L’Actu vue par Remaides : « Jason Veasey : une autre façon de raconter le VIH »
- Actualité
- 06.06.2025
Crédit photo : Jason Veasey en couverture du numéro de juin de POZ. DR.
Par Fred Lebreton
Jason Veasey : une autre façon
de raconter le VIH
Connu pour ses rôles sur Broadway, notamment dans A Strange Loop, l’acteur américain Jason Veasey incarne une nouvelle génération de militants-es séropositifs-ves sans drapeau ni slogans. Au-delà du drame, il plaide pour des récits renouvelés sur le VIH, empreints de vérité, de légèreté et… d’humour ! En Une du numéro de juin 2025 du magazine américain Poz, le comédien se raconte.
Du théâtre à la vérité : un coming out public sans artifice
C’est lors d’une soirée organisée en novembre 2024 à l’hôtel Michelangelo de New York, que Jason Veasey a décidé de franchir une étape importante : rendre publique sa séropositivité. Invité à prononcer un texte enregistré plus tôt dans le cadre de la série Storytellers, l’acteur s’apprêtait à réciter, comme il l’avait fait des centaines de fois, un discours sur la stigmatisation et la nécessité de raconter des histoires autour du VIH. Mais ce soir-là, porté par une impulsion soudaine, il improvise une phrase décisive : « Il y a de nombreuses personnes qui vivent positivement avec le VIH, comme moi. » Le silence qui suit est éloquent. Ce n’est pas un effet de mise en scène, mais une vérité révélée avec sobriété, sans pathos. Diagnostiqué séropositif le 22 janvier 2015, Jason Veasey n’avait jamais fait de déclaration publique sur sa séropositivité jusqu’alors, bien que son entourage proche fût déjà au courant. « J’ai eu l’impression qu’on venait d’enlever les petites roues de mon vélo », raconte-t-il. Ce moment, à mi-chemin entre la confession et l’acte politique, scelle une nouvelle étape dans son rapport à sa propre histoire.
Sa relation au théâtre, elle, remonte à l’enfance. Fils de militaire, il grandit en multipliant les déménagements — Colorado, Californie, Texas, Allemagne, Alabama — et découvre très tôt le pouvoir de la scène à Montgomery, au sein de l’Alabama Shakespeare Festival. Ce goût de l’interprétation l’emmène plus tard sur les planches de Broadway, où il incarne l’un des cinq « Thoughts » dans la comédie musicale A Strange Loop, lauréate d’un Tony Award et d’un prix Pulitzer. Le spectacle, centré sur les questionnements d’un jeune auteur noir et queer nommé Usher, aborde frontalement le VIH et les représentations négatives qui l’accompagnent. Dans le morceau-choc AIDS Is God’s Punishment, Jason Veasey chante, soir après soir, ces paroles violentes depuis une structure surélevée marquée des lettres lumineuses H-I-V. Certains-es amis-es s’inquiètent de l’impact psychologique d’une telle récurrence. Lui, au contraire, ne vacille pas. « Je n’ai jamais cru que c’était une punition d’être gay », affirme-t-il. N’ayant pas grandi dans un foyer religieux, il ne partage pas la culpabilité ressentie par d’autres personnes séropositives rencontrées en groupe de parole. Très tôt, il choisit d’assumer son statut sans honte ni peur, en se concentrant sur l’information et les soins. Diagnostiqué au Callen-Lorde Community Health Center de New York, il informe ses amis-es et partenaires, mais attend de revoir ses parents en personne pour leur parler. Trois mois plus tard, dans le Bronx, il annonce la nouvelle à son père, puis à sa mère. Leur réaction, empreinte de calme et de tendresse, le marque : « Quelles sont les prochaines étapes ? », demande sa mère avant de le serrer dans ses bras. Ensemble, ils assistent au premier rendez-vous médical, où le médecin leur explique la charge virale, les traitements et la bonne santé de leur fils. Ce soutien familial immédiat devient un pilier.
Porter une voix séropositive… jusqu’au rire
Aujourd’hui âgé de 45 ans, Jason Veasey n’associe pas le VIH à une tragédie personnelle. Il fait partie de la génération des jeunes Noirs queer qui ont grandi à l’ombre de l’épidémie, avec des messages de prévention omniprésents, mais sans lien direct avec la génération fauchée par la crise du sida des années 80/90. « On ne m’a jamais parlé de sexe sans qu’on me dise : "Ça peut te tuer. Mets un préservatif" », rappelle-t-il. Lorsqu’il apprend sa séropositivité en 2015, il ne ressent ni effondrement ni honte. Il entre plutôt dans une phase d’apprentissage, de recherche d’information, d’ouverture. La seule difficulté durable, pour lui, vient des contraintes bureaucratiques : en tant qu’acteur sans contrat fixe, il navigue entre assurances privées, aides publiques et dispositifs comme l’AIDS Drug Assistance Program. Résultat : depuis trois ans, pas un trimestre ne passe sans qu’un obstacle administratif ne retarde ou complique son accès au traitement. « C’est le seul moment où je suis submergé par l’émotion de mon statut », confie-t-il à Poz magazine. « Je me dis : "Je n’arrive pas à croire que c’est ça, ma vie". » Pourtant, au quotidien, le VIH n’est pas central. Il vit, travaille, joue, aime. Et depuis peu, il chante aussi.
Dans la bande-annonce virale du film Friendship, produit par A24, sa voix chaude interprétant le tube My Boo des Ghost Town DJ’s a fait sensation. Au point que certains-es passants-es le reconnaissent dans la rue et entonnent la chanson en sa présence. « Les gens vont me chanter cette foutue chanson non-stop. Mais j’adore. » La voix d’un homme séropositif, devenue virale, sans même parler du VIH : une victoire silencieuse. Pour le comédien, il est temps de sortir des récits tragiques. « Même si j’adore des œuvres comme And the Band Played On ou Angels in America, on a assez de drames où les gens meurent », affirme-t-il. Il rêve d’une série comique centrée sur des personnages séropositifs-ves, mais dont la vie ne tournerait pas uniquement autour de leur statut sérologique. Une sorte de Sex and the City, version VIH, où l’on parlerait parentalité, amours, sexe, boulot et VIH sans pathos. « Chaque épisode n’est pas obligé de parler d’un médicament et d’une crise de larmes », résume-t-il. Il imagine des intrigues où « le VIH n’est qu’un fragment de la vie d’une personne, et pas toute sa vie — c’est ça que j’aimerais voir. » Contre le silence et la stigmatisation, il oppose donc une narration multiple, assumée, joyeuse. Et peut-être, demain, une comédie. Car le rire, lui aussi, peut être un acte militant.