L’Actu vue par Remaides : « Donner de la voix : du sang sur la conscience ! »
- Actualité
- 24.05.2025
Image : Anthony Leprince pour Studio Capuche, pour Remaides.
Une tribune de Camille Spire, présidente de AIDES
Donner de la voix :
"Du sang sur la conscience !"
Trois mois seulement. La prise de fonction de Donald Trump, en tant que 47ème Président des États-Unis, ne date que de trois mois. Les dégâts qu’il a d’ores et déjà provoqués sont d’une telle ampleur que je n’arrive pas à concevoir que sa présidence va durer quatre ans.
Il me semble que, collectivement, nous sommes encore en état de choc, sidérés-es. Pourtant, j’aurais dû y être préparée. Trump est un homme politique qui applique les mesures qu’il avait annoncées. Et ce n’est pas la première fois qu’il est à la Maison Blanche. À coups de décrets signés en rafales, il déstabilise les institutions, les organisations aux États-Unis et, au niveau international, il sème le chaos. Licenciements de fonctionnaires, de chercheurs-ses (voir en page 2). Dénigrement de tous ceux et celles qui sont sur son chemin… Dissémination de fake news, remise en question de la science… Il y a de quoi s’interroger sur la nature du régime politique vers lequel tendent les États Unis… Moi qui avais toujours compris que le Président des États Unis n’avait pas autant de pouvoirs que dans le système français.
Parmi les multiples annonces et mesures ubuesques qui émanent de son administration, l’envoi d’un questionnaire aux organisations internationales et organisations non gouvernementales basées à Genève atteint un summum de cynisme et de bêtise. Le questionnaire leur demande de confirmer que leur projet en tant qu’organisation n'est pas « climatique ». Il leur demande si leur structure prend « des mesures appropriées » pour « se prémunir de l’idéologie du genre » telle que définie dans un décret présidentiel. Autre question qui frappe : « Ce projet [celui de l’organisation] renforce-t-il la souveraineté des États-Unis en limitant leur dépendance aux organisations internationales et aux structures de la gouvernance globale, par exemple l’ONU et l’OMS ? ». Un questionnaire similaire, qui sonne comme un ultimatum, a été envoyé à certaines compagnies européennes ― qui entendent travailler pour et avec les États-Unis ― afin de certifier qu’elles n’appliquent en interne aucun programme qui promeut « la diversité, l’équité et l’inclusion ». Depuis quand promouvoir la diversité, l’équité et l’inclusion devrait être perçu comme négatif ? Comment peut-on même le penser, a fortiori en tant que chef d’État ? On croit marcher sur la tête. C’est un revirement total de valeurs, un pied de nez aux droits humains. « Y’a quelque chose qui tourne pas rond dans le système solaire », comme le chantait Balavoine dans Starmania.
La vague réactionnaire anti-droits que nous subissons de plein fouet n’est, bien sûr, pas apparue avec Trump et ne se résume pas à sa présidence, même assénée en double dose. Elle donne lieu sur tous les continents, le nôtre compris, à des législations et politiques de plus en plus hostiles aux personnes migrantes, aux minorités de sexe et de genre dont les personnes trans, aux travailleurs-ses du sexe ainsi qu’aux usagers-ères de drogue. Mais Trump et ses acolytes disposent de larges moyens financiers et de réseaux d’influence qui provoquent des dommages considérablement plus graves. C’est une insécurité sanitaire mondiale qui menace, et elle est le fait d’un homme et de son équipe.
L’arrêt brutal des financements américains dédiés à la lutte contre le VIH a, dès maintenant, des répercussions directes sur les personnes, tout comme le démantèlement des administrations en charge de l’aide au développement et de la recherche: ruptures de traitements, fermetures de cliniques, licenciements d’acteurs-rices de prévention et de professionnels-les du soin, diminution des dépistages, pénurie de matériel médical, restrictions de prises en charge, etc. Quand Trump décide de suspendre le financement du programme Pepfar (Plan présidentiel d’urgence de lutte contre le sida), il provoque une déstabilisation des organisations de santé et des services de proximité. Ce sont des associations sur le terrain qui ne sont plus financées du jour au lendemain. Qui financera par exemple les pairs-es-éducateurs-rices sur le terrain, qui vont auprès des populations les plus éloignées du soin et assurent les suivis médicaux ?
La décision de suspendre ces financements est un acte meurtrier. Rien qu’en trois mois, la surmortalité entraînée par ses décisions désastreuses s’élève à des dizaines de milliers de morts. Ces morts sont la responsabilité de Trump et de ses sbires. Ils ont du sang sur la conscience. D’ici à 2029, cette surmortalité pourrait s’élever à plusieurs millions si les financements ne sont pas rétablis.
Quant à ceux qui croient que ces décisions n’auront aucune répercussion en France, je les invite à étudier les dernières épidémies mondiales. La pandémie de Covid-19 est-elle si loin qu’on croit encore à l’efficacité des frontières comme remparts contre la recrudescence de maladies dans d’autres pays ? Car l’accroissement des épidémies sera nécessairement induit par la politique américaine actuelle qui prive de financements tout en développant un discours général anti-vaccination.
Non seulement l’accès au traitement pour les personnes vivant avec le VIH est menacé, mais le financement de l’accès à la prévention des nouvelles infections, qui est déjà le parent pauvre de la santé, l’est plus encore. Toutes ces décisions américaines éloignent définitivement la possibilité d’atteindre l’objectif d’en finir avec les nouvelles contaminations au VIH en 2030.
Ironiquement, c’est peut-être le capitalisme qui viendra se mettre en travers de la route de Trump… Puisqu’il suspend les financements américains dédiés à la lutte contre le VIH et plus globalement l’aide financière permettant l’accès aux traitements à des millions de personnes, les industries pharmaceutiques, dont les plus importantes sont américaines, risquent de subir de très grosses pertes financières… iront-elles jusqu’à entraver le chemin destructif de Trump ?
La stupeur n’est, en tout cas, plus de mise. Il est temps pour les États, les organisations internationales, dont celles qui sont non gouvernementales, l’Europe… de quitter la sidération pour passer à l’action. C’est une obligation. « Le monde ne sera sauvé, s’il peut l’être, que par des insoumis », écrivait André Gide. À nous d’alerter sur la réalité, de résister et d’unir nos forces avec nos alliés-es pour proposer une autre vision du monde, responsable et fondée sur la science. Ce sont des vies qui sont en jeu.
Trump ne doit pas gagner la prochaine manche. « Faire un Trump » ― pour moi et certains-es amis-es amateurs-rices d’un jeu de dés dénommé « Le 10 000 » ―, cela signifie ne marquer aucun point tout en lançant l’intégralité des dés. C’est un échec qui oblige à passer la main. C’est tout que je souhaite à Trump. Qu’il perde la main et que nous établissions les règles du jeu.