L’Actu vue par Remaides : « Droit au séjour pour soin des étrangers-ères malades : quand la droite met des vies en danger »
- Actualité
- 21.02.2025
Des militants-es de AIDES défendent les droits des personnes étrangères malades
en marge du congrès de la SFLS à Paris. DR
Par Jean-François Laforgerie
Droit au séjour pour soin des étrangers-ères malades : quand la droite met des vies en danger
La course à l’échalote entre la droite et l’extrême-droite à propos du « problème » (comme ils disent) de l’immigration en France ne porte pas uniquement sur la question de l’Aide médicale d’État ― même si cette dernière a souffert des arbitrages budgétaires dans la loi de finances 2025. Elle concerne désormais le droit au séjour pour soins pour les personnes étrangères malades (Dasem). Récemment, la Droite Républicaine ― le nouveau nom des Républicains depuis le schisme avec Éric Ciotti ― a relancé le « débat » avec une proposition de loi visant à abroger ce droit. Plusieurs associations sont montées au créneau pour dénoncer cette initiative qui, si elle prospérait, « mettrait des vies en danger ». Explications.
Le 6 février, l’Assemblée nationale a, dans le cadre d’une niche parlementaire, tenté de débattre d’une proposition de loi issue de la Droite républicaine, déposée le 3 décembre 2024. Le texte comportait un article unique ainsi rédigé : « L'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile [Ceseda, ndlr] est abrogé. ». Autrement dit, le dispositif du droit au séjour pour soins des étrangers malades serait supprimé.
Cette proposition de loi a été signée par 44 députés-es, dont l’ancienne députée Véronique Louwagie, pourfendeuse de l’AME à laquelle elle a consacré de nombreux rapports, et actuelle ministre déléguée chargée du Commerce, de l'Artisanat, des Petites et Moyennes entreprises et de l'Économie sociale et solidaire ou encore Laurent Wauquiez, député de la Haute-Loire et président du groupe Droite républicaine à l’Assemblée nationale, comme premiers signataires. Bien évidemment, séparation des pouvoirs oblige Véronique Louwagie, désormais ministre, n’est plus signataire de cette proposition dont elle reste cependant l’inspiratrice et une des principales rédactrices. On y trouve également la signature de Yannick Neuder, alors député LR, et qui est aujourd’hui le ministre de la Santé. Parlementaire, il défendait donc la proposition de loi pour supprimer le droit au séjour pour soin.
Pourquoi relancer le "débat" sur cette proposition de loi ?
Plusieurs explications sont possibles. C’est peut-être une façon pour Laurent Wauquiez, désormais tête d’affiche des signataires du texte, de ne pas se laisser distancer par Bruno Retailleau. Le ministre de l’Intérieur en fait beaucoup contre l’Immigration et afficher une forme de « fermeté » contre les personnes étrangères même malades peut être un signal adressé à ses troupes. D’autant que tout récemment, les deux hommes se sont retrouvés en tête à tête à Beauvau pour un dîner, mardi 4 février, dans une ambiance dont Le Figaro nous dit qu’elle a été « tendue ». Il semble que les deux hommes soient en lice pour la tête de la droite lors des futures échéances présidentielles. Et ça coince ! Il est à craindre que le « problème de l’immigration » soit, une fois de plus de la partie. Autre hypothèse : il s’agit d’un épisode de plus dans la course à l’échalote avec l’extrême-droite et, à la clef, l’idée que la Droite Républicaine pourrait faire revenir au bercail des électeurs-rices partis-es vers Éric Ciotti et son UDR (Union des droites pour la République), voire vers le RN. Autre hypothèse : l’initiative permettrait de jouer la carte du bouc-émissaire plutôt que de débattre des grands sujets du moment (budget, dette, etc.) sur lesquels la droite est très divisée, entre ceux et celles qui sont dans le gouvernement de François Bayrou et les autres. Enfin, on ne peut pas écarter d’un revers de main le nouveau contexte créé par l’impact politique de la tirade de François Bayrou sur le « sentiment de submersion ». Le message concernait Mayotte, mais pas seulement. Il avait aussi pour ambition de faire passer un message à une partie de l’opinion publique plus ou moins hostile aux étrangers-ères sur le mode : « Vous avez bien raison de penser ce que vous pensez ; la preuve, je pense comme vous. » L’initiative de la Droite républicaine est de la même eau : « Vous trouvez qu’il y a trop d’étrangers-ères, nous aussi, d’ailleurs on prend une initiative pour en limiter le nombre. »
Il ne s’agit là que d’hypothèses, mais regardons plutôt comment argumente l’exposé des motifs.
Comment la Droite Républicaine justifie-t-elle cette suppression ?
L’exposé des motifs indique clairement l’objectif du texte : « Mettre fin à la procédure d’admission au séjour pour soins prévue à l’article L 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ».
Pour quelles raisons ? D’abord parce qu’il s’agirait « de l’un des dix dispositifs existants, en plus de l’aide médicale de l’État (AME), permettant de dispenser des soins à des étrangers en situation irrégulière ». C’est ce qu’expliquerait un rapport d’information sur l’évaluation du coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière (rapport n° 1244, déposé le mercredi 17 mai 2023) dont l’autrice est l’ancienne députée Véronique Louwagie, actuelle ministre. Pour les députés-es de la Droite Républicaine, cette procédure serait ensuite « largement dévoyée de son objectif initial ». L’exposé des motifs indique ainsi qu’à l’origine : « Il s’agissait principalement de permettre à des étrangers en situation irrégulière, présents depuis un certain temps sur notre sol, d’être régularisés pour recevoir des traitements contre le virus de l’immunodéficience humain (VIH), qui n’existaient pas dans leur pays d’origine. Or, il concerne aujourd’hui massivement des étrangers venus spécifiquement en France pour bénéficier de la prise en charge de maladies chroniques liées aux modes de vie (obésité, diabète, maladies cardiovasculaires, cancers). » C’est ce que prétend la Droite Républicaine.
Et cela s’expliquerait par des « critères d’attribution de ce titre de séjour (…) extrêmement attractifs puisqu’il peut être accordé dès lors que le soin n’est pas accessible dans le pays d’origine, même pour des raisons économiques. » D’ailleurs, l’Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), rattaché au ministère de l’Intérieur, souscrit à cette thèse comme il l’écrit dans son rapport annuel : « Il ne s’agit pas toujours de recherche de soins non disponibles dans le pays d’origine, mais celle de soins de meilleure qualité que ceux qui y existent pourtant, ou de soins très onéreux et innovants, que seul un système comme l’Assurance maladie en France permet d’offrir ».
Et l’exposé des motifs d’affirmer : « Les critères d’attribution du titre de séjour rendent alors la procédure "ouverte potentiellement à toutes les personnes dans le monde qui n’ont pas accès à une couverture sanitaire optimale" (…) chaque année des demandes venant de ressortissants de pays membres du G20 sont déposées, dont des Américains, des Canadiens ou encore des Japonais. »
Autre problème selon les signataires, il s’agirait d’une « exception française » puisque seule la France proposerait un titre de séjour pour soins. Pour les députés-es DR, ce dispositif « constitue incontestablement un appel d’air migratoire vers la France » [ce que la DR ne démontre pas ; dans les faits, les études disent le contraire, ndlr] ; de surcroît, il représente un « coût important pour nos finances publiques », mais « qu’il est impossible d’estimer avec précision puisque les dépenses liées au traitement des étrangers bénéficiant de ce titre de séjour sont imputées à l’Assurance maladie, sans possibilité de les isoler selon le titre de résidence de l’assuré ».
Mais si on ne sait pas vraiment le montant en cause, ce qui est tout de même une sérieuse lacune dans l’argumentation de la DR, on peut toujours faire des calculs. Le rapport s’y est essayé. « Environ 5 000 dossiers d’étrangers malades pour insuffisance rénale sont recensés. Le coût d’un traitement par dialyse oscille entre 80 000 et 100 000 euros par an. Aussi, pour le seul cas des étrangers traités pour insuffisance rénale, le coût annuel serait de l’ordre de 400 à 500 millions d’euros », avance l’exposé des motifs. Par ailleurs, dans son rapport, l’Ofii indique avoir identifié « une vingtaine de patients bénéficiant d’une thérapie médicale ou d’un médicament dont le coût annuel varie de 50 000 euros à 650 000 euros. Les montants estimés, même approximatifs, sont clairement sous pondérés car n’incluant que le prix du schéma posologique et ne comprennent pas le séjour hospitalier ». Le nombre total d’étrangers-ères bénéficiant d’un titre de séjour de ce type serait de l’ordre de 30 000.
Retour à l’objectif initial de la proposition : « L’existence de ce titre de séjour n’apparait plus justifiée. » Voilà pour l’argumentation des initiateurs-rices du texte. Tout le monde ne la partage pas, ni les conclusions que la Droite Républicaine croit pouvoir en tirer.
"Droit au séjour pour soins : sa suppression par les députés mettrait des vies en danger"
C’est par voie de communiqué que plusieurs ONG (France Assos Santé, Renaloo, AIDES, la Fédération Française des Diabétiques, Alliance Maladies Rares, SOS Hépatites et maladies du foie) ont réagi le 4 février, en amont des débats en séance publique. Cette abrogation du dispositif du droit au séjour pour soins des étrangers malades, « bien que rejetée en commission des Lois, mercredi 29 janvier 2025 [à l’Assemblée nationale, ndrl], si elle était adoptée, condamnerait à mort des milliers de personnes étrangères gravement malades en France », dénoncent-elles.
« Le droit au séjour pour soins, mis en place à la fin des années 90, est un dispositif humanitaire. Il n’a jamais, contrairement aux fantasmes agités régulièrement, constitué un "appel d’air", mais constitue le socle d’une politique de santé publique efficace, derrière laquelle se joue la survie de personnes malades qui résident déjà en France et qui sont privées du "bénéfice effectif d’un traitement approprié" dans leur pays d’origine. C’est le cas de nombreuses personnes souffrant d’une pathologie chronique », développe leur texte. L’an dernier déjà, la loi Darmanin « pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration » avait tenté de raboter ce dispositif, pourtant parmi les plus contrôlés, et dont l’appréciation est placée entre les mains de l’Ofii.
Les ONG ont aussi des chiffres à mettre en avant : « En 2023, 3 169 personnes seulement ont bénéficié d’un premier titre de séjour "étrangers malades" (en repli de 25,5 % par rapport à 2021). Moins de 30 000 bénéficiaires d’un titre de séjour attribué pour ce motif vivent en France. La plupart depuis de longues années. ».
Les ONG pointent surtout les conséquences de la disparition de ce dispositif. « Si la proposition de loi était adoptée par le Parlement, les personnes risqueraient d’être expulsées dans leur pays d’origine où elles ne pourront pas être soignées. Placées en situation irrégulière, elles ne bénéficieront plus de la protection universelle maladie, mais de l’Aide médicale d’État, dispositif dont l’accès, de plus en plus complexe et tardif, entraîne des complications et des surcoûts hospitaliers, en contradiction profonde avec les programmes et objectifs de santé publique. Une menace pour la santé des étrangers-ères est, par extension, une menace pour la santé publique. »
Le communiqué entend répondre à certains arguments de la Droite Républicaine. Ainsi lorsque les parlementaires signataires de cette proposition de loi pointent du doigt le coût des traitements, dont celui de la dialyse qui « oscille entre 80 000 et 100 000 euros par an » et par personne, les ONG estiment que ce « chiffre est exagéré ― le coût moyen de la dialyse est d’environ 63 000 euros par an pour l’Assurance maladie ― et note que les « patients ne sont pas responsables du prix des traitements ».
« Plus grave encore, en affirmant que le droit au séjour des personnes étrangères malades "concerne aujourd’hui massivement des étrangers venus spécifiquement en France pour bénéficier de la prise en charge de maladies chroniques liées aux modes de vie (obésité, diabète, maladies cardiovasculaires, cancers)" les parlementaires cèdent à une évaluation morale entre les bonnes et les mauvaises maladies, les bons et les mauvais patients, jugés responsables de leur état de santé », taclent les ONG.
« Nos associations alertent avec gravité sur les conséquences de telles affirmations et stigmatisations, là encore nuisibles à tous les principes de santé publique », soulignent-elles.
Dans leur communiqué, les organisations ont logiquement conclu en appelant « les parlementaires à voter contre la suppression du droit au séjour pour raisons médicales, synonyme de condamnation à mort de plusieurs milliers de personnes malades vivant sur notre territoire et de menace grave pour la santé de toutes et
tous. »
Un débat avorté... en séance publique
Initialement, la proposition de loi devait faire l’ouverture de la niche parlementaire de la Droite Républicaine (le 6 février). Elle a, la veille de la niche, été repoussée en dernier dans l’ordre du jour et remplacée en démarrage de séance publique par le texte limitant le droit du sol à Mayotte, qui, lui, a été adopté dans la douleur. Les débats sur ce texte controversé ont duré toute la journée du 6 février ; de ce fait, la proposition de loi supprimant le droit au séjour pour soins n’a pu être débattue.
Si le texte de DR n’est pas passé (un sursis ?), il est intéressant de comprendre les éléments discutés par les députés-es lors des travaux en commission et qui ont donné lieu au rapport du député Éric Pauget (Droite Républicaine), rapporteur pour cette proposition. D’autant qu’ils pourraient être la base d’une nouvelle offensive contre le droit au séjour pour soins.
Le rapport d’Éric Pauget dresse le portrait d’une France « dotée (…) d’un dispositif complet de prise en charge des frais médicaux des étrangers présents sur son territoire, y compris lorsqu’ils sont en situation irrégulière. » L’une de ces modalités est « l’admission au séjour pour soins », qui permet la délivrance d’une carte de séjour temporaire à une personne étrangère résidant de façon habituelle en France, lorsque son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont l’absence pourrait avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qui ne pourrait pas bénéficier d’une prise en charge adaptée dans son pays d’origine.
On voit bien là, la dimension humanitaire du dispositif apparu dans les années 90, dont ont pu bénéficier des personnes vivant avec le VIH. La création de ce titre était le moyen de protéger « contre les mesures d’éloignement, au bénéfice des étrangers dont le pronostic vital était engagé », reconnait volontiers le rapport Pauget, qui en conteste aujourd’hui plusieurs évolutions. Il cite notamment un élargissement du dispositif à de « nombreuses pathologies », une supposée « redondance avec d’autres mécanismes [PUMa, AME, etc., ndlr], le fait que ce titre serait désormais « dévoyé en opportunité de régularisation ».
Bien évidemment le rapport a ses partis-pris. L’un des principaux arguments est que l’AME permet une prise en charge des soins pour les personnes sans titres de séjour valides. Du coup, il ne serait pas nécessaire de « lier accès aux soins et mesure de régularisation. » Un autre argument tient la corde pour justifier une remise en cause du Dasem : des ressortissants-es de pays riches (États-Unis, Canada, Japon ou Chine) en bénéficieraient, accréditant l’idée d’un supposé tourisme médical.
Le VIH, une situation à part
Le rapport Pauget revient sur la question du VIH. S’il rappelle (voir plus haut) que la prise en charge des PVVIH étrangères était à l’origine du Dasem, il avance qu’aujourd’hui la situation a changé et laisse entendre que cette protection des PVVIH ne serait plus nécessaire. Le rapporteur explique ainsi : « Les infrastructures médicales se sont beaucoup développées dans de nombreux pays, notamment grâce à des programmes internationaux soutenus par la France. À titre d’exemple, les traitements contre le sida sont aujourd’hui accessibles dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne. »
Pour rappel, la loi n° 98-349 du 11 mai 1998, présentée par le gouvernement de Lionel Jospin, avait créé d’une part une protection contre l’éloignement, et d’autre part un droit à délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », sous réserve que la présence de l’étranger-ère ne constituait pas une menace pour l’ordre public. C’est ce titre « vie privée et familiale » qui englobe, entre autres, le droit au séjour pour soins, mais on y trouve également le titre de séjour pour parent d'enfant français-e, conjoint-e de Français-e, etc. Le droit au séjour pour soins a été mis dans cette catégorie notamment pour que n'apparaisse pas sur le titre de séjour l'état de maladie de la personne concernée par la demande. Et le rapport Pauget d’expliquer : « Cette possibilité de suivre un traitement en France a été ouverte, en particulier, au bénéfice des étrangers atteints par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), lorsqu’ils sont ressortissants de pays ne disposant pas de systèmes de santé offrant une prise en charge adaptée. À cet égard, une circulaire du 30 septembre 2005 invitait les médecins concernés à considérer que « dans l’ensemble des pays en développement, il [n’était] pas encore possible de considérer que les personnes séropositives [pouvaient] avoir accès aux traitements antirétroviraux ni à la prise en charge médicale nécessaire pour les porteurs d’une infection par le VIH ».
Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’administration considère de façon très discrétionnaire que les ARV sont effectivement accessibles à tous et toutes partout dans le monde, ce qui est faux. De ce fait, très régulièrement des personnes vivant avec le VIH se voient refuser un titre de séjour pour soins et sont renvoyées dans leur pays d’origine.
La situation actuelle est le résultat des nombreux changements législatifs qui ont été opérés par quasiment tous les gouvernements. Certains sont consécutifs à des décisions de jurisprudence administrative (avis du Conseil d’État, par exemple). Un grand changement s’est produit en 2018 avec la loi (n° 2018-778 du 10 septembre 2018) pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Cette dernière a introduit une dérogation au secret médical pour permettre aux médecins de l’Ofii, sous réserve de l’accord de la personne étrangère, de demander aux professionnels-les de santé concernés-es les informations médicales nécessaires à la rédaction de l’avis médical prévus pour l’instruction de la demande. »
Nouveau changement, quelques années plus tard, avec l’article 9 du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. Comme le détaille le rapport Pauget, dans sa version adoptée par la commission mixte paritaire, la loi entendait modifier le dispositif sur plusieurs points. Par exemple, en établissant une restriction de la condition relative aux caractéristiques du système de santé du pays d’origine, la notion de bénéfice effectif étant remplacée par celle de « l’absence d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l’autorité administrative après avis du service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ». Cet article, ayant été considéré comme sans lien avec les dispositions initiales du projet de loi traitant de l’asile, avait été censuré par le Conseil constitutionnel ; ce que semble regretter le rapport.
Cet article a cependant été repris dans un amendement déposé par le groupe Horizons à la proposition de loi des Républicains.
Accès effectif ou absence de traitement ?
La loi Besson du 16 juin 2011 relative à l'immigration et à l'intégration a considérablement restreint le droit au séjour pour soins des étrangers-ères gravement malades vivant en France. À cette période, ce dispositif concernait 28 000 personnes, dont 6 000 personnes vivant avec le VIH. Il leur permettait de rester légalement sur le territoire français et de bénéficier d'un traitement et d'un suivi médical auxquels ces personnes n'avaient pas accès dans leur pays d'origine. Avec la loi Besson, présidence de Nicolas Sarkozy, ce droit au séjour était subordonné à « l’absence » d’un traitement approprié dans leur pays d’origine. Les particularités de la situation individuelle du-de la demandeur-se (éloignement géographique par rapport au centre de soins, coût et qualité du traitement, etc.) n’étaient plus prises en compte.
Remontons un peu dans le temps. La loi du 11 mai 1998 prévoit qu’une personne étrangère gravement malade obtienne de plein droit un titre de séjour, à condition que son état de santé « nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire ». La circulaire du 12 mai 1998 précise ce qu’entend le législateur quant à la possibilité de l’étranger-ère de « ne pouvoir effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine ». « Pour évaluer ce critère, il faut prendre en considération "non seulement l’existence de moyens sanitaires adéquats, mais encore des capacités d’accès du patient à ces moyens", ce qui implique de tenir compte notamment des structures existantes, des ressources humaines et techniques disponibles ainsi que de la possibilité pour l’intéressé de bénéficier d’un suivi régulier en tenant compte de la distance séparant son domicile des établissements de soins équipés et du coût réel des soins », explique le Rapport droit au séjour pour soins, publié par AIDES (octobre 2013). ’est sur ce critère du bénéfice effectif d’un traitement approprié que va naître la discorde entre les juges (Conseil d’Etat) et le gouvernement Fillon. Un arrêt va servir de prétexte à une réforme restreignant fortement l’accès au titre de séjour pour raison médicale : c’est la fameuse loi Besson. En substituant au critère de l’impossibilité pour l’étranger-ère de bénéficier effectivement, dans son pays d’origine, d’un traitement approprié celui de l’absence de traitement approprié, le texte affirme que « la seule existence, même théorique, d’un traitement approprié dans le pays d’origine suffirait à considérer que [la personne concernée] n’est pas fondée à demander un titre de séjour pour raison médicale et doit retourner dans son pays pour recevoir des soins. » Le ministère de la Santé de l’époque a certes tenté de limiter les dégâts en rappelant deux anciennes circulaires ministérielles (septembre 2005 et octobre 2007) expliquant que « dans l’ensemble des pays en développement, il n’est pas encore possible de dire que les personnes séropositives peuvent avoir accès aux traitements antirétroviraux ni à la prise en charge médicale nécessaire pour les porteurs d’une infection par le VIH » ; leur effet a été très limité. D’ailleurs, rappelle le rapport de AIDES, les associations de l’Observatoire des droits à la santé des étrangers (ODSE) ont alors constaté la multiplication d’avis médicaux défavorables, de refus de séjour, de placements en rétention et d’expulsions de personnes étrangères malades remplissant pourtant les conditions médicales requises alors.
"Un nombre important de bénéficiaires", critique le rapport Pauget
Selon le rapport de l’Ofii sur l’admission au séjour pour soins au titre de l’année 2022, 181 089 demandes d’admission au séjour pour soins ont été enregistrées entre 2017 et 2022. Le nombre d’avis favorable au maintien sur le territoire étant de 57,6 % en moyenne. Au titre de la seule année 2023, le nombre de demandes enregistrées par l’Ofii est de 24 858, en hausse de 2,8 % par rapport à 2022. Au total, le pourcentage d’avis favorables des médecins de l’Ofii sur ces demandes s’élève à 64,1 %. Le nombre de premiers titres de séjour pour soins délivrés par les préfectures est, quant à lui, de 3 090, en baisse de 6,1 % par rapport à l’année précédente, indiquent les données de l’Ofii.
Qu’en est-il des personnes vivant avec le VIH en matière d’admission au séjour pour soins ? Citant l’Ofii, le rapport Pauget explique que sur la période 2017-20222, les maladies infectieuses (les personnes vivant avec le VIH y sont comptabilisées) et parasitaires ont représenté 25,2 % des demandes. Et Éric Pauget d’écrire : « Le titre de séjour "étranger malade" bénéficie aujourd’hui à de nombreuses personnes, dans le cadre de traitements pour des pathologies allant bien au-delà de la lutte contre le VIH. En 2022, seules 4 119 demandes liées à cette pathologie ont été enregistrées, soit 18,4 % de l’ensemble des demandes. L’Ofii souligne, d’ailleurs, que les capacités de traitement du VIH se sont développées de façon importante ces dernières années dans de nombreux pays, avec le soutien du Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (Onusida). » D’accord, mais l’Onusida n’oublie jamais, elle, de rappeler que si 39,9 millions de personnes vivaient avec le VIH dans le monde en 2023, elles étaient 30,7 millions de personnes à avoir accès à une thérapie antirétrovirale, cette même année. Le rapport, sans doute par pudeur, n’en fait pas mention.
Au fil des années, les attaques plus ou moins frontales contre le droit au séjour pour soins se sont multipliées, procédant par amalgame, triturant les chiffres, caricaturant, surfant sur un discours politique de plus en plus hostile aux personnes étrangères et faisant du « problème de l’immigration », la clef de tous les maux du moment. L’initiative de la Droite Républicaine qui n’a pas prospéré cette fois, reste dans les cartons. Il y a fort à parier, malgré les protestations d’importantes ONG de santé, qu’elle ressurgisse un jour.
Pour lire le rapport Pauget et voir les débats en commission, nous vous recommandons de vous rapporter à ce document de l’Assemblée nationale.
En bref, des informations en complément
Immigration : titres de séjour et expulsions en hausse, demandes en baisse en 2024
Plus de titres de séjour et des expulsions en hausse, moins de demandes d'asile : le bilan 2024 de l'immigration en France a été publié mardi 4 février par le ministère de l'Intérieur. La France a délivré 336 700 premiers titres de séjour l'an dernier, un chiffre en hausse de 1,8 % par rapport à 2023, tandis que les expulsions augmentaient de 26,7 % avec 21 601 reconduites au total, a annoncé le ministère de l'Intérieur. La hausse des titres de séjour l'an dernier s'est faite à « un rythme moins soutenu » que l'année précédente (+ 4 %), selon l'Intérieur. En tête des motifs de délivrance, les titres étudiants ont représenté un tiers du total (109 300) et les motifs familiaux un quart (90 600), selon le rapport annuel sur l'immigration rendu public par le ministère. Une forte augmentation (+ 13,5 %) a été enregistrée pour les motifs humanitaires, autour de 55 000, tandis que les titres de séjour pour motifs économiques se stabilisaient autour de 55 600. Dans une approche géographique, les trois pays du Maghreb arrivent en tête des primo-délivrances, avec un quart des titres. Les renouvellements ont, eux, été « au plus haut » depuis 2020, avec 880 000 titres de séjour. « Cette hausse est surtout le fait des motifs économiques (+10,5 %) et étudiants (+5,7 %) », selon Guillaume Mordant, le chef du département statistique de la Direction générale des étrangers en France (DGEF). Au total il y avait 4,3 millions de titres de séjours valides au 31 décembre 2024, en hausse de 3,9 %.
Sur les expulsions, l'Intérieur a fait état d'une hausse de 26,7 % du nombre d'étrangers-ères en situation irrégulière reconduits-es à la frontière l'an dernier, soit 21 601 personnes au total. Sur cette statistique complexe, qui inclut aussi les retours aidés, on peut noter que les éloignements forcés se sont élevés à 12 856, soit une hausse de 9,7% sur un an.
Par ailleurs 31 250 personnes sans titres de séjour valides ont été régularisées l'an dernier, soit une baisse de 10 %. C'est la première fois depuis 2020 que la tendance diminue pour cette « admission exceptionnelle au séjour », faite au titre de la circulaire Valls récemment durcie par le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau. Parmi ces personnes régularisées on trouve des travailleurs-ses sans-papiers (10 330, en baisse de 10 %) tandis que le motif familial concernait 20 090 personnes (- 9 %).
En ce qui concerne la demande d'asile, le ministère a fait état d'une baisse de 5,5 % du total, à 157 947 dossiers. Cette baisse s'explique notamment par une chute « de 45 % des demandes Dublin », c'est-à-dire formulées dans un autre pays où la personne demandeuse est passée initialement.
« Le nombre de demande d’asile baisse globalement en Union Européenne », puisqu'il y a eu un total de 950 000 dossiers déposés en 2024 après 1,050 million en 2023, a ajouté Guillaume Mordant.
L'an dernier, l'Ukraine a pris le relais de l’Afghanistan comme première nationalité des ressortissants-es demandant l'asile. La demande ukrainienne a, elle, été multipliée par quatre en un an à 13 350 demandes.
Le taux de protection (y compris avec les recours) a lui bondi de 4,6 points à 49,3 %.
Immigration : le Premier ministre écarte l'idée d'un référendum
François Bayrou a rejeté lundi 27 janvier lors de son interview sur LCI l’idée d’organiser un référendum sur l’immigration, expliquant que la Constitution ne le permettait pas. Le président Emmanuel Macron, lors de ses vœux aux Français pour l’année 2025, avait annoncé qu’il allait leur demander de « trancher » certains « sujets déterminants », relançant par une formule vague l’option du référendum souvent évoquée depuis 2017. Il avait alors souligné les « choix à faire pour notre économie, notre démocratie, notre sécurité, nos enfants », rappelle l’AFP. « L’immigration ne peut pas constitutionnellement, même pas par préférence, (...) être un sujet de référendum », a pointé François Bayrou. « Le champ du référendum est très clairement défini par les institutions. Il faut que ce soit l’organisation des pouvoirs publics, économique ou sociale », a justifié le Premier ministre, sans exclure de pouvoir solliciter cet outil sur d’autres sujets que l’immigration. La droite et l’extrême droite réclament un vote sur l’immigration, mais l’article 11 de la Constitution restreint les sujets qui peuvent en faire l’objet, en excluant ainsi la politique migratoire.
François Bayrou est pour restreindre le droit du sol à Mayotte, mais pas dans le reste du pays
Le Premier ministre s’est dit, lors de son interview sur LCI, le 27 janvier, favorable à une restriction du droit du sol à Mayotte, archipel français de l’océan Indien, mais pas dans le reste du pays. Interrogé pour savoir s’il souhaitait restreindre le droit du sol dans le département de Mayotte, François Bayrou a répondu : « Oui », mais « Non », à l’hypothèse de restrictions similaires en métropole. Une proposition de loi visant à restreindre ce droit à Mayotte doit être débattue à l’Assemblée nationale le 6 février, lors d’une journée réservée aux textes des députés-es Les Républicains (LR). Depuis 2018, une dérogation existe déjà à Mayotte, qui restreint la possibilité de devenir Français pour les enfants nés sur l’archipel. Il faut que l’un des parents ait, au jour de la naissance, été présent de manière régulière en France depuis trois mois. La proposition de loi propose d’élargir cette condition aux « deux parents », et d’étendre la durée nécessaire de leur présence régulière sur le territoire à un an. Une telle modification ne nécessiterait pas de réforme constitutionnelle, fait valoir la proposition, contrairement à une suppression du droit du sol à Mayotte, comme réclamée par l’extrême droite. La population de Mayotte est estimée par l’Insee à quelque 320 000 habitants-es. « Près de la moitié des habitants sont des étrangers », précise l’Insee, ajoutant que selon une enquête menée en 2016, environ « la moitié des étrangers » étaient alors « en situation irrégulière ». En 2017, 95 % des étrangers-ères à Mayotte étaient des Comoriens-nes.
AME : les parlementaires s'accordent sur une baisse des crédits
Une commission mixte paritaire (composée de sept sénateurs-rices et sept députés-es) chargée de dégager un compromis sur le budget de l’État pour 2025, a approuvé vendredi 31 janvier, une baisse des crédits initialement prévus dédiés à l’Aide médicale d’Etat (AME) réservée aux soins des personnes étrangères sans titres de séjour valides. Ladite commission a baissé ces crédits de 111 millions d’euros par rapport à un projet de budget initial, sur un total de 1,3 milliard. Ce chiffre permettra, en réalité, de maintenir inchangés les crédits alloués à cette aide à leur niveau de 2024, indique l’AFP. La droite proposait une baisse de 200 millions d’euros, telle que votée par le Sénat (chambre haute du Parlement), mais c’est finalement la proposition d’un député du parti présidentiel d’Emmanuel Macron qui l’a emporté. Les socialistes, qui espéraient sauvegarder les crédits de l’Aide médicale d’État (AME) à hauteur du projet de loi initial, soit une augmentation d’environ 9 % par rapport à 2024, se sont rabattus-es sur la version du parti de Macron, de crainte de voir la copie du Sénat s’imposer. La commission mixte paritaire a également supprimé une modification de certains critères d’accès à l’AME, elle aussi votée par le Sénat. Ce dernier entend, très régulièrement amoindrir l’AME. Le dispositif voté par les sénateurs-rices ciblait la prise en charge de prestations dites « non-urgentes », en proposant de les conditionner à un « accord préalable » systématique de l’Assurance maladie française, ce qui aurait eu pour effet de ralentir l’accès aux soins. « Les critères de l’AME restent inchangés », se sont réjoui plusieurs parlementaires socialistes. Le chef de fil du Rassemblement national (extrême droite) a, pour sa part, pesté sur le fait que Les Républicains (droite) n’a « rien obtenu sur l’immigration ! » La commission mixte paritaire est parvenue dans la foulée à trouver un compromis sur l’ensemble du budget de l’État pour 2025, qui a d’ailleurs été adopté grâce à un 49.3, lundi 3 février.