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    L’Actu vue par Remaides : « Générations Positives : la sérophobie racontée par les personnes concernées, N°2 »

    • Actualité
    • 18.04.2025

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    Paul et Pascale ont témoigné dans Remaides N°118/Hiver 2021.
    Pascale a 58 ans et elle vit avec le VIH depuis 1986.
    Paul, de son côté, a 34 ans et il est séropositif depuis 2009.
    Photo : Fred Lebreton. Composition : Anthony Leprince pour Studio Capuche.

     

    Par Fred Lebreton

    Spécial Sérophobie
    Générations positives : la sérophobie racontée par les personnes concernées, épisode 2

    À l’été 2020, Remaides lançait une nouvelle rubrique : Générations Positives. Son but, organiser des rencontres et des entretiens croisés entre personnes vivant avec le VIH de générations différentes qui ne se connaissent pas et renouer un dialogue parfois compliqué du fait de vécus de VIH très différents. Quatre ans et seize entretiens croisés plus tard, retour sur un fil rouge présent dans quasiment chaque entretien : la sérophobie. Dans cette sélection d’extraits parfois durs et souvent pleins de courage, nos témoins racontent comment ils-elles ont vécu cette sérophobie et comment ils-elles l’ont surmontée. Deuxième épisode.

    Note de la rédaction : les âges des personnes correspondent au moment de la réalisation des entretiens.

    Pascale et Paul

    Remaides : Le VIH a-t-il constitué un frein dans certains de vos projets de vie (parentalité, prêt bancaire, carrière professionnelle etc.) ?
    Pascale :
    Le VIH a surtout été un frein dans ma vie sentimentale et sexuelle pendant des années. À 38 ans, mon conjoint séronégatif de l’époque et moi avons conçu un enfant de manière très artisanale, en vidant le préservatif directement dans moi pendant mon cycle d’ovulation pour éviter tout contact contaminant. Cela a fonctionné au bout de la troisième tentative ! Je suis tombée enceinte, mais malheureusement j’ai fait une fausse couche tardive et mon conjoint m’a quittée. Ça a été une période difficile, mais j’ai rebondi, la preuve ! Ce que je retiens de ces épreuves, c’est que j’ai accepté depuis très longtemps que je suis mortelle, et ça, plus jeune que bien des amis qui découvrent l’idée de la mort aujourd’hui. C’est vrai, trente ans de traitement m’ont bien abimée. La lipodystrophie bien sûr, et mes cartilages sont usés, j’ai des prothèses, et même si certaines sont dues à un accident, il y a de fortes probabilités que les traitements VIH aient eu une incidence. À 50 ans, je suis retournée en thérapie pour construire la suite de ma vie, car je n’avais jamais envisagé de vieillir et c’était une grande surprise. Je n’avais pas construit de famille, ni épargné, ni imaginé qu’une autre maladie non liée au VIH pourrait éventuellement m’attendre. Bienvenue à la vie normale, quoi…

    Paul : Dans l’épreuve, on se renforce. Je ne renie pas cette partie de moi. Le VIH fait partie de moi. Ma vie s’est construite avec ce virus et il fait partie de ma construction identitaire. Sans comparer nos vécus qui sont très différents, après l’annonce de ma séropositivité, j’ai connu un électrochoc de vie et je me suis dit qu’il fallait que j’accomplisse tout ce que je voulais faire dans ma vie et vite. J’avais 22 ans et en quelques semaines j’ai pris dix ans de maturité. Cette annonce m’a donné une force de vie phénoménale. Je dois quand même dire que j’ai dû mentir sur mon statut sérologique pour obtenir un prêt immobilier. C’est absurde car je suis en bonne santé et mon espérance de vie est la même qu’une personne séronégative, mais c’était la seule chance de pouvoir obtenir ce prêt.

     

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    Maya et Léo ont témoigné dans Remaides N°120/Eté 2022.
    Maya a 60 ans et elle vit avec le VIH depuis 1984. Léo a 42 ans et il vit avec le VIH depuis 2010. Photo : Fred Lebreton. Composition : Anthony Leprince pour Studio Capuche.

    Maya et Léo

    Remaides : Comment avez-vous découvert la notion de Tasp ou I = I (Indétectable = Intransmissible) et qu’est-ce que cela a changé dans votre vie ?
    Maya :
    C’est mon médecin qui m’en a parlé et c’était un soulagement, mais je crois que les séronegs ne sont pas suffisamment informés sur ça. Malgré le fait que ma charge virale soit indétectable, je suis incapable d’avoir une relation avec un séroneg. J’ai toujours cette peur de transmettre le VIH. J’ai toujours parlé ouvertement de mon statut sérologique, mais souvent les hommes que je rencontrais avaient peur et fuyaient à cause du VIH. J’ai vécu quinze ans avec mon compagnon de vie, Claude, qui était séropositif. Quand il est décédé, il y a trois ans, j’ai perdu mon meilleur ami et depuis je n’ai pas fait de nouvelle rencontre. J’ai l’impression que c’est plus simple chez les gays qui ont plus de lieux de convivialité et qui sont mieux informés.

    Léo : Ça dépend, tu sais ! Il y a encore beaucoup de sérophobie chez les gays, comme les mecs sur les applis de rencontre qui te demandent si tu es clean. Cette question est horrible et laisse entendre que les séropos seraient sales ! J’ai reçu pas mal d’insultes aussi du genre : « Va crever, le sidaïque ! » Parfois je bloque la personne quand c’est trop violent et parfois je fais de la pédagogie sur indétectable égal intransmissible. C’est mon médecin qui m’a expliqué cette notion vers 2015 et pour moi aussi c’était un gros soulagement. J’en veux à l’État de ne pas faire son boulot pour promouvoir la notion I = I et de ne pas faire respecter les heures obligatoires d’éducation en termes de santé sexuelle et prévention au sein même des collèges et lycées. Pourquoi refuser à des associations la possibilité d’accompagner le corps enseignant dans ces démarches de santé publique ? L’Éducation Nationale a un rôle à jouer pour tous ces gamins afin de les protéger et mettre KO le sida d’ici 2030. Pour l’instant, il n’y a que les assos et les militants concernés qui en parlent !

     

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    Marianne et Sasha ont témoigné dans Remaides N°121/Automne 2022.
    Marianne a 61 ans. Elle vit avec le VIH depuis 1987.
    Sasha, de son côté, a 30 ans. Il vit avec le VIH depuis 2014.
    Photo : Fred Lebreton.

    Marianne et Sasha

    Remaides : Est-ce que le VIH a été un frein dans vos projets personnels ou professionnels ?
    Marianne :
    En partie… J’ai dû renoncer à mon désir d’avoir un second enfant. En 1988, j’ai subi un avortement thérapeutique lors de ma seconde grossesse car je ne voulais pas transmettre le VIH à mon enfant et le laisser orphelin car nous n’avions pas de recul à l’époque. J’ai aussi été très perturbée dans ma sexualité. Le préservatif était obligatoire à l’époque et le plaisir n’est pas le même et j’avais cette peur permanente de contaminer l’autre. Sur le plan professionnel, j’étais institutrice en pays Boni puis Indien au fin fond de la forêt amazonienne, mais en rentrant en métropole en 1994, ma santé s’est dégradée et je suis tombée à 70 CD4. J’ai dû annoncer ma séropositivité à mon inspecteur qui m’a soutenue. On m’a proposé un poste adapté au CNED, le Centre national d'enseignement à distance. Ce fut une expérience extraordinaire et j’avais toujours ma place dans la société. Malheureusement, en 2014, après un congé sabbatique de quatre ans pour faire un voyage en bateau, l’Éducation nationale m’a déclarée invalide et m’a mise en retraite anticipée, ce que j’ai très mal vécu.

    Sasha : Au début, j’étais très en colère contre moi-même. J’ai dû faire un gros travail sur moi pour me débarrasser de cette culpabilité. Il y avait aussi cette peur d’être rejeté. Je n’ai pas eu de vie amoureuse et sexuelle pendant plus d’un an à cause de ça. Je ne voulais pas me confronter à la sérophobie qui est toujours très présente sur des applis de drague gay comme Grindr. On te demande si tu es clean, comme si c’était sale d’être séropo. C’est un terme abject et violent. Aujourd’hui, tout va bien, je suis en couple depuis plus de deux ans avec un homme séronégatif et très informé sur le VIH.
     

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    Serge et Samuel ont témoigné dans Remaides N°122/Hiver 2022.
    Serge a 70 ans. Il vit avec le VIH depuis 1989. Samuel en a 40. Il vit avec le VIH depuis 2013.
    Photo : Fred Lebreton.

    Serge et Samuel

    Remaides : Avez-vous connu la sérophobie dans votre parcours de vie avec le VIH ?Serge : J’ai connu l’homophobie parfois dans ma vie professionnelle, mais pas la sérophobie. Il s’est passé une chose exceptionnelle quand j’ai rencontré l’homme qui est devenu mon mari, il y a presque vingt ans. Je lui ai annoncé ma séropositivité le premier soir et il m’a répondu : « Tu es un acteur de prévention donc j’ai toute confiance en toi ».

    Samuel : Personnellement, j’ai été confronté surtout à de l’ignorance et de la peur. Je me souviens, au tout début, d’un plan à trois avec un couple de garçons qui m’a marqué. Dans le feu de l’action, on n’avait pas utilisé de préservatif et je n’étais pas tranquille avec ce qui s’était passé, alors je leur ai parlé de ma séropositivité et éventuellement d’aller faire un traitement d’urgence. Ils m’ont littéralement traité de « salaud » alors que j’estimais que la responsabilité était partagée. Quand j’ai contracté le VIH, je n’ai jamais fait porter la responsabilité sur la personne qui me l’a transmis. Après cette mauvaise expérience, j’ai toujours annoncé mon statut sérologique avant d’avoir un rapport sexuel.

    Serge : Je te rejoins sur la responsabilité partagée. Le garçon qui m’a transmis le VIH m’avait prévenu qu’il était séropositif. C’est moi qui lui ai dit un jour que je ne voulais plus du préservatif. Il m’a mis en garde sur les risques que je prenais et j’ai répondu que je ne lui en voudrais pas si je contractais le VIH parce que j’étais adulte, consentant et responsable de ma prévention.

    Samuel : Il y a aussi le terme clean  que je trouve épouvantable et qui est encore très courant sur les applis de rencontres. Je réponds avec humour que : « Oui, je me lave » et que les séropos ne sont pas sales. Mais moi aussi, j’ai fait l’erreur d’utiliser ce terme quand j’étais séronégatif, alors j’essaie d’être dans la pédagogie.

     

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    Doriane et Yannick ont témoigné dans Remaides N°123/Printemps 2023.
    Doriane, 48 ans, vit avec le VIH depuis 2011. Yannick, 49 ans, vit avec le VIH depuis 1989.
    Photo : Fred Lebreton.

    Doriane et Yannick
    Remaides : Avez-vous connu la sérophobie dans votre parcours de vie avec le VIH ?Yannick : Au moment de l’annonce, je travaillais en cuisine dans un palace parisien et j’ai dû arrêter ce métier à cause de certaines réflexions que je pouvais entendre et la peur de me couper. L’autre événement brutal, c’est que j’ai perdu tous mes amis en une soirée quand je leur ai annoncé ma séropositivité. Dès le lendemain, des potes que j’avais depuis des années ne voulaient plus me serrer la main. Ça m’a vraiment miné le moral les premiers temps. Plus récemment, en 2022, j’avais des soins dentaires à faire et j’ai consulté la remplaçante de mon dentiste habituel. Au moment de faire le détartrage, elle me demande mes antécédents médicaux. Je l’informe que je suis séropositif en charge virale indétectable. Je l’ai sentie stressée pendant le détartrage et à la fin du soin, elle me dit que pour le prochain rendez-vous, où elle doit m’extraire une racine, elle aura besoin de mon bilan complet VIH afin de mettre, selon ses mots, « le meilleur protocole de soin en place ». J’ai refusé de lui fournir mon bilan car le protocole doit être le même pour tous les patients. J’ai signalé ce refus de soin à l’adjointe à la santé de la Mairie de ma ville, Livry-Gargan et j’ai même proposé une médiation avec cette dentiste, mais, à ce jour, je n’ai aucune nouvelle et cette racine n’est toujours pas extraite.

    Doriane : Je me sens chanceuse quand je t’écoute Yannick car je n’ai pas subi de sérophobie de façon aussi frontale. Mais j’avais un projet de partir vivre au Canada que j’ai dû abandonner car à cette époque-là, le Canada refusait le séjour de personnes séropositives étrangères. J’ai fait des études de biologie et de bio-technologie donc j’ai un rapport au corps médical peut-être plus d’égal à égal. Je prends la parole aujourd’hui à visage découvert car le VIH en 2023 n’est plus une maladie dramatique quand on est dépisté et traité. Il faut briser les tabous autour de toutes les maladies. Il y a aussi un vrai problème de représentation des personnes séropositives dans les médias, dans les films, dans les séries, etc. Quand on n’est pas représenté, quand on n’est pas visible, on n’existe pas dans la société.