L'Actu vue par Remaides : Hépatite C : le poids des discriminations
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- 06.08.2024
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Par Fred Lebreton
Hépatite C : le poids des discriminations
Le 15 mars dernier, la Fédération Addiction organisait une Journée nationale sur les hépatites et les maladies du foie. L’occasion de faire l’état des lieux, entre autres, sur l’hépatite C en France et de mesurer le poids des discriminations qui éloigne les personnes usagères de drogue de la prévention et du soin. La rédaction de Remaides y était. Deuxième partie.
La guerre aux drogues est inefficace et contreproductive
Marie Jauffret-Roustide, sociologue et chargée de recherche à l’Inserm et au Centre d’étude des mouvements sociaux (CEMS), a fait une présentation passionnante autour de l’impact des discriminations sur l’exposition aux risques et l’accès aux soins. « Je vais vous parler aujourd'hui de la manière dont la pénalisation de l'usage de drogue donne lieu à des discriminations, à une exposition accrue au risque d'exposition au VIH, mais également aux hépatites virales ». Sur la question de l'accès aux traitements, la France est souvent présentée comme un modèle de réduction des risques assez solide, explique la sociologue. Ceci est lié au fait que, contrairement à d'autres pays, il y a chez nous des financements publics pérennes, alors que, par exemple, aux États-Unis, la plupart des dispositifs sont financés par des fondations et par des fonds privés. Mais une des limites est que ce modèle reste très biomédical, du fait que la France possède l'une des législations les plus répressives d'Europe à l'égard des personnes qui consomment des drogues. Il y a plus de 50 ans, le 31 décembre 1970, la loi de 1970 (dite « loi de 70 ») «relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite de substances vénéneuses » était promulguée en France. « Depuis plus de 50 ans, la France mène une guerre aux drogues inefficace et contreproductive ». Cette loi a introduit un paradoxe en considérant les usagers-ères à la fois comme des criminels-les et comme des patients-es. Au niveau collectif, en termes de santé publique, la pénalisation de l'usage de drogue est un véritable obstacle à l'accès aux soins et également à la mise en place de certains dispositifs de réduction des risques. Au niveau individuel, la pénalisation renforce la stigmatisation des personnes qui consomment des drogues dans la société. Et cette politique prohibitive a également un impact négatif sur l'accès aux soins et l'inclusion sociale des personnes qui consomment des drogues, qui ont peur d'être arrêtées, et donc, qui s'exposent beaucoup plus aux risques. Cette exposition aux risques de contracter le VIH, le VHC (comme le VHB) par le fait d'avoir peur d'être arrêté dans l'espace public, a été montrée, en particulier aux États-Unis, par les travaux de Philippe Bourgois (par exemple, dans un ouvrage comme « Un apartheid intime. Dimensions ethniques de l’habitus chez les toxicomanes sans-abri de San Francisco ». Mais il y a d'autres travaux qui ont été menés, par exemple, par John Hill en Angleterre, qui ont mis également en évidence que, le fait de pénaliser l'usage de drogue faisait que les usagers-ères se sentaient beaucoup moins légitimes que d'autres publics à être pris en charge, ce qui a un effet négatif sur leur accès aux soins.
L'usager-ère de drogue désigné-e comme malade et délinquant-e
Petite frustration, nous pensions assister à la présentation du nouveau volet de l’étude ANRS-Coquelicot, mais les résultats finaux ne sont pas encore prêts et seront révélés « dans quelques semaines », annonce Marie Jauffret-Roustide. Cette étude a pour objectif d’estimer la proportion de personnes usagères de drogues infectées par le VIH et le VHC en France et de comprendre les déterminants de l’exposition aux risques infectieux. La sociologue donne néanmoins de premiers éléments et révèle que l’étude, menée entre 2021 et 2023, met en évidence des chiffres très préoccupants concernant l'accès aux traitements de substitution et l'accès aux seringues, qui sont de plus en plus difficiles pour un certain nombre d'usagers-ères, même dans les grandes villes. Dans le cadre de cette étude, Marie Jauffret-Roustide et ses collègues ont mené une enquête sociologique qualitative avec une méthode qu'on appelle le Photovoix, afin de pouvoir réintroduire les expériences et les voix de ces personnes usagères. Le Photovoix est une méthode visuelle qui utilise la photo comme prise de parole concernant une expérience ou une situation vécue dans le but que les personnes expriment leurs perceptions, émotions et opinions qui peuvent parfois être passées sous silence. La sociologue et son équipe ont mis en place une méthode qualitative incluant des observations ethnographiques et des entretiens semi-directifs menés dans trois villes françaises : Paris, Marseille et Lille. Il y a au total 22 entretiens semi-directifs. Les profils concernés étaient des personnes usagères de drogues, des professionnels-les de la réduction des risques, des activistes et également des policiers-ères.
Ce qui ressort à partir de l'analyse de ces différents types de méthodologies, c'est l'ambiguïté fondamentale de la loi du 31 décembre 1970, qui réside dans la définition de l'usager-ère, qui est désigné-e comme malade et délinquant-e. Exemple de l’absurdité de ce paradoxe : les usagers-ères ont le droit d'être en possession de matériel de RDR, donc de matériel stérile (seringues comprises), mais ils-elles n'ont pas le droit de l'utiliser. L'enquête de terrain a également révélé des difficultés liées à la possession de seringues dans l'accompagnement des usagers-ères, notamment dans le cas de la présence de la police aux abords des structures de soins ou de réduction des risques, avec des violences qui ont été relevées dans les trois villes. Certains-es professionnels-les ont souligné les paradoxes de cette loi : « C'est l'État qui paye le matériel de réduction des risques et ce sont aussi les fonctionnaires de l'État qui le détruisent. Ça n'a pas de sens ».
Des refus de vente de seringues en pharmacie
L’étude ANRS-Coquelicot, menée en partenariat avec Médecins du Monde, permet de soulever le problème de l'accès aux seringues, parfois difficile, même dans les grandes métropoles françaises. L’une des causes de ces difficultés qui a été mise en avant par les professionnels-les de santé interrogés-es, c'est le fait du départ à la retraite d'un certain nombre de professionnels-les qui avaient été très impactés-es par l'hécatombe du VIH dans les années 80-90. Ils-elles étaient très impliqués-es dans la réduction des risques, en particulier des médecins généralistes, mais également des pharmaciens-nes. Il y a aujourd'hui, de nouvelles générations qui n'ont pas connu cette hécatombe et qui peuvent être beaucoup plus favorables à la question de la pénalisation et moins sensibles aux enjeux de RDR. « Certains ne souhaitent pas du tout voir un toxicomane dans leur pharmacie. Ils tiennent des propos assez virulents ». Certaines pharmacies qui, avant, pouvaient encore vendre du matériel de RDR à petit prix, refusent de plus en plus d’en vendre. Un cinquième des usagers-ères déclarent avoir été confrontés-es à des refus de vente concernant des seringues. Et dans certaines villes, le phénomène est encore beaucoup plus important.
« On va finir par avoir les usagers de drogue les plus propres au monde »
Un constat qui correspond aux données de l'EMCDDA (Observatoire européen des drogues et des toxicomanies) qui montrent que la France met à disposition des usagers-ères beaucoup moins de seringues que d'autres pays européens. Par ailleurs, l'EMCDDA, montre que les seringues distribuées en France ne couvrent que la moitié des besoins et que nous sommes très en dessous de la moyenne des autres pays européens. Ce constat s'applique également à la question des traitements de substitution : « Dans certaines villes, vous avez de plus en plus de médecins qui ont sur leur plaque : « Ici, pas de délivrance de traitement de substitution aux opiacés » déplore la sociologue. Par ailleurs, Marie Jauffret-Roustide pointe des pratiques abusives, concernant le prix de vente des Steribox pour lequel le prix de vente conseillé est à un euro, mais qui peut aller jusqu'à deux, trois, voire cinq euros selon les pharmacies. Un coût qui amène les usagers-ères en situation de précarité sociale à limiter l'achat en pharmacie comme le raconte cette usagère rencontrée à Lille : « À chaque fois, quand je vais dans une pharmacie, je leur demande si c'est gratuit. À chaque fois, elles me disent non. Si je suis obligée de faire 40 kilomètres pour avoir un Steribox gratuit, c'est combien ? Tu as des pharmacies, des fois, ça coûte 1,50 euro, deux euros. Normalement, c'est écrit derrière la boîte qu'ils n'ont pas le droit de vendre ça à plus d'un euro ». Autre constat alarmant, la France accuse un retard conséquent en matière de réduction des risques en milieu carcéral, puisque les programmes d'échange de seringues officiels sont inexistants. En 2016, le Parlement inscrivait, dans la loi Santé, l’extension à la réduction des risques du principe d’équivalence des soins entre le milieu ouvert et le milieu fermé. Huit ans plus tard, le décret d’application n’est toujours pas publié et la loi n’est toujours pas respectée. En conséquence, l’accès aux outils et dispositifs de RDR est quasiment inexistant en prison, lieu avec une forte prévalence des addictions et des maladies infectieuses. Dix-sept associations réclament d’ailleurs la publication du décret d’application de ladite loi sur son volet RDR en prison. Lire à ce sujet notre reportage récent : RDR en prison : la colère des associations.
Témoignage assez révélateur d’une professionnelle de la RDR qui travaille avec des usagers-ères de drogue : « On va finir par avoir les usagers de drogue les plus propres au monde qui resteront des délinquants dans la loi, qui auront fait la preuve du sens de leurs responsabilités, de leur civisme en ramenant les seringues, en ne les laissant pas traîner. On leur demande de faire des trucs comme ça, de faire du travail citoyen, de ne pas faire de bruit, de ne pas laisser traîner du matos. Et en même temps, ils restent des délinquants. Et le fait d'être considéré comme un délinquant, ça a des effets sur tout. Cela a des effets évidemment sur leur santé mais aussi sur leur statut de citoyen. Cela a des effets sur le fait qu'ils doivent trouver des sommes hors de proportion avec ce qu'ils gagnent pour acheter leurs drogues. Donc ça les condamne parfois à commettre des actes illégaux ».
Et Marie Jauffret-Roustide d’expliquer : « Notre recherche a mis en évidence le fait que la pénalisation rend les vies des personnes qui consomment des drogues plus vulnérables face aux risques de santé, en particulier concernant la transmission du VIH et des hépatites et des risques de discrimination. Il existe pourtant aujourd'hui des alternatives à la prohibition, soutenues par les organismes internationaux. La réduction des risques, bien sûr, mais également la décriminalisation de l'usage de drogue mise en place au Portugal depuis 2002 ». Comme toujours, la sociologue et chercheuse s’appuie sur des données vérifiées : « Des travaux de recherche dressent un bilan positif de ces modèles alternatifs à la prohibition : amélioration de la santé des personnes qui consomment des drogues, qui s'explique par leur plus faible stigmatisation, leur meilleure intégration sociale et par l'augmentation des moyens alloués aux services sociaux et en santé, proposés à la réduction des risques ». Marie Jauffret-Roustide souligne que les travaux de l'Observatoire européen des drogues ont mis en évidence que, avant la décriminalisation, le Portugal était le pays qui avait le taux de mortalité et de morbidité lié à l'usage de drogue le plus élevé en Europe. Et depuis la décriminalisation, aujourd'hui, le Portugal a le taux le plus faible de mortalité et de morbidité lié à l'usage de drogue. Donc des résultats très élevés. Bien meilleurs que ceux de la France, par exemple. Et la sociologue de conclure : « Réintroduire les voix des personnes impactées par la pénalisation, les personnes qui consomment des drogues, bien sûr, mais également les professionnels de santé et de réduction des risques, permet d'envisager la nécessité de nouveaux modèles politiques en matière de drogue, plus ancrés dans des approches de justice sociale et plus efficaces pour lutter contre les hépatites virales ».