dès 2025, selon l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact, un organisme officiel français). Les maladies chroniques sont « aujourd’hui devenues un enjeu majeur de santé au travail », admettent la DDD et l’OIT dans leur 16e baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi.

    Travail : le rôle clé des services de santé
    Un constat : seulement la moitié des personnes malades chroniques « connaissent plutôt bien ou très bien les bons gestes et les mesures de prévention au travail » ; idem pour « les informations liées à la santé au travail » et les risques auxquels les personnes sont exposées dans leur emploi. Cette méconnaissance se traduit dans les chiffres tout comme une forme de défiance à l’égard des services de santé au travail. Ainsi, le 16e baromètre indique qu’un quart environ des salariés-es n’ont pas bénéficié de visite médicale depuis plus de cinq ans dans leur entreprise ou organisation et « plus de la moitié des personnes actives considèrent que leur médecin du travail connaît mal leur état de santé ». Une bonne raison à cela : près de la moitié des personnes actives vivant avec une maladie chronique hésitent à livrer des informations au-à la médecin du travail ». Cette hésitation semble souvent liée à la crainte que le-la médecin du travail transmette cette information à l’employeur-se ; d’autant que dans certains cas, la médecine du travail dépend directement de l’employeur-se (médecin salarié-e de l’entreprise).
    C’est pourtant le-la médecin du travail qui fait des préconisations sur l’aménagement ou l’adaptation du poste de travail. C’est aussi lui-elle qui délivre un certificat concernant l’incapacité, l’invalidité ou l’inaptitude (voir encart en page X) concernant une personne salariée.
    Autre élément, si 78 % des « salariés malades approuvent les recommandations formulées par le-la médecin lors des visites pré-reprise et de reprise qui ont suivi un arrêt de travail de plus de 60 jours », dans « près d’un tiers des cas, l’employeur n’a pas suivi les préconisations [adaptation du poste, modifications d’horaires, mise en place du télétravail, etc. ndlr] de la médecine du travail pour les salariés atteints d’une maladie chronique ». Une visite de pré-reprise (réalisée par la médecine du travail) est une visite médicale qui peut être organisée dans le but d’accompagner, de préparer et d’anticiper, pendant l’arrêt, le retour au travail du-de la salarié-e dans les meilleures conditions. Elle peut être demandée par la personne concernée elle-même, le-la médecin du travail, le-la médecin traitant-e, un-e médecin conseil de la Sécurité sociale. Elle n’est pas obligatoire contrairement à la visite de reprise qui, elle, l’est. Tout-e salarié-e en arrêt de travail de plus de 30 jours peut demander une visite de pré-reprise. C’est un examen réalisé par le-la médecin du travail soit le jour de la reprise effective au poste de travail, soit dans un délai de huit jours suivant le retour au travail. C’est l’employeur-se qui sollicite les services de prévention et santé au travail, dès qu’il-elle connaît la date de fin de l’arrêt de travail, pour fixer la date de la visite de reprise. Elle a lieu après un congé de maternité, après une absence pour cause de maladie professionnelle, après une absence d’au moins 30 jours pour cause d’accident du travail, après une absence d’au moins 60 jours pour cause de maladie ou d’accident non professionnel.

    Santé au boulot : dur labeur !
    Là encore, ce sont les chiffres qui marquent. Ainsi, 19 % des salariés-es atteints-es d’une maladie chronique bénéficient d’un aménagement de leur poste et 29 % n’en bénéficient pas, alors qu’elles en auraient besoin, indique le Baromètre. Parmi les personnes malades n’ayant pas bénéficié d’aménagement malgré le besoin identifié, plus d’un quart déclarent que l’employeur-se a refusé de les mettre en place, alors qu’il-elle était en mesure de le faire, en préférant dans certains cas reclasser la personne salariée ou réorganiser le service. Ce traitement a bien évidemment un impact sur les relations au travail. Autre élément, 40 % des personnes malades n’ont aucun soutien de la part de l’employeur-se ou du supérieur-e hiérarchique, même lorsqu’ils-elles ont connaissance de l’état de santé du-de la salarié-e. Conséquence de ce climat, « par rapport au reste de la population active, les personnes atteintes de maladie chronique déclarent significativement moins fréquemment avoir de bonnes relations de travail avec leurs collègues ou bénéficier de possibilités d’entraide et de coopération. Autrement dit, elles ne peuvent pas trop compter sur leurs employeurs-es, leurs supérieurs-es, leurs collègues ; dur labeur ! Et comme si le tableau n’était pas déjà suffisamment sinistre : 15 % des personnes actives rapportent qu’elles se « sentiraient mal à l’aise si l’un ou l’une de leurs collègues avait un cancer et 14 % s’il ou elle était porteur ou porteuse du VIH ».

    Le rôle de la médecine du travail
    Si vous êtes contraint-e d’interrompre temporairement votre activité professionnelle, parlez de votre profession (type d’activité, usage éventuel des transports, etc.) à votre médecin traitant. Celui ou celle-ci estimera peut-être que le retour progressif en entreprise est nécessaire. Il vous prescrira alors une reprise à temps partiel pour motif thérapeutique dit TPT (le temps partiel thérapeutique n'a pas de durée maximale définie par la loi, mais l'indemnité journalière qui compense la perte de revenu est limitée dans le temps). Si vous retournez en entreprise après plus de 30 jours d’absence, une visite de reprise auprès du-de la médecin du travail est obligatoire dans un délai de huit jours. Ce rendez-vous permet d'évaluer votre aptitude au poste que vous occupez et de proposer, si besoin, des mesures adaptées, rappelle le site Ameli (Assurance maladie).
    Mon employeur-se doit-il-elle être informé-e si je suis séropositif-ve ?
    « Non, vous n’avez aucune obligation de l’en informer. Même la médecine du travail n’a pas à être au courant. Le VIH n’a pas à être dépisté pour une visite médicale d’embauche, même pour des emplois exposant des salariés-es à des risques particuliers, comme des professionnels de santé, par exemple », indiquait récemment maître Marion Jorand, avocate spécialisée en droit de la sécurité sociale et dans les questions de santé au travail dans l’émission C’est mon affaire sur France Info, en mai 2023. Pour autant, il peut y avoir un intérêt à le mentionner à la médecine du travail. En effet, la reconnaissance de la « qualité de travailleur handicapé » (RQTH) qui peut être demandée (sous certaines conditions) lorsqu’on vit avec le VIH, donne des avantages (aménagement des horaires de travail, adaptation du poste de travail, accès renforcé à des dispositifs d'insertion professionnelle, obligation des employeurs-ses dans les secteurs privé et public, retraite anticipée, etc.). Elle est faite par la personne concernée auprès de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées). La RQTH dure d’un à dix ans ; elle est renouvelable.
    Par ailleurs, la médecine du travail a, elle aussi, la stricte obligation de respecter le secret médical. Les textes sont clairs : l'employeur-se ne peut pas exiger de vous des informations sur votre état de santé ; un-e médecin du travail ne doit pas communiquer à l'employeur-se les informations recueillies au cours d'une visite médicale ; votre dossier médical est également couvert par le secret médical et ne doit pas être communiqué à l'employeur-se.

    Travail et maladies chroniques : un enjeu d’égalité
    Un des intérêts du 16e baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi réalisé par la DDD et l’OIT est de montrer qu’il existe un défi majeur de la santé au travail, notamment la « prise en considération des maladies chroniques » comme de la situation  de handicap d’ailleurs. D’autant que certaines maladies chroniques peuvent être occasionnées par l’activité professionnelle. Les maladies chroniques sont en très forte augmentation et concernent de nombreux-ses salariés-es. Elles sont sujettes à des discriminations (embauche, carrières, maintien dans l’emploi, relations avec les employeurs-es, les collègues, etc.). Le rapport réaffirme que « l’appréciation des conditions d’aptitude doit se faire de manière individuelle, au regard de la capacité réelle à exercer les fonctions, et en prenant en considération les possibilités de traitement et de compensation de la pathologie et/ou du handicap ». Or, nous sommes manifestement loin du compte aujourd’hui. Pour la Défenseure des droits, un des enjeux est de renforcer « les moyens dédiés aux acteurs clés de la prévention de la santé au travail et de la lutte contre les discriminations, afin notamment de consolider le droit au recours des salariés ».  En la matière, la médecine du travail a un « rôle capital » à jouer, tout comme l’inspection du travail, vers laquelle les salariés-es se tournent souvent en cas de discrimination liée à l’état de santé ou au handicap. Mais, note la DDD, médecine et inspection du travail « n’ont toujours pas les moyens suffisants pour mener à bien leurs missions ». Et la DDD de conclure : « L’inclusion des personnes malades ou en situation de handicap dans le milieu professionnel suppose aussi de privilégier, lorsque cela est possible, une gestion collective et concrète des difficultés, respectueuse du choix personnel du salarié de révéler ou non sa maladie, et à laquelle les représentants du personnel doivent être associés » et de recommander aux pouvoirs publics de prendre les mesures appropriées pour « sortir de la précarité les personnes malades ou handicapées qui, en raison de leur maladie ou handicap, ne peuvent subvenir à leurs besoins, en leur garantissant un revenu d’existence adéquat pour leur permettre de participer pleinement et effectivement à la société sur la base de l’égalité avec les autres ».

     

    La maladie chronique reconnue comme un handicap

    Depuis la loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la maladie chronique est reconnue en France comme un handicap. Cela signifie que les personnes atteintes d’une maladie chronique peuvent bénéficier de la protection juridique offerte aux personnes en situation de handicap contre toutes formes de discrimination. « Or, seule une minorité de personnes font les démarches pour obtenir une reconnaissance administrative de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) », souligne le baromètre.

    Incapacité, invalidité et inaptitude : quelles différences?

    Le document de la Défenseure des droits et de l’OIT propose trois définitions claires.
    Incapacité
    Elle désigne l’impossibilité pour la personne salariée de travailler ou d’effectuer certaines tâches de son emploi à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. Elle est prescrite par un-e médecin et validée par le-la médecin-conseil de l’Assurance maladie. Elle peut être temporaire ou permanente.
    Invalidité
    Elle est déclarée lorsque la capacité de travail de la personne salariée est réduite et n’est pas d’origine professionnelle. Elle est constatée par le-la médecin-conseil de la caisse d’Assurance maladie. L’assuré-e a alors droit à une pension d’invalidité lorsque la perte de sa capacité de travail ou de gain est estimée à au moins deux tiers. Le placement en invalidité, y compris en invalidité de 2e catégorie (impossibilité d’exercer une activité professionnelle), par la Sécurité sociale ne vaut pas automatiquement inaptitude au poste de travail. Autrement dit, même dans ce cas, il appartient au-à la seul-e médecin du travail de reconnaître la personne salariée  invalide comme inapte à son poste.
    Inaptitude
    Elle est déclarée par le-la médecin du travail uniquement, lorsqu’aucune mesure d’aménagement ou d’adaptation du poste de travail actuel du-de la salarié n’est possible. Dans ce cas, l’employeur-se est contraint-e de lui proposer le reclassement sur un autre poste au sein de l’entreprise. Si le reclassement est impossible ou si la personne salariée refuse, l’employeur-se peut engager une procédure de licenciement pour inaptitude.