L’Actu vue par Remaides : « Kélia : "Ce poids du secret me pèse énormément" »
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- 24.03.2025
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Par Fred Lebreton
Spécial Sérophobie : le témoignage de Kélia : "Ce poids du secret me pèse énormément"
Le 7 novembre 2024, Actions Traitement organisait son colloque annuel intitulé : « VIH : une épidémie invisibilisée, des vies invisibles ». L’occasion pour l’association de faire un état des lieux des enjeux autour de la visibilité des personnes vivant avec le VIH. À cette occasion, Kélia (prénom modifiée), une femme séropositive a donné, pour la toute première fois, un témoignage puissant et émouvant sur les raisons qui l’empêchent d’être visible. En voici des extraits retranscrits par Remaides pour son numéro spécial sur la sérophobie, avec son autorisation.
« Bonjour à tous. Désolée, j'ai un peu le trac parce que c'est la toute première fois que je prends la parole en public au sujet de mon statut sérologique. Je m’appelle Kélia. J'ai 34 ans. J'ai découvert ma séropositivité en septembre 2023 lors d’un bilan de santé. J’étais sûre que mon test VIH serait négatif car avant de venir en France, je travaillais dans la santé en Côte d’Ivoire. À cette époque, j’étais aide-soignante et je me faisais dépister régulièrement pour le VIH devant tout le monde pour montrer que je n'avais rien. Quand on m'a annoncé que j’étais séropositive, franchement, c'est comme si le monde me tombait sur la tête ! Je me suis dit : "C'est pas possible. C'est pas possible !". Je n’arrivais pas à le croire en sortant du labo et jusqu’à présent, c'est encore dur pour moi de pouvoir l'accepter.
Je ne peux pas l'annoncer à qui que ce soit, à part aux personnes qui me suivent dans les associations Actions Traitements, Les Petits Bonheurs et Act Up-Paris. Je suis arrivée en France en 2022. Je n'avais pas de repère, ni nulle part où aller. C'est grâce à ces associations, qu’aujourd'hui j'ai un toit où dormir. Mais je ne peux pas parler du VIH à ma famille, même pas à ma mère. C'est impossible pour moi. Je suis bloquée dans mes relations amoureuses. On m’a annoncé que ma charge virale était indétectable, trois mois après ma mise sous traitement, mais j’ai toujours cette peur de contaminer même si, je sais que c'est impossible. Quand je vois du sang quelque part, instinctivement je m'éloigne.
Ce poids du secret me pèse énormément. Dans ma famille au pays, j’ai eu deux tantes séropositives et j'ai vu comment elles ont été traitées et mises à l’écart par les autres. La première s'est suicidée parce qu'elle n'a pas supporté le rejet. La deuxième a arrêté de prendre ses médicaments. Le fait d'avoir grandi dans ce contexte familial me décourage à en parler ouvertement. Chez nous, les gens ne font pas la différence entre VIH et sida. Ma famille est musulmane pratiquante et, pour elle, les femmes séropositives sont forcément des « prostituées ». On va me dire que je l’ai "bien cherché", que "c’est le karma" ou encore que je suis "la fille du diable". Ça, je ne pourrai pas le supporter. En plus, j’ai un fils de dix ans et je ne veux pas qu’il subisse ce rejet parce qu'ils vont lui rappeler à chaque instant, à chaque minute, que sa mère "a le sida". Je ne pense pas que mon fils soit prêt pour supporter cela (…).
Pour mon traitement VIH, quand je suis chez ma sœur, je suis obligée de mettre en place toute une stratégie pour le prendre en cachette. C’est stressant et c’est épuisant. Je ne pourrais pas supporter d’être rejetée par ma famille. Je préfère encore me donner la mort que de vivre ça ».