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    L'Actu vue par Remaides : DogBoiBailey : Queer, séropositif, fétichiste et fier!

    • Actualité
    • 30.06.2024

    DogBoiBailey

    © Nina Zaghian

    Par Fred Lebreton 

    DogBoiBailey : Queer, séropositif, fétichiste et fier!

    Queer, séropositif, puppy, acteur porno, activiste, blogueur, Chaim alias DogBoiBailey est fier de son parcours. Ce Britannique de 30 ans, installé à Paris, a été élu Mr Puppy France 2023 et ça aussi, c’est une source de fierté pour cette figure connue et reconnue de la communauté fétichiste LGBT+. Le militant se sert de sa visibilité pour faire bouger les mentalités sur la sexualité, le VIH/sida, mais aussi l’activisme politique. Une rencontre qui a du chien !

    Remaides : Revenons en arrière. À quoi ressemblait votre enfance et votre adolescence en Angleterre ?

    DogBoiBailey : Je suis né en 1993. Ma mère est lesbienne et j'ai grandi dans un foyer de femmes, lesbiennes, féministes et activistes, que la droite française qualifierait aujourd’hui d’« islamo-gauchistes » ! J'ai vécu à Londres jusqu'à l’âge de dix ans, puis nous avons déménagé dans le nord de l’Angleterre, dans un petit village : Hebden Bridge, connu pour sa communauté LGBT, gauchiste, hippie et lesbienne. J’ai toujours su que j’étais gay. Au lycée, j’étais la seule personne ouvertement queer et juive, ce qui m’a valu d’être victime de harcèlement homophobe et antisémite. Des garçons de mon école me traitaient de « pédé ». J’ai été tabassé plusieurs fois et on a inscrit des croix gammées sur mes livres scolaires. Heureusement, mes harceleurs ignoraient que j’avais aussi des origines pakistanaises, sinon j’aurais subi encore plus de discriminations. Mais je gardais la tête haute. Je n’avais pas peur d’eux et je n’ai jamais eu honte de ma sexualité. Je savais que j’étais accepté à la maison et j’ai toujours eu l’amour et le soutien de ma mère. J'ai fait mon coming-out à l’âge de 16 ans et je me suis dit que j’avais de la chance d’avoir une mère lesbienne, d'habiter en Europe et de vivre librement ma sexualité. À l'âge de 19 ans, je suis revenu à Londres pour étudier et aussi pour échapper au nord de l’Angleterre, qui était devenu une région trop petite pour moi.

    Remaides : En quelle année avez-vous été diagnostiqué pour le VIH et quelles étaient vos connaissances sur le VIH avant ce diagnostic ?

    J'ai été diagnostiqué le 7 juin 2015, quand je vivais encore à Londres. J’ai été suivi et soutenu par Dean Street Express et 56 Dean Street, deux cliniques de santé sexuelle LGBTQ, avec des équipes incroyables. Ce qui est fou, c’est que je n'avais pratiquement aucune connaissance sur le VIH malgré le fait que ma mère ait travaillé dans la prévention et m’ait toujours parlé du VIH. Je savais que le VIH, une fois dépisté et traité, n’était plus une condamnation à mort, comme dans les années 80/90, mais j’ignorais tout du « Indétectable = Intransmissible ». L’ironie de mon histoire, c’est que quelques mois avant mon diagnostic, j’avais été approché par un homme dans un bar de Soho [le quartier LGBT+ de Londres, ndlr], et il m’avait proposé de faire partie d’une étude sur la Prep. J’ai donné mes coordonnées, mais je n’ai jamais été rappelé. Je crois qu’à cette époque, le VIH était encore un sujet tabou dans la communauté gay. Aujourd’hui, grâce à la Prep et I = I, on en parle plus facilement entre nous.

    Remaides : Comment s’est passée votre arrivée à Paris ?

    Je me suis installé à Paris il y a six ans, en mars 2018. À Londres, j’avais  rencontré un Français par Grindr [appli de rencontres gays, ndlr], on s’est mis en couple et quand on a senti arriver la menace du Brexit, nous avons décidé de partir. Je m'étais toujours dit que je voulais quitter mon pays de naissance et voir le monde. À l’époque, je faisais une licence en relations internationales, alors je me suis dit que la ville d’Amsterdam aux Pays-Bas serait idéale car la population parle bien anglais. Mais, nous n’avons pas aimé la vie sur place alors nous nous sommes installés à Paris. Je ne regrette pas. J’adore cette ville. Je trouve qu'il y a vraiment une scène activiste et queer importante, ici. J’ai trouvé qui j’étais vraiment, ici, à Paris.

    Remaides : En 2023, vous êtes élu Mister Puppy France. Pouvez-vous expliquez aux lecteurs-rices de Remaides en quoi consiste le Puppy Play et ce que cette pratique a changé dans votre vie ?

    Le Puppy Play est une pratique qui implique des participants humains prenant les attributs ou caractéristiques sociales, psychologiques et physiques d’un chien. Puppy signifie « chiot » en anglais. Bien que le Puppy Play soit fortement fétichisé, il n’est pas intrinsèquement sexuel. Certains chiots sont sexuels, d’autres sont seulement sociaux. En réalité, beaucoup s’identifient à un mélange des deux. II n’y a pas de manière correcte d’être un puppy. L’expression est propre à chaque puppy et change selon la situation et le contexte. Le Puppy Play n’est pas la même chose que la pratique BDSM sexualisée appelée « dog-training » (dressage de chiens en anglais), mais les deux se mêlent parfois. En 2013, je suis allé, seul, à ma première Pride à Londres. C’est là que j’ai découvert pour la première fois le Puppy Play. Je me souviens avoir vu des pups [puppies] se frotter à des hommes en cuir à Soho. Je me rappelle avoir été attiré par eux. J’étais fixé sur le garçon masqué en laisse, il avait l’air si fier, libre et sexy ! Le Puppy Play n’est revenu dans ma vie que plusieurs années plus tard, une fois que j’ai déménagé à Paris et que j’ai ouvert ma relation avec mon copain à d’autres partenaires. Être « Bailey » est devenu un élément central de la façon dont je me vois et dont je vois ma place dans ce monde, mais aussi dans ma vie quotidienne et dans mon cercle social. La chaleur et l’affection que je donne et que je reçois en tant que Bailey permettent d’avoir plus d’amour et de joie dans ma vie et j’en suis vraiment reconnaissant. Je sors régulièrement et ouvertement en tant que puppy à des événements queer ainsi qu’à des soirées drag queen à Paris et à Londres. On me pose souvent des questions sur le Puppy Play. Je m’efforce d’être pédagogue et « respectable » en public car je suis parfois le premier puppy que quelqu’un rencontre dans la vie réelle.

    Remaides : Vous êtes très visible et actif sur les réseaux sociaux sous le nom de DogBoiBailey, mais jamais avec votre prénom civil. Est-ce une façon d’être plus libre et de vous protéger ?

    DogBoiBailey, c'est une partie intégrante de moi, une accumulation de tous les aspects de ma personnalité. Il y a un aspect activiste, un aspect sexuel avec le porno et un aspect communautaire et représentant de la communauté fétichiste. Mais il y a également le Bailey de la vie de tous les jours à la maison avec sa tendresse et sa maladresse. DogBoiBailey peut parler de tout librement, peut-être plus que si j’utilisais ma véritable identité civile. Sur mes réseaux sociaux, je peux passer de contenus pornos à des contenus autour de la prévention et du consentement, ou à du contenu plus politique en soutien au peuple de Palestine, par exemple. Pour moi, il y a bien sûr un élément sexuel dans mon jeu, que je ne cache pas, mais je me sens plus épanoui dans mon côté social. Je ne cache pas le fait que je fais du contenu adulte, et j’ai trouvé une nouvelle confiance en moi dans mon expression sexuelle publique. Le mandat de Mr Puppy France me donne plus de visibilité et ce n'est pas quelque chose que je prends à la légère. Je trouve qu'en tant qu’activiste séropositif, j'ai une responsabilité de dire les choses en face et de parler de la sérophobie, de parler de mes expériences et de celles des autres. Mais également d'être là pour celles et ceux qui veulent parler de santé sexuelle.

    Remaides : Comment a réagi votre entourage proche après ce coming out en tant que puppy ?

    C'est assez drôle car j’ai vécu un peu la même chose avec mon coming out en tant qu'homme gay. Ma mère m'a dit : « Ça se voit ! ». Et j'ai répondu : « Comment ça se voit, maman ? ». Elle m'a dit : « Il y a du sens. Il y a plein de choses, plein d'habitudes chez toi qui sont un peu comme un chiot ». Quand j'ai fait mon coming out en tant de Bailey, j’avais besoin de le faire de ma propre manière pour montrer que ce n'était pas juste un délire chelou, mais qu'il y avait beaucoup plus derrière. C’est un mode de vie, un package. Ma mère m’a accepté comme je suis et on a même pris une photo ensemble avec mon masque de puppy, et le sapin de Noël en fond… C’était mignon. Quand on aborde le Puppy Play avec des personnes qui sont loin de cette communauté, il faut faire preuve de pédagogie, s’adapter aux personnes et avoir des attentes réalistes. Tu ne parles pas de la même façon de ce genre de choses à un ami gay qu’à ta mamie. Comme il en va pour l’homosexualité, il y a beaucoup d’idées reçues sur le Puppy Play et la communauté fétichiste. Aujourd’hui, chaque élément de mon identité d’homme queer, séropositif et fétichiste me procure une source de force, de fierté et de motivation pour améliorer le monde. J’ai conscience aussi de mon privilège de pouvoir être libre d’être qui je suis et d’être accepté tel que je suis.

    Remaides : En tant qu’acteur porno et membre de la communauté gay fétichiste, avez-vous été confronté à des propos ou des actes sérophobes ?

    Parfois, quand je parle de prévention avec des partenaires sexuels ou des acteurs avec qui je tourne des vidéos, j’entends l’idée d’être « clean ». Une fois, un mec m’a dit : « Je ne couche qu’avec des personnes qui sont clean ». Le terme est clairement sérophobe, mais, moi, je profite de l’occasion pour lancer une discussion autour de la santé sexuelle, de la Prep, de « I = I », etc. J’explique aussi qu’il y a d’autres façons de dire les choses et que c’est mieux de demander à la personne à quand remonte son dernier check up IST car il n’y a pas que le VIH. Je trouve que c'est une responsabilité pour les acteurs dans le milieu pornographique d’avoir les bonnes bases en santé sexuelle. Il faut adapter ses dépistages à ses pratiques. Je conseille toujours de faire un dépistage complet tous les trois mois ou tous les dix partenaires. Il faut aussi anticiper ses outils de prévention. La semaine dernière, j’étais à Darklands, [un rassemblement fétichiste gay à Anvers, ndlr] et j’ai tourné une vidéo de fist fucking. Je suis venu avec des sprays spéciaux pour désinfecter les mains des autres acteurs. La pornographie, c’est avant tout une passion et une source de plaisir pour moi. C’est une célébration de ma sexualité et je suis complètement à l'aise avec ça. Ma mère sait que je fais des vidéos pornos et m’a dit : « Profite, la vie est courte ! ». Il y a beaucoup de travail à faire pour déconstruire les représentations autour des acteurs et actrices porno et le lien entre le capitalisme et le travail du sexe. Du moment que les scènes de sexe se font entre adultes consentants et avec des outils de prévention, le porno peut être, selon moi, un acte militant et libérateur.

    Remaides : Vous considérez vous comme un travailleur du sexe ?

    Oui, d'une certaine façon, parce que je fais de la pornographie. Je ne suis pas escort et c’est vrai que le travail du sexe pour moi, c'est plutôt quelqu'un qui fait de l’escorting Le porno, c'est aussi un vrai travail avec des revenus à déclarer, des impôts à payer etc. En ce qui me concerne, je dirais que j’exerce le travail de sexe de façon politique. Si je peux mettre mon cul sur Internet, c’est mon droit et ça ne m’empêche pas d’avoir un discours politique par ailleurs.

    Remaides : Pouvez-vous nous parler de la plateforme Pawzitive Influence que vous avez lancée en 2021 ?

    En décembre 2021, j’ai parlé ouvertement de ma séropositivité sur les réseaux sociaux et j’ai lancé le compte Instagram Pawzitive influence.  Le projet est né suite à un commentaire sérophobe que j’ai lu sur Insta d’un puppy à un autre puppy. Je commençais à avoir un peu de notoriété à Paris dans le milieu fétichiste queer et je me suis dit, si je ne dis rien, si je continue à garder le silence sur le VIH, je n'aide personne. J’avais six ans d’expérience de vie avec le VIH à ce moment-là. Je me suis dit que c’était un devoir de partager cette expérience et de sensibiliser ma communauté au VIH. Il y avait aussi un côté thérapeutique à en parler publiquement. J’ai commencé ce projet avec un post intitulé « We Need to Talk » [« Il faut qu’on parle », ndlr] sur ma propre expérience d'être séropo. Ensuite, j’ai enchaîné sur « I = I », la Prep, la sérophobie, etc. Ces publications ont d’ailleurs permis de récolter plus de 500 euros pour l’association AIDES. J’ai voulu également rendre hommage aux disparus-es des années sida. Étant né en 1993, il ne m'appartenait pas de parler à leur place. Cependant, il est de notre devoir à tous de savoir et d'honorer la lutte et les sacrifices consentis durant cette période sombre de notre histoire. Notre société a perdu une génération entière d'êtres humains. Ils étaient nos amants, nos amis, les membres de notre famille, ils étaient nos leaders queer et nos militants communautaires dévoués. Nous devons à nos aînés de ne pas les oublier ainsi que leurs histoires. Il ne faut pas oublier non plus ce que l’activisme sida a permis de faire pour la société entière. On l’a vu récemment avec les épidémies de Monkeypox et de Covid. Nous devons apprendre de celles et ceux qui ont survécu aux années sida. Si on n'apprend pas de notre histoire, on ne peut pas changer l'avenir.

    Remaides : Dans l’un de vos post sur Instagram publié le 1er décembre 2023, vous parlez de « séro-neutralité ». De quoi s’agit-il ?

    Personnellement, je trouve que le terme de séropositif n'est pas tout à fait adapté à ma vision du VIH. D’un point de vue scientifique, c’est vrai, je suis séropositif au VIH, mais je prends mon traitement et ces comprimés neutralisent mon VIH en termes d'effets nocifs du virus sur mon système immunitaire et éliminent sa transmissibilité. Dans un certain sens, je ne suis plus positif, mais je ne suis pas non plus négatif, je suis neutre. Après la pandémie de Covid-19 et l'épidémie de Monkeypox, l'expression « positif » est, à nouveau, synonyme de peur, de danger et de mort.  La neutralité à l'égard du VIH vise à faire progresser la déstigmatisation de notre langage concernant le VIH. Il est essentiel que notre terminologie reflète la réalité des personnes qui ont la chance de bénéficier d'un traitement antirétroviral. Grâce à mon traitement, je sais que je ne serai jamais en stade sida et que je ne peux pas transmettre le VIH, donc, je préfère dire que je suis « séroneutre » plutôt que séropositif. Évidemment, ça ne change pas mon statut sérologique d’un point de vue scientifique, mais d’un point de culturel et social, je trouve que c’est moins stigmatisant. Et quand je dis aux gens que je suis « séroneutre », ils me disent « Mais ça veut dire quoi ça ?! ». Et cela me permet d’ouvrir le dialogue sur « Indétectable = Intransmissible ». Le terme séropositif fait peur parfois, y compris dans nos communautés. Il faut trouver de nouvelles façons de parler du VIH pour déconstruire cette peur alors si je parviens à le faire avec un changement de terminologie, je me dis pourquoi pas ! Je trouve que c'est important d'être fier de qui nous sommes. La séropositivité est une partie intégrante de qui je suis et je n’ai aucune raison d'avoir honte ou de me cacher.

    Remaides : La fierté, c’est un fil rouge dans votre parcours…

    On se cache souvent par peur du jugement des autres ou pour se protéger. Moi, je n'ai aucune raison de me cacher et je suis conscient de ma chance et de mes privilèges. Je peux être quelqu'un de visible dans la communauté fétichiste sans cacher mes convictions politiques, mon statut sérologique ou mes origines. Je suis issu de l'immigration indienne et allemand-juif. J'ai un livret de famille atypique. J'étais le premier dans ma communauté [puppy] à parler de la sérophobie. Et maintenant, il y a des gens qui me posent des questions sur le VIH et la santé sexuelle. J’ai l’impression d’être devenu une personne référente pour le VIH dans ma communauté et c'est un honneur. La fierté pour moi est avant tout politique. Il faut être cohérent aussi. Tu ne peux pas te dire fier d’être un homme queer et être raciste ou antisémite. Tu ne peux pas critiquer l’homophobie en Russie et fermer les yeux sur le pink washing [Le fait de se donner une image progressiste et engagée pour les droits LGBT, ndlr] ou la colonisation de la Palestine. Mon engagement militant passe aussi par des prises de positions claires contre le fascisme. Pour moi, la fierté, c'est une façon de voir le monde avec solidarité car toutes nos luttes sont connectées. Personne n'est libre tant que tout le monde n'est pas libre.

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    BAILEY

    © Nina Zaghian