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    L’Actu vue par Remaides : « Hommage à Daniel Defert : l’héritage d’une vie militante célébré à Paris »

    • Actualité
    • 04.12.2024

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    Dans la cour du 25, rue Michel Le Comte, à Paris, avant le démarrage de la cérémonie de dévoilement de la plaque commémorative

    Par Jean-François Laforgerie

    Hommage à Daniel Defert : l'héritage d'une vie militante célébré à Paris  

    À la veille de la Journée mondiale de lutte contre le sida, une plaque commémorative a été dévoilée au 25, rue Michel-le-Comte, lieu symbolique de la création de l'association AIDES. À cette occasion, un hommage a été rendu à Daniel Defert, président-fondateur de AIDES, en présence de nombreuses personnalités engagées dans la lutte contre le VIH et de proches. La rédaction de Remaides y était. Récit.

    Daniel Defert, intérieur cour

    Une cour intérieure pavée propre à l’élégance stricte, une façade nette, un garage à vélo, un passage lumineux qui conduit à un dédale de courettes, des pots de fleurs garnis de lierre. Au fond, une énorme caisse en bois munie de roulettes où l’on stocke et préserve des coups un des grands lutrins du mobilier officiel parisien. La cour intérieure est froide, envahie par l’humidité d’une averse récente. C’est là que doit se tenir la cérémonie de dévoilement de la plaque en hommage à Daniel Defert, décédé en février 2023.

    Le portrait de Daniel Defert est là ; à droite du pupitre, que souligne un énorme bouquet de fleurs aux tons de rouge et de blanc. Cette photo est l’une des plus connues de Daniel Defert. Il sourit, vêtu d’une chemise écossaise dans les tons de bleu. Ils sont raccords avec le ciel qui se déploie derrière lui au-dessus des toits de zinc parisiens. La photo a été prise par Tom Craig, photographe et militant de longue date de la lutte contre le sida à Act Up-Paris d’abord, puis AIDES aujourd’hui. « Ce portrait a été réalisé en 1996, explique Tom. Sidaction m’avait commandé une série de portraits des présidents et présidentes, ou d’anciens présidents-es, d’associations de lutte contre le sida dont des programmes étaient financés par Sidaction. C’était le cas à cette époque d’Arc-en-ciel, dont une partie des activités étaient soutenues par Sidaction ».

    Daniel Defert, extérieur rue

    Sur la gauche, un grand lutrin a été monté. Y a été placée la plaque commémorative qui sera, dans quelques instants, apposée, côté rue, sur la façade de l’immeuble située au 25, rue Michel Le Comte, dans le troisième arrondissement de Paris. Cette adresse ne fut pas celle de Daniel Defert et de son mari Jamil, comme l’a rappelé une intervention d’un des élus-es parisiens présents. C’est celle du Duplex, le premier bar gay de Paris, toujours ouvert de nos jours, où se sont tenues les premières réunions qui ont débouché, à l’initiative de Daniel Defert, sur la création de AIDES. Pour le moment, des cordelettes blanches maintiennent le tissu, pavoisé aux couleurs de Paris, qui dissimule l’inscription.

    Des personnalités réunies

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    De gauche à droite : Camille Spire, Laurence Patrice,
    Aurélien Beaucamp, Ariel Weil, Jean-Luc Romero-Michel
    et Gauthier Caron-Thibault
    (© Mathieu Hoff)

    Le rendez-vous a été fixé dans cette cour d’immeuble à 10 heures 45, vendredi 29 novembre ; à deux jours du 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le sida. Une quarantaine de personnalités, la plupart issues de la lutte contre le sida, sont présentes. On y voit Hugues Charbonneau (ancien vice-président d’Act Up-Paris, premier directeur exécutif de Sidaction et producteur de cinéma : 120 battements par minute, Eastern Boys), Jean-René Dedieu (Inter-LGBT), Francis Carrier (GreyPride), Florence Giard (Coalition PLUS), Éric Favereau (journaliste à Libération), Jean-Louis Lecouffe (Basiliade), Aurélien Beaucamp (ancien président de AIDES), Camille Spire (présidente de AIDES) ; d’autres militants-es de l’association : Christine Cros, Sarah Chauvin, Michel Simon, Robert Szumigalski, Stéphane Giganon, etc. De nombreux-ses élus-es de Paris sont venus-es dont le député de Paris Pouria Amirshahi (5ème circonscription, groupe Écologiste et Social), Jean-Luc Romero-Michel (adjoint à la maire de Paris chargé des Droits humains, de l’Intégration et de la lutte contre les discriminations), Laurence Patrice (adjointe à la maire de Paris chargée de la Mémoire et du Monde combattant), Ariel Weil, maire de Paris Centre, Gauthier Caron-Thibault, conseiller de Paris. C’est ce dernier qui est à l’initiative de cet hommage à Daniel Defert. C’est, en effet, cet élu qui avait présenté en mars 2023 un vœu en conseil de Paris sur le principe de cette plaque commémorative à cette adresse du 3ème arrondissement, puis l’avait fait adopter. Le conseiller a d’ailleurs ouvert la cérémonie du 29 novembre.

    « Cette plaque n'honore pas une vie, mais une existence militante »

    « Il y eut un temps où on ne parlait des prisonniers que quand on les guillotinait. Il y eut un temps où on ne parlait des malades que par la honte et la discrimination. Il aura fallu attendre les années 1970-1980 pour faire bouger les choses, pour inciter à changer nos esprits et à ouvrir nos institutions, au sens propre comme au sens figuré, lance Gauthier Caron-Thibault. Il aura fallu du temps, la convocation de la sociologie et des hommes et des femmes éclairés et éclairants, pour donner la parole aux personnes privées de liberté — mais il y a encore du travail — et pour revoir notre rapport à la maladie, à la mort et aux stigmates qui peuvent y être associés. Parmi ces hommes et ces femmes, on trouve Daniel Defert, qui créa avec Vidal-Naquet, Domenach et Foucault, le Groupe d'information sur les prisons en 1971, et surtout AIDES en 1984, à la suite du décès de son compagnon, Michel Foucault. Vous le savez tous et toutes, cette association, depuis sa fondation, a mené un combat extraordinaire pour la prévention du VIH et l'accompagnement des personnes séropositives, mais aussi leur visibilisation et la garantie de leurs droits.

    Ce combat a également ouvert la voie à une autre place pour les malades et les maladies dans nos sociétés. Rappelons-le, encore trop de maladies, comme le cancer, sont le fruit de trop de discriminations aujourd'hui.

    C'est la raison pour laquelle (…) j'avais proposé un vœu au Conseil de Paris de mars 2023 pour lui rendre hommage quelque temps après sa mort. Je suis heureux aujourd'hui de voir sa concrétisation par une plaque (…)  là où l'association AIDES a été créée, a été construite. » Et le conseiller de Paris de développer sur le contexte actuel : « À l'heure où l'extrême droite mène des combats qu'elle gagne, ici ou là, en Hongrie, en Italie, qu'elle perd ici ou là, en France, mais aussi en Pologne, il est bon de rappeler le flot de discriminations et de sécuritarisme qui revient à chaque fois qu'elle arrive au pouvoir. Aussi, cette plaque vise à rappeler l'actualité du combat qui a été celui de Foucault et de Defert. La trame intellectuelle de leurs pensées sur la libération des corps reste toujours d'actualité. Aussi, je suis heureux de voir que cette plaque n'honore pas une vie, mais honore vraiment une existence militante, et je finirai mon intervention par une citation de Defert à la mort de Foucault : « J'avais à résoudre un problème, ne pas parler pour lui, mais pas ne rien faire. Il y avait l'obligation de créer quelque chose qui ne soit pas une parole sur sa mort mais une lutte. » Avec cette plaque apposée au 25, rue Michel-le-Comte, nous montrons qu'il a réussi son combat. Merci. »

    Dans son intervention, Camille Spire,  présidente de AIDES, a souligné le moment « émouvant » que nous vivions, ici, réunis-es dans cette cour, à cette adresse si emblématique. Elle a rappelé le rôle clef de ce fondateur d’une « histoire qui s’écrit toujours ». Elle a insisté sur le côté visionnaire de Daniel Defert qui a compris, très vite, que la mobilisation communautaire, devenue ensuite la démarche communautaire en santé, allait constituer l’ADN de l’action de AIDES, qu’elle en serait la clef et la force. Elle a enfin souligné que dans la période que nous connaissions aujourd’hui, notre action partait toujours de nos colères, d’une volonté de résistance.

    « Et s'il n'y a plus personne comme ça dans le monde, le monde est fichu ! »

    Dans l’assemblée, se trouvait Jamil, le compagnon de Daniel Defert. Pour cette cérémonie, il a souhaité rédiger un texte personnel expliquant ce qu’était leur couple, qui ils étaient l’un pour l’autre. Un texte puissant, émouvant qui a été lu, à la demande de Jamil, par Marc Dixneuf, directeur général de AIDES.

    « Daniel et moi, on est deux. Daniel et moi, on est un seul cœur.
    Quand j’arrive ici en France, je suis perdu. Je viens d’Espagne ; avant du Liban.
    Je suis libanais. Ici, je sens mon cœur étranger. J’hésite parfois en français.
    Je ne sais pas qui est cet homme qui me suit.
    Tout au début, il me fait peur. Et lui n’est pas tranquille non plus.
    Mais je vois vite sa gentillesse ; et le matin, je reviens devant sa porte, il l’ouvre et on ne se quitte plus.
    C’est une rencontre de tout de suite, immédiate. Car, j’ai compris. Cet homme se détache de tous les autres. Il est très haut dans l’intelligence, mais il a aussi le cœur grand. Et c’est ce grand bon cœur qui m’a touché. Aussi Daniel n’a pas son semblable. Il sait comprendre sans juger. Le ciel de ma chance est glorieux. Combien j’ai eu de chance de le rencontrer.
    Une fois, sa porte ouverte, elle n’est plus jamais fermée. Il vous aime tel qu’on est. Il vous aide sans demander. Il m’a beaucoup aidé. Il a fait très attention à moi.
    Il m’a aidé pour les formalités. Il m’a aidé quand le grand problème est arrivé au Liban. Il a respecté que j’étais croyant et lui pas. Il a accueilli ma mère et ma sœur traduisait. Et j’ai senti qu’il aimait ma mère.
    Puis tous les deux, on s’est mis à s’occuper l’un de l’autre. Daniel aimait la cuisine chic. Daniel n’aime pas n’importe quel vin. Il n’aime pas inviter des gens chez lui car il y a tous ses livres sur la table.
    Il aime manger sur la terrasse. Alors je lui fais la cuisine. Elle n’est pas top ma cuisine, mais c’est la cuisine du cœur. Il aime ces déjeuners sur la terrasse. Il aime ce grand appartement. Il aime ne plus y être seul.
    Daniel a une très belle voix. Il a du charme. Daniel a du goût, plus que moi, mais quand il achète quelque chose, il me demande si ça lui va.
    Ce que je fais pour lui, ce n’est rien. Ce qui me fait plaisir, c’est qu’il soit content.
    Parfois, on se fâche parce que je ne supporte pas que des gens moins bien que lui se moquent de lui.
    Mais lui n’aime pas ceux qui me parlent mal.
    Il quitte la table où je ne suis pas invité.
    Ceux qui me rabaissent l’offensent.

    Il sait qu’il est comme mon père
    Que je lui apporte tout ce que je peux de bien !
    S’il entre dans la vieillesse, j’aurais pitié de sa vieillesse.
    S’il est malade, je resterais. En tout, je veillerais sur lui.
    Et quand il entrera dans la mort, je coucherai au pied de son lit.
    Mon pauvre Daniel. Tu étais si souriant, si content.
    Et maintenant.
    Il me dit : « Pourquoi fais-tu cela pour moi ?
    Jamais je n’aurai pensé que je serai aimé si fort. »
    Il m’a serré dans ses bras, très, très fort et il a pleuré.
    « C’est Michel qui t’a envoyé à moi »
    Mon cœur est déchiré.
    Je suis moins que la branche morte de l’arbre.
    Mais son cœur est en moi.

    Daniel était un homme exceptionnel.
    Et s’il n’y a plus de personne comme ça dans le monde, le monde est fichu. »

    « Un combat qui continue d'inspirer nos luttes contre les discriminations et pour l'égalité »

    Adjoint à la maire de Paris chargé des Droits humains, de l’Intégration et de la lutte contre les discriminations, Jean-Luc Romero-Michel est intervenu sur des notes plus personnelles. Il explique avoir « rencontré » AIDES en tant que personne vivant avec le VIH. « J’ai connu dans mon parcours des moments compliqués. L’association que Daniel a créée m’a aidé alors que j’étais hospitalisé en 1987. J’étais dans une chambre. Une aide-soignante, par crainte du VIH, refusait d’entrer dans ma chambre pour y apporter mon plateau-repas. Une militante de AIDES était intervenue. Elle était venue à mon aide et me voir. À cette époque, c’était la seule association engagée aux côtés des personnes vivant avec le VIH », a-t-il rappelé. Plus tard, après la cérémonie de dévoilement de la plaque, il publiera ce message sur les réseaux sociaux. « Hommage à Daniel Defert à l’occasion du dévoilement de la plaque commémorative au 25 rue Michel le Comte à Paris. Militant infatigable, fondateur de AIDES, Daniel Defert a transformé la lutte contre le sida, brisant le silence et défendant la dignité et les droits humains. Un moment de mémoire et de reconnaissance pour son combat, qui continue d’inspirer nos luttes contre les discriminations et pour l’égalité. L’occasion de remercier aussi AIDES qui depuis 40 ans fait un travail exceptionnel de soutien aux personnes vivant avec le VIH. Merci à celles et ceux présents-es pour honorer son héritage. »

    Une plaque d'hommage pour rappeler la « permanence d'un combat »

    Adjointe à la maire de Paris chargée de la Mémoire et du Monde combattant, Laurence Patrice est, elle aussi, revenue sur les premiers temps de l’épidémie et de la lutte contre le sida, évoquant les personnes isolées, la disparition des proches, les adressées raturées dans les agendas ; cette période si dure « lorsque, chaque jour, dix personnes décédaient des suites du sida », mentionnant les violences et les discriminations qui perdurent, soulignant le destin de « personnes privées de la perspective du lendemain ». Elle a aussi rappelé que, désormais, différents lieux emblématiques parisiens commémoraient la lutte contre le sida. La « place des combattants et combattantes du sida » dans le 4ème arrondissement ; la promenade Cleews-Vellay, voie piétonne du 10 arrondissement de Paris, en hommage à la « présidente » d’Act Up-Paris, le Jardin de l'Hôtel Lamoignon - Mark Ashton, dans le 4ème arrondissement, du nom du militant LGBT britannique, décédé des suites du sida en 1987. Ce n’est d’ailleurs pas fini puisque un lieu, dans le 12ème arrondissement, sera baptisé du nom de l’actrice Charlotte Valandray, actrice, chanteuse, femme vivant avec le VIH, ce dont elle a beaucoup témoigné. Elle est décédée en 2022.

    Laurence Patrice a souligné que ce « combat [contre le sida, mené par AIDES… et d’autres] avait changé bien des vies ». « Avec cette plaque, « nous ne rappelons pas seulement une personnalité exceptionnelle, mais la permanence d’un combat. » Elle a conclu par un appel à « un avenir fait de justice, de soins, de reconnaissance pleine et entière, d’accès aux soins pour tous et toutes ».

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    La plaque qui a été apposée dans la rue (© Mathieu Hoff)

    Désormais sur la façade, côté rue, au 25 rue Michel Le Comte… on peut lire : « Ici, le sociologue Daniel Defert 1937-2023 réunit régulièrement les militants de AIDES, association pionnière de la lutte contre le sida en France, qu’il fonda en 1984. »