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    L’Actu vue par Remaides : « Générations Positives : la sérophobie racontée par les personnes concernées, N°3 »

    • Actualité
    • 19.04.2025

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    Alain et Benoit ont témoigné dans Remaides N°124/été 2023.Alain a 71 ans, il vit avec le VIH depuis 1987. Benoit a 26 ans, il vit avec le VIH depuis 2021. Photo : Fred Lebreton.

    Par Fred Lebreton

    Spécial Sérophobie
    Générations positives : la sérophobie racontée par les personnes concernées, épisode 3

    À l’été 2020, Remaides lançait une nouvelle rubrique : Générations Positives. Son but, organiser des rencontres et des entretiens croisés entre personnes vivant avec le VIH de générations différentes qui ne se connaissent pas et renouer un dialogue parfois compliqué du fait de vécus de VIH très différents. Quatre ans et seize entretiens croisés plus tard, retour sur un fil rouge présent dans quasiment chaque entretien : la sérophobie. Dans cette sélection d’extraits parfois durs et souvent pleins de courage, nos témoins racontent comment ils-elles ont vécu cette sérophobie et comment ils-elles l’ont surmontée. Troisième et dernier épisode.

    Note de la rédaction : les âges des personnes correspondent au moment de la réalisation des entretiens.

    Alain et Benoit

    Remaides : Avez-vous connu la sérophobie dans votre parcours de vie avec le VIH  ?
    Benoit :
    La seule fois où j'y ai été confronté, c'était avec du personnel soignant. La première fois que j'ai fait mes analyses au laboratoire à Périgueux, la personne qui fait les prélèvements regarde l'ordonnance et me dit : « C'est quoi, ça ? ». Je ne réponds pas au début. Elle me dit : « C'est une hépatite ? ». Je lui réponds non, a priori, « charge virale VIH, c'est le VIH ». Elle me demande : « Mais comment vous avez chopé ça? ». Je ne réponds pas et elle ajoute : « Une erreur de jeunesse ? ». Quand je raconte ça à mes potes, ils ne comprennent pas pourquoi ça m'a autant atteint, mais, en fait, c'était la première fois que je me suis senti jugé là-dessus. J'ai craqué en sortant du laboratoire. En rentrant chez moi, j’ai tout de suite fait un courrier à la direction du labo qui m’a présenté ses excuses par la suite.

    Alain : La sérophobie, je la subis principalement sur les sites de rencontres gays. Les mecs te demandent si tu es « clean » ou disent clairement qu’ils ne veulent pas de séropo. Parfois, je fais de la pédagogie, mais c’est difficile de se voir rejeté à cause du VIH et puis il y a aussi le problème de discrimination par rapport à l'âge. On ne valorise pas tellement la vieillesse dans notre société. Donc mon âge est déjà un handicap ; alors si en plus, je dis que je suis séropo, plus personne ne voudra me rencontrer ! J’ai laissé tomber le préservatif il y a deux-trois ans, quand j'ai su vraiment qu'on ne transmettait pas le virus. Cela faisait 30 ans que j’utilisais le préservatif et j'en avais un peu marre. Du coup, il y a des fois où je dis que je prends la Prep. Je n’en suis pas très fier, mais c’est ma façon à moi de me préserver contre la sérophobie…

    Benoit : C'est une stratégie de défense, en fait. Moi, je n’ai pas été confronté à la sérophobie sur les applis de drague car je vis en couple exclusif, mais je pense que si j’étais célibataire, je ne mettrais pas ma séropositivité sur mon profil. J'ai tellement vu passer d’horreurs sur les réseaux sociaux, notamment, sur le compte Instagram  « Séropos vs Grindr, » [administré par Fred Lebreton et Julien Ribeiro, ndlr]. On a déjà assez de choses à gérer au quotidien pour ne pas rajouter cette charge mentale. On fait déjà de la pédagogie auprés de nos potes, de nos familles. Faire des heures de pédagogie pour un plan cul de 30 minutes, c’est parfois lourd.

     

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    Valérie et Pierre ont témoigné dans Remaides N°125/Automne 2023).
    Valérie a 57 ans. Elle vit avec le VIH depuis 1985. Pierre, de son côté, a 38 ans.
    Il vit avec le VIH depuis 2008. Photo : Fred Lebreton.

    Valérie et Pierre

    Remaides : Avez-vous connu la sérophobie dans votre parcours de vie avec le VIH ?
    Valérie :
    Oui surtout dans le milieu médical avec des dentistes et des gynécologues qui refusaient de me soigner. En 1999, avec mon ex-mari, qui était séronégatif, nous avons fait une insémination artisanale car on nous a refusé une insémination médicale. J’ai recueilli son sperme dans le préservatif et je me suis auto inséminée. J’avais très peur de transmettre le VIH à mon fils, mais il est né séronégatif. Quand il a grandi, je ne lui ai pas caché ma séropositivité. J’en ai toujours parlé assez facilement sans le crier sur tous les toits non plus, mais j’ai eu des déceptions. J’avais sympathisé avec deux mamans de l’école de mon fils et quand je leur ai parlé de ma séropositivité, elles ont changé de trottoir du jour au lendemain…

    Pierre : Moi aussi j’ai eu des soucis avec ma dentiste. Quand je lui ai annoncé que j’étais séropositif, elle a rechigné à me faire certains soins sans m’exprimer un refus frontal. J’ai fini par changer de dentiste. J’ai aussi connu une mauvaise expérience avec une amie à qui je me suis confié et qui a révélé ma séropositivité à tous mes amis proches dans un message alarmiste du genre : « Il va mourir ». J’ai coupé les ponts avec cette personne. C’est plus de l’ignorance que de la sérophobie, je pense. En dehors de ça, je n’ai pas connu de sérophobie violente. Je trouve que les mecs sous Prep sont plus informés et plus à l’aise avec la séropositivité. Il m’arrive aussi de faire de la pédagogie sur le VIH sur les applis gays. Je leur parle de la Prep ou de indétectable = intransmissible, etc.

     

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    Marie-Pierre et Malik ont témoigné dans Remaides N°126/Hiver 2023.
    Marie-Pierre a 56 ans. Elle a été diagnostiquée séropositive en 1988.
    Malik, de son côté, a 38 ans. Il a été diagnostiqué en 2014. Photo : Fred Lebreton.

    Marie-Pierre et Malik

    Remaides : Avez-vous connu des actes ou des paroles sérophobes dans votre parcours de vie avec le VIH ?
    Malik :
    J'ai surtout eu droit à des paroles maladroites. L’année dernière par exemple, un pote gay avec qui je vais boire des verres dans le Marais m’a dit : « Toi, tu vis avec le sida ». C'est violent et c'est dur comme phrase ! J’étais en colère qu’il ne connaisse pas la différence entre VIH et sida. Je suis quelqu'un d'extrêmement gentil, mais de manière générale, je ne tolère pas la bêtise et l'ignorance. Surtout dans la communauté gay où l’information et la prévention autour du VIH sont de partout. La sérophobie, je l’ai aussi connue sur les applis de drague comme Grindr. Je me suis retrouvé face à des mecs de la communauté gay qui me disaient : « Jamais de la vie, je te touche ; tu as le sida ! » ou encore : « Déjà, que t'es gros,  en plus, t'es séropo ! ». Le rejet de la communauté gay m’a tellement isolé que je suis tombé dans la drogue. Ce n’est pas le VIH qui m’a emmené à la drogue, ce sont les réactions des membres de la communauté gay. Heureusement, ces dernières années les choses évoluent. Je pense que l'arrivée de la Prep dans la communauté a éduqué énormément de personnes sur le VIH. 

    Marie-Pierre : J’ai eu droit à un dentiste qui a paniqué dès que je lui ai dit que j’étais séropo. Il a mis deux paires de gants. Il tremblait. Il y avait du sang partout et il m’a charcuté ! Mais la pire expérience de ma vie est arrivée à mes 27 ans [en 1995, ndlr]. J’ai été hospitalisée car on m’a dit que j’avais des kystes aux ovaires qu’il fallait retirer. Au réveil de mon opération, on m’a appris qu’on m’avait fait une hystérectomie totale [ablation chirurgicale de l'utérus, ndlr]. Parce que j'étais séropo et toxico,  je n'avais pas le droit d'avoir d'enfant ! J’ai demandé des explications, mais c’était le silence total. Quand j’ai vu mon infectiologue plus tard, je lui ai demandé si j’avais eu un cancer de l’utérus, il m’a répondu avec beaucoup de gêne : « Non, je suis désolé. C'est trop tard ».

     

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    Joel et Joao ont témoigné dans Remaides N°128/été 2024.
    Joël a 53 ans. Il vit avec le VIH depuis 1994. Joao, de son côté, a 32 ans.
    Il vit avec le VIH depuis 2015. Photo : Fred Lebreton.

    Joel et Joao
    Remaides : Avez-vous vécu des expériences de sérophobie dans votre parcours de vie avec le VIH ?
    Joël :
    Ah oui, chez le dentiste et deux fois en plus ! C’est terrible. Quand le dentiste a su que j’étais séropositif, il a mis une deuxième paire de gant. C’était il y a quatre ans. Je lui ai dit que j’étais en charge virale indétectable depuis des années, mais il n’avait pas l’air de connaitre grand-chose au VIH. J’ai quitté la salle de soins car j’ai vécu ça comme une vraie discrimination.

    Joao : J’ai vécu plusieurs expériences sérophobes toujours avec le corps médical, que ce soit au Brésil ou en France. La première fois, c'était le 11 septembre 2015, juste après l’annonce de ma séropositivité. Au moment de faire la prise de sang pour le test de confirmation, l’infirmière me demande : « Tu es passif ? ». Sur le coup, je ne comprends pas trop pourquoi cette question. Je lui réponds : « Oui, j'ai été probablement passif lors de ce rapport sexuel… ». Et là, elle fait un commentaire qui m’a beaucoup choqué en disant que, en gros, je l’avais bien cherché et que les gays passifs avaient plus tendance à contracter le VIH. Sa question était non seulement intrusive, mais déplacée. Cela a impacté énormément ma vie sexuelle par la suite car, depuis, j’associe le fait d’être pénétré sexuellement, avec la maladie. Il y a cette notion catholique et très homophobe/sérophobe que sodomie = VIH = « punition divine ».