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    L'Actu vue par Remaides : Hisanori : « Je veux donner du courage aux Asiatiques LGBT et séropos qui sont encore dans le silence »

    • Actualité
    • 20.10.2024

    HISANORI

    © Nina Zaghian

    Par Fred Lebreton

    Hisanori : "Je veux donner du courage aux Asiatiques LGBT et séropos qui sont encore dans le silence"

    Juin 2024, Square de la Tour Saint-Jacques à Paris. Entre deux averses, nous retrouvons Hisanori pour une interview et une séance photo. Tout de noir et vêtu d’une tenue traditionnelle japonaise, le premier Dauphin à l’élection de Mister Ours pose jovialement devant l’objectif de notre photographe Nina. Globe-trotter qui a grandi entre le Japon et la France, gay, séropositif et membre des Ours de Paris, Hisanori jongle habilement entre ses différentes communautés et tire le meilleur de chacune d’entre elles pour mieux aider les siens. Rencontre.
     

    Remaides : Vous avez grandi entre Japon et la France. L’homosexualité était-elle un sujet tabou dans votre famille ?

    Hisanori : Mon père est japonais et ma mère est thaïlandaise, mais naturalisée japonaise. Je suis né en Thaïlande, mais je n'y ai pas grandi. Je suis fils de diplomate et nous avons changé de pays tous les trois ans au fil des postes de mon père. J’ai grandi un tiers de mon temps au Japon, un tiers en France et un tiers dans le reste du monde comme en Libye, en Australie, ou au Luxembourg. Même si j’ai vécu un peu partout dans le monde, les valeurs de ma famille sont restées japonaises, sans doute du fait que mon père soit un haut fonctionnaire. Lorsqu’on est dans ce cas, on est plus enclin à être très patriote, voire très conservateur, surtout au Japon, parce qu'on y mène, de mon point de vue, une politique d’extrême droite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. De plus, je suis le fils ainé, ce qui ajoute une pression supplémentaire dans une société très patriarcale. À cette place, il faut être le visage d'une famille. J’ai fait mon coming out gay quand j'avais 13-14 ans. J’ai 38 ans aujourd’hui. J’aime vraiment mon père. Il a beaucoup évolué sur l’homosexualité, mais cela a été très dur au départ. Mon père était très conservateur et il m’a fait partir du foyer familial pendant six mois. Nous avons été en conflit pendant trois-quatre ans. C’était plus simple avec ma mère qui était plus ouverte sur cette question.

    Remaides : Dans quelles circonstances avez-vous découvert votre séropositivité ?

    Hisanori : J’ai vécu en France de 2002 à 2015. Ensuite, ma carte de séjour a expiré parce que je ne voulais pas être attaché à un seul métier. J'avais le choix entre rester en France illégalement ou renouveler ma carte de séjour en continuant un métier que je n'aimais pas. J’ai choisi de rentrer au Japon, ce qui n’a pas été simple au début, parce que j'ai grandi en France et que j’y avais tous mes amis. Je suis parti dans un grand stress. Cela a duré de 2015 à 2020. J'ai fait beaucoup de mauvais choix dans ma vie pour décompresser et pour oublier un peu ma réalité. J’ai dû recommencer ma vie à zéro et rebâtir une carrière professionnelle. En 2020, j'ai fait une prise de sang pour voir si tout allait bien et pour la première fois, le résultat n'est pas revenu après 24 heures. J’ai d’abord pensé que c'était à cause de la Covid…

    Remaides : Vous attendiez-vous à un résultat VIH positif ?

    Hisanori : Bizarrement… Oui et non parce que j'avais eu des rapports sexuels à risque, mais je me pensais protégé car je prenais la Prep. L’accès à la Prep était très compliqué au Japon à cette époque. Sur les conseils de mon meilleur ami, j’ai acheté la Prep sur Internet et j’ai fait ce qu’on appelle la « Prep sauvage », sans suivi médical. À cette époque, j’avais le choix entre une Prep qui coûtait 200 euros la boite, importée de Londres, ou 70 euros la boite, importée d’Inde. J’étais à mon compte à cette période et j’économisais mon argent parce que je devais rebâtir ma carrière. J'ai choisi la Prep indienne en toute confiance. Plus tard, après l’annonce de ma séropositivité, mon médecin m'a expliqué, que ces années-là, au Japon, 53 % des médicaments importés d’Inde s’avéraient être des faux et 46 % étaient authentiques. Aujourd’hui, la situation a changé heureusement et la Prep est accessible en cliniques.

    Remaides : Comment se sont passés les premiers mois après l’annonce ?

    Hisanori : C’était très difficile, parce que je n’ai pas eu accès au traitement dans la foulée du diagnostic. Au Japon, pour avoir accès à un traitement, le protocole est très strict. Il faut prouver que tu es « inguérissable » pendant deux mois et ensuite, il faut faire des tests sanguins pour voir quelle molécule fonctionne contre le virus. Une fois sous traitement et en charge virale indétectable, j’ai décidé d’en parler à ma famille et de faire un second coming out. Je ne voulais pas que le VIH soit un secret comme l’avait été mon homosexualité, ni qu’on puisse m’attaquer sur ce secret. J'ai appelé ma mère et mon père et je leur ai annoncé ma séropositivité. Trois mois après, on a pu en rediscuter sereinement. Entre temps, je pense qu'ils se sont beaucoup documentés. Ma mère m'a dit : « Je sais que tu ne vas pas mourir. Je sais que tu seras bien suivi ». Mon père aussi a compris. Je pense qu’ils ont pris sur eux pour ne pas ajouter de la souffrance à la souffrance. Aujourd'hui, le VIH n'est même plus un sujet dans ma famille.

    Remaides : Quelle est la situation pour les personnes vivant avec le VIH au Japon ? Le sujet est-il abordé dans la communauté LGBT+ ?

    Hisanori : Le sujet est davantage abordé aujourd’hui, notamment grâce à la Prep, mais les personnes vivant avec le VIH restent invisibles. Je crois que je suis un des rares, peut-être le seul, à en parler ouvertement. Je ne connais personne d'autre au Japon qui le dit ouvertement alors que je suis vraiment impliqué dans la communauté gay et que je connais beaucoup de monde. Entre nous, séropos, on en parle, mais dans les magazines, les témoignages sont toujours anonymes. Il y a encore un vrai tabou autour du VIH au Japon, y compris dans la communauté LGBT. J’avais des partenaires sexuels qui, du jour où ils ont appris ma séropositivité, n’ont plus voulu avoir de rapports sexuels avec moi.

    Remaides : Depuis que vous avez rejoint l’association Les Ours de Paris, vous avez déclaré : « J'ai l'impression d'enfin, vraiment, appartenir à la grande famille d'ours parisienne ». Que vous apporte cette communauté ?

    Hisanori : Les Ours de Paris, c'est une communauté ours parisienne [la communauté ours, bear en anglais, est une subdivision de la communauté gay. On entend par « bears »  les hommes homosexuels ou bisexuels, poilus et gros, ndlr]. La définition d'ours diffère selon la personne et je pense que ce sera toujours à débattre. Pour moi en tout cas, ce sont toutes les personnes qui ne se sentent pas correspondre à une norme gay. Je pense que cela a beaucoup changé maintenant, mais à mon époque… Je me souviens en 2005, quand on sortait en boîte et on voyait beaucoup de musclors, des mecs très musclés. La communauté Ours est apparue aussi en réaction à cette injonction d’avoir un corps musclé et « sans gras ». Au Japon, je suis assez connu dans la communauté Ours de Tokyo. J'ai vécu au Japon entre 2015 et 2022 et quand je suis revenu à Paris en 2022, il a fallu à nouveau que je me refasse des amis, alors c’est naturellement vers la communauté Bear que je me suis tourné. Je voulais de nouveau appartenir à une communauté.

    Remaides : En 2024, vous vous êtes présenté à l’élection de Mister Ours et vous avez fini premier Dauphin. Que signifie pour vous cette élection ?

    Hisanori : Un jour, un des membres des Ours de Paris est venu me voir en me disant : « Il faut que tu te présentes à notre élection, on n’a pas de candidat asiatique ». Et effectivement, je me suis dit qu’on était sous-représenté en France, alors que nous sommes nombreux au Japon. J’ai la chance d'être à la fois français et japonais culturellement et je voulais représenter la communauté bear asiatique. Le compte Instagram des Ours de Paris a publié les photos de tous les candidats et le seul commentaire négatif a été publié sous ma photo. Quelqu’un a écrit : « Je trouve que tu n’as pas ta place ici, tu n'es pas un Ours ». Une autre fois, quelqu’un m’a dit : « Si tu gagnes, ça sera comme Miss Japon, cette année, qui était ukrainienne. Un Japonais va devenir monsieur Ours France ». Au départ, je n’étais pas super motivé pour faire ce concours, mais ces commentaires bêtes et méchants ont rallumé ma fibre militante. Au final, parmi les trois gagnants, il y avait un Indien, un japonais culturellement français et un français d’origine catalane. C'est là où on se dit que le monde a changé.

    Remaides : Sur vos réseaux sociaux, vous avez témoigné de votre expérience du racisme anti asiatique dans la communauté gay. Comment ce racisme s’est-il manifesté ? Constatez-vous des changements ces dernières années ?

    Hisanori : Quand je suis arrivé à Paris en 2005, j’étais étudiant et j'avais un look de twink [jeune minet, ndlr], c’est-à-dire que j’étais mince et imberbe. Sur les sites de rencontres gay, j’étais confronté à des annonces qui disaient clairement : « Pas d’asiatique et pas d’efféminé ! ». C'était aussi la période où même des amis, ou des ex, m'appelaient « Sushi », « Yakitori », « Geisha », « Katsumi » ou « Nem ». C'était une époque où dire ce genre de choses à une personne asiatique semblait acceptable ; certains s’amusaient aussi à refaire les accents asiatiques. Je me suis aussi fait traiter de « face de citron ». Bien que la plupart du temps, les gens paraissaient ne pas avoir de mauvaises intentions, ces micro-agressions m'ont laissé énormément de blessures lorsque j'étais jeune. Au point où je suis resté persuadé jusqu'à aujourd'hui, que je ne pouvais pas être au même niveau que les Français d'origine européenne. Je ne souviens aussi de cette soirée gay où tout le monde allait et qui s’appelait la « BBB » pour « Blacks, Blancs, Beurs ». Où sont les asiatiques ? La communauté gay asiatique était totalement invisibilisée.

    Remaides : Vous avez également parlé de remarques sur votre poids…

    Hisanori : Oui, en 2005, j’ai commencé à fréquenter un sauna gay à Paris où j’ai croisé un jour un mannequin qui travaillait pour Jean-Paul Gaultier. J'étais en serviette, il a pris mon bras, m’a dévisagé de la tête au pied, il m’a retourné et m’a dit: « T'as un beau visage, mais avec ce corps-là, tu vas jamais trouver l'amour, ni baiser ». Cette remarque c’était comme un couteau dans le cœur. C'est la raison pour laquelle j'ai commencé la musculation. Avec le temps et la maturité, j'ai appris à m’aimer et m'accepter. Et par hasard, ce même mec, je l'ai recroisé à Tokyo en 2019. Il m’a dit : « Ah... t'as bien changé. T'as pris du poids », avec un air de dégoût dans ses yeux. Je lui ai répondu : « Oui, merci, je sais. Je suis gros, chauve et canon ! Tes critères, je n'en ai rien à foutre ». Ça m'a fait du bien de lui dire ça en face. Aujourd’hui, les choses vont mieux en surface même si je pense que beaucoup de personnes ont encore des pensées racistes.

    Remaides : Vous parlez ouvertement de votre séropositivité sur vos réseaux sociaux. Quels ont été les retours et en quoi cette visibilité est-elle importante à vos yeux ?

    Hisanori : Au Japon, j'ai eu une dispute avec un mec qui connaissait ma séropositivité et qui s’est servi de ça contre moi pour me nuire. Il m’a menacé sur le mode : « Je vais dire à tout le monde que tu es séropo. Comme ça, tu n'auras plus jamais de travail dans l'audiovisuel ». Je ne me suis pas laisser intimider et je me suis dit que la meilleure façon de faire cesser ce genre de chantage serait d’en parler ouvertement sur mes réseaux sociaux. L’autre raison concerne l’élection de Monsieur Ours. Pour moi, un concours de beauté, ce n'est pas juste de la beauté. C'est comment utiliser cette plateforme pour transmettre des messages. Je travaille dans les médias, donc je connais le pouvoir des réseaux sociaux. Et si j'ai ce pouvoir-là, je préfère l’utiliser pour une cause qui me tient à cœur. La culture asiatique est une culture du silence et il faut du courage pour parler. Suite à mon post sur les réseaux sociaux,  j'ai reçu des messages de gays asiatiques qui me disaient des choses comme : « Ça fait onze ans que suis séropo et je ne l'ai jamais dit à personne ». Je connais bien cette pression culturelle qui consiste à ne pas parler de ces sujets et je sais qu'il y en a beaucoup qui souffrent en silence. Je me dis que parfois il vaut mieux se faire insulter que de rester dans le silence. Quand on est invisible, on n’existe pas et on ne peut pas se battre. J’ai la chance d’avoir une famille qui m'accepte et de vivre dans un pays comme la France où les gays et les séropositifs ne sont pas bannis. Je veux donner du courage aux Asiatiques LGBT et séropos qui sont encore dans le silence.

    Propos recueillis par Fred Lebreton. Cette interview est publiée dans le Remaides 129 (Automne 2024).

    Pour suivre Hisanori sur Instagram.