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    L'Actu vue par Remaides : Générations positives : Joël et Joao, un dialogue intergénérationnel autour de la vie avec le VIH

    • Actualité
    • 16.07.2024

    Joel et joao

     

    © Fred Lebreton

    Par Fred Lebreton

    Générations Positives : Joel et Joao, un dialogue intergénérationnel autour de la vie avec le VIH

     

    Aujourd’hui, 15 avril 2024, j’ai rendez-vous avec deux personnes vivant avec le VIH de deux générations différentes. Joël a 53 ans. Il vit avec le VIH depuis 1994. Joao, de son côté, a 32 ans. Il vit avec le VIH depuis 2015. Ils ne se connaissent pas et, pour Remaides, ils ont accepté de se prêter à l’exercice de l’entretien croisé.
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    Remaides : Dans quelles circonstances avez-vous découvert votre séropositivité et quelles ont été les répercussions sur votre vie, les premiers temps ?

    Joël : J'ai découvert ma séropositivité le 10 octobre 1994, quatre jours avant mon 24è anniversaire. À l’époque, je vivais en Jamaïque et je faisais partie d'une association : Jamaica AIDS Support. Comme il y avait beaucoup de personnes de mon entourage qui étaient séropositives, j’ai décidé de faire un test VIH, qui s’est avéré positif. Un diagnostic VIH en 1994 en Jamaïque ; c’était comme une peine de mort ! On me donnait cinq ans maximum d’espérance de vie. Cette annonce m’a traumatisé. L’idée de mourir jeune m’était insupportable. Il n’y avait pas de traitement en Jamaïque, alors au bout de trois ans et comme ma santé se dégradait j’ai décidé de m’installer au Costa Rica. J’ai quitté mon pays aussi à cause d’un climat très homophobe : une chasse aux homosexuels. En 1995, j'étais dans mon appartement avec mon petit copain en train de regarder la télé et la police a débarqué subitement. Ils ont défoncé la porte et nous ont emmenés et placés en garde à vue. J'ai passé quatre mois en rétention où j’ai été battu et humilié. J’ai encore des traces physiques de ces maltraitances. 

    Joao : Tu as vécu deux violences : l’absence de médicaments et l’homophobie policière…

    Joël : Oui et beaucoup d'homosexuels se sont fait tuer dans les années 80 et 90 en Jamaïque. Partir au Costa Rica en 1997 m’a doublement sauvé la vie. C’est dans ce pays que j’ai commencé mon premier traitement VIH et c’est là-bas que j’ai pu vivre librement mon homosexualité. Je suis tellement content d'être en vie aujourd'hui.

    Joao : Et pourquoi le Costa Rica ?

    Joël : Parce que je n'avais pas de visa pour les États-Unis ou le Canada. Et j'ai fait une recherche en ligne qui m’a rassuré car c’était un pays qui acceptait l’homosexualité. J’ai bien fait de choisir le Costa Rica car c'est le seul pays où j’ai pu travailler en étant ouvertement gay, sans avoir peur de personne. Le Costa Rica m'a aidé à m'accepter comme je suis. Quelques années plus tard, en 2005, je me suis installé en France.

    Joao : J’ai découvert ma séropositivité au Brésil, le 11 septembre 2015. Cela faisait un an que je venais de rentrer de France. Je suis né au Brésil en 1992 et je suis venu en France, à Marseille de juin 2012 à juin 2014 pour faire mes études d’ingénieur en mécanique. J’avais quitté le Brésil pour retrouver ma liberté et échapper au contrôle de ma mère. Mon arrivée en France correspondait à un moment d’indépendance et de liberté sexuelle. Mais, en janvier 2014, mon premier petit copain m'a quitté du jour au lendemain. Raison pour laquelle, j’ai décidé de rentrer au Brésil. En juillet 2015, j’ai rencontré un mec au Brésil et suis tombé amoureux de lui. Il s’appelait Joao comme moi ! Très vite, il m’annoncé qu’il était séropo depuis pas très longtemps. Ce qui m'a marqué, c’est sa façon de marcher sur des œufs pour me le dire. J'ai ressenti sa peur d’être rejeté en me le disant. Il était beaucoup plus sportif que moi et en meilleure santé que moi donc je me suis dit, ça se trouve, ce n'est pas la fin du monde d’être séropositif.

    Joël : Parce que là, tu venais d'apprendre que tu étais séropositif ?

    Joao : Non, je ne savais pas encore. On voulait avoir des rapports sans préservatifs, alors mon copain m'a demandé de me faire tester. J’étais sûr et certain d’être séronégatif parce que je n’avais eu des rapports sans préservatifs qu’avec seulement deux partenaires. J’avais ce stéréotype que le VIH était lié à une vie sexuelle très active ou aux consommations de drogue. Pour moi, ce test était juste une formalité. L’annonce de ma séropositivité a été quelque chose d’horrible et très traumatique. J’avais l’exemple de mon copain qui était séropo et en bonne santé et pourtant j’avais peur de mourir seul et très maigre sur un lit d’hôpital. J’ai vraiment senti que c'était la fin de ma vie. Quand je suis allé chez mon copain, juste après l’annonce, il m'a pris dans ses bras. Et c'est là où j'ai commencé à pleurer. Je lui ai demandé s'il pouvait m'accepter parce que je me sentais sale. Et j’avais peur que plus personne ne veuille me toucher. J’habitais encore chez mes parents à cette époque et j’étais étudiant. Pendant des mois, il a fallu faire semblant que tout allait bien, puis cacher mes médicaments. Finalement, je suis retourné en France en août 2016 pour notamment fuir le coup d'état de Dilma [Roussef, présidente du Brésil de 2011 à 2016, ndlr] et l'arrivée au pouvoir de Bolsonaro [président du Brésil de 2019 à 2023, ndlr].

    Remaides : Avez-vous vécu des expériences de sérophobie dans votre parcours de vie avec le VIH ?

    Joël : Ah oui, chez le dentiste et deux fois en plus ! C’est terrible. Quand le dentiste a su que j’étais séropositif, il a mis une deuxième paire de gant. C’était il y a quatre ans. Je lui ai dit que j’étais en charge virale indétectable depuis des années, mais il n’avait pas l’air de connaitre grand-chose au VIH. J’ai quitté la salle de soins car j’ai vécu ça comme une vraie discrimination.

    Joao : J’ai vécu plusieurs expériences sérophobes toujours avec le corps médical, que ce soit au Brésil ou en France. La première fois, c'était le 11 septembre 2015, juste après l’annonce de ma séropositivité. Au moment de faire la prise de sang pour le test de confirmation, l’infirmière me demande : « Tu es passif ? ». Sur le coup, je ne comprends pas trop pourquoi cette question. Je lui réponds : « Oui, j'ai été probablement passif lors de ce rapport sexuel… ». Et là, elle fait un commentaire qui m’a beaucoup choqué en disant que, en gros, je l’avais bien cherché et que les gays passifs avaient plus tendance à contracter le VIH. Sa question était non seulement intrusive, mais déplacée. Cela a impacté énormément ma vie sexuelle par la suite car, depuis, j’associe le fait d’être pénétré sexuellement, avec la maladie. Il y a cette notion catholique et très homophobe/sérophobe que sodomie = VIH = « punition divine ».

    Remaides : Comment avez-vous découvert  I = I (Indétectable = Intransmissible) et qu’est-ce que cela a changé dans votre vie ?

    Joël : Wow… ma vie a tellement changé quand mon médecin m’a expliqué Indétectable = Intransmissible. D’abord, il y a le fait d’avoir des rapports sans capote sans craindre de transmettre le virus. Pendant des années au Costa Rica, je faisais l’amour toujours avec capote, mais je ne vais pas mentir, c’est plus agréable sans. Et puis ça donne de l’espoir pour guérir complément du VIH. Je devais mourir au bout de cinq ans. Trente ans après, je suis toujours là et ma charge virale est indétectable !

    Joao : J’ai découvert cette notion le jour où mon copain de l’époque m’a annoncé qu’il était séropositif indétectable. On était en 2015 et je n’avais jamais entendu parler de ça avant. J'ai cherché sur Google ce que cela voulait dire et j’ai compris qu’il ne pouvait pas me transmettre le VIH. Et puis, ironie de la vie, deux semaines après, j'ai su, à mon tour, que j’étais séropositif. J’ai commencé mon traitement une semaine après l’annonce et presque un mois et demie après, j'avais déjà une charge virale indétectable. Donc, c'était très rapide et très efficace. Je trouve que c'est dommage que beaucoup de gens ignorent cette notion encore en 2024. D’un point de vue médical, c’est une avancée majeure. Ce n'est pas parce que je suis infecté que je suis malade. Les mots sont importants. Je ne suis pas malade du sida, je suis infecté par le VIH. Beaucoup de personnes vivent avec des virus « endormis ». Par exemple, plus de 90 % de la population a vécu avec le HPV et personne ne dit rien. Je n'ai jamais compris pourquoi on me stigmatisait parce que je vivais avec un virus qui est contrôlé. Ça ne me définit pas. Au contraire, ça me rend plus fort.

    Remaides : Quelle place ont les traitements VIH dans votre vie aujourd'hui ?

    Joël : Les premières années, j'avais des médicaments comme le Crixivan et le Norvir [noms commerciaux de l’indinavir et du ritonavir, parmi les premiers traitements VIH à base d’antiprotéases commercialisés en 1996, ndlr] qui me provoquaient beaucoup d’effets indésirables comme des brûlures d'estomac, des diarrhées, etc. Il fallait prendre plusieurs comprimés par jour à heures fixes. Je devais mettre mon réveil, c’était très contraignant. Mais après mon arrivée en France en 2005, j'ai eu accès à des traitements moins lourds. Maintenant, je prends un cachet par jour le matin au réveil et tout va bien. Je me sens libre.

    Joao : Moi, honnêtement, j'en ai marre des médicaments. Ça me pèse énormément tous les matins de prendre un médicament parce que ça me rappelle justement que je vis avec le VIH. J’ai presque honte de dire ça devant Joël qui prend des traitements VIH depuis presque 30 ans et je mesure ma « chance » d’avoir eu accès à des traitements moins lourds. Je prends un cachet par jour, c’est une bithérapie mais cela reste un traitement avec une toxicité associée donc, à partir du moment où on prend un médicament par jour, il faut qu'on fasse beaucoup plus attention à notre santé. J’aimerais bien passer au traitement injectable. Je pense que ça soulagerait ma charge mentale actuelle de devoir prendre un médicament par jour, à vie.

    Remaides : En quoi est-ce important pour vous de témoigner à visage découvert aujourd’hui ?

    Joël : Je veux faire passer le message que, aujourd’hui, une annonce de séropositivité ce n’est plus une peine de mort comme je l’ai vécue en 1994 en Jamaïque. Aujourd’hui, on peut vivre normalement avec le VIH, travailler, avoir des enfants et vivre longtemps…

    Joao : Voire plus longtemps que certaines personnes séronégatives car on fait des bilans complets régulièrement.

    Joël : Oui et j’ai du mal à comprendre pourquoi il y encore autant de contaminations VIH aujourd’hui alors qu’il y a la Prep…

    Joao : Beaucoup de personnes ne connaissent pas la Prep. On n'en parle pas parce qu'on n'a pas d'éducation sexuelle tout simplement. La majorité de mes amis hétéros ne savent pas que ça existe et quand je leur explique ce qu’est la Prep, ils me disent que c’est un truc pour les gays !

    Joël : Alors que le VIH peut concerner tout le monde !

    Joao : Moi, pendant longtemps, j’ai mal vécu le fait de cacher ma séropositivité, d’en faire un secret un peu honteux et de devoir faire un deuxième coming out à chaque nouvelle rencontre amoureuse. Il y avait toujours cette peur au fond de moi d’être jugé ou rejeté. C’est toi [Joao se tourne vers Fred, ndlr] qui m’a fait comprendre le concept de « sérofierté ». Au début je n’avais pas compris. Je me suis dit : « Mais pourquoi il est fier d'être séropositif » et ensuite j’ai compris que ça voulait dire : ne plus avoir peur, ne plus avoir honte. Et le contraire de la honte, c’est la fierté. La fierté au sens politique du terme. Toutes les choses que j'ai vécues m'ont donné de la force aussi pour pouvoir aller au-delà. Témoigner à visage découvert pour moi fait partie de cette démarche de fierté et d’estime de soi.

    Remaides : Comment vous voyez-vous dans dix ans ?

    Joao : Suite à mon burn-out et aux nombreuses violences médicales que j'ai subies, j'ai décidé de me tourner vers un métier plus humain et à plus grande valeur ajoutée. Devenir thérapeute ayurvédique [lié aux principes de l’ayurvéda, une médecine traditionnelle indienne, ndlr] est ainsi devenu une évidence pour moi. Dans dix ans, j'espère que mon atelier ayurvédique, SINTROPIA AYURVEDA, sera en mesure d'accueillir toute la communauté LGBT+, notamment les séropositifs. Avec cette médecine holistique et humaine, nous pourrons travailler ensemble pour soulager la charge émotionnelle liée à nos traumas et expériences souvent brutales, qui se manifestent au niveau physique. Je fais référence à ce que j'appelle la « sclérose musculaire », c'est-à-dire des émotions cristallisées dans notre corps. L'objectif est de créer un espace sûr où chacun peut être pris en charge sans jugement, se sentir écouté et pleinement compris. Je trouve que c'est un beau projet : aider autrui à accepter son passé afin de pouvoir s'aimer tel qu'on est. 

    Joël : Je n’ai pas de projet précis pour les années à venir si ce n’est peut-être m’engager plus dans le milieu associatif et faire de la prévention. C’est ça mon message, faites-vous dépister et traiter car le VIH n’est plus une peine de mort. Je vis au jour le jour et je profite de chaque instant parce que pendant longtemps j’ai cru que j’allais mourir jeune. Cette année, en 2024, marque mes 30 ans avec le VIH et je vais bien. Je fais la fête, je danse, je drague, je vis ! J’aimerais vraiment voir grandir mes deux petits-fils. Naithan est le premier, il a 13 ans et Jordan a maintenant 5 ans. Ma fille Kimora aura 36 ans en septembre. Ils sont ma raison et ma motivation pour continuer à vivre au jour le jour.

    Un grand merci à Joël et Joao

    Cet article est publié dans le Remaides 128 (été 2024)

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