L’Actu vue par Remaides : « Disparition de Francis Nock, militant historique de AIDES »
- Actualité
- 26.03.2025
Capture d'écran d'un portrait de Francis Nock
sur une publication d'un compte Facebook. DR.
Par Jean-François Laforgerie
Disparition de Francis Nock,
militant historique de AIDES
Président fondateur de AIDES en Alsace, Francis Nock est décédé le 17 mars dernier, à 68 ans. Il a été durant plusieurs années une des grandes figures militantes de AIDES où il a occupé différentes fonctions et mandats. Il a tout particulièrement travaillé sur la mobilisation et la formation à AIDES dont il a été un artisan clef. Il a permis à de très nombreux-ses militants-es d’adapter leurs pratiques, en prévention comme dans l’accompagnement des personnes vivant avec le VIH, en s’appuyant sur la participation de celles-ci. Grand spécialiste de la démarche communautaire et de la promotion de la santé, Francis Nock lui avait consacré un ouvrage en 2000 : Petit Guide de l’évaluation en promotion de la santé. Retour sur un parcours et hommages.
En septembre 1993, se tiennent les Assises de AIDES à Lyon, sous la présidence d’Arnaud Marty-Lavauzelle. Le Journal du sida, N°56/novembre 1993, a sollicité deux responsables de la Fédération AIDES pour en commenter les points forts : l’un d’eux est Francis Nock ; l’autre est Valère Rogissart, militant historique de la RDR, décédé le 9 avril 2024. Le journal demande à Francis Nock, qui est alors responsable de la commission nationale Prévention de proximité, si l’association AIDES n’est pas à un tournant militant « par l’affirmation d’une légitimité biologique [vivre avec le VIH, ndlr] à faire valoir dans la lutte contre le sida ». La question n’est pas simple, ni le fait du hasard. Elle est en lien avec un incident qui s’est déroulé lors des Assises où l’assistance a refusé d’entendre une sociologue, pourtant invitée, au moment où elle exposait ses travaux sur la prise de parole des séropositifs, prenant la suite à la tribune de quatre personnes vivant avec le VIH et ayant témoigné à visage découvert devant l’assistance, et la « révélation publique » par Arnaud Marty-Lavauzelle qu’il prend des ARV depuis six ans.
« Pendant des années, il a été difficile de dire sa séropositivité. Les gens se cachaient derrière leurs associations, qui étaient des porte-parole collectifs. Dans les médias, les témoins sont presque toujours des malades qui n’ont pas grand-chose à perdre. Aujourd’hui, nous assistons à une émergence de la parole individuelle qu’il faut encourager, analyse le militant. Il faut inviter les volontaires à dire "Je" plutôt que "On", tout en faisant coexister cette demande avec celle des volontaires qui ont besoin, pour se sentir protégés, de rester anonymes. Cette affirmation identitaire est plus large que la question de la séropositivité, et rejoint la perspective communautaire que nous voulons développer. »
Francis Nock est un des cadres de l’association. Durant ces Assises de 1993, il est d’ailleurs intervenu pour illustrer la « solidarité » à AIDES et expliquer en quoi avec le sida, une « communauté d’intérêt » qui traditionnellement lie plusieurs personnes, s’est formée autour de la maladie et s’est élargie à une « communauté de destins ». « Nous sommes tous des individus qui reconnaissent qu’ils sont touchés par le VIH dans leur chair, leurs amours, leur environnement amical, familial ou professionnel, explique Francis Nock. C’est cela qui nous rassemble, avec la volonté de changer quelque chose, la volonté de nous battre. C’est cela notre communauté : des gens touchés qui le reconnaissent, se rassemblent pour s’entraider, prendre soin d’eux et aider les autres à prendre soin d’eux. » Ce passage, cité dans « AIDES, une réponse communautaire à l’épidémie de sida », l’ouvrage dirigé par Christine Calderon et Olivier Maguet, illustre bien la vision de l’association, mais aussi de celui qui a prononcé ces mots.
« Aujourd’hui une bien triste nouvelle endeuille AIDES : Francis Nock, président fondateur de AIDES en Alsace, grand contributeur à AIDES Formation, à AIDES au niveau national dans diverses fonctions militantes et salariées nous a quitté (…) à l’âge de 68 ans. C’est notamment grâce à lui que furent posés au niveau national les jalons de l’évaluation interne à AIDES, de la démarche qualité, des indicateurs de santé communautaire, et bien sûr de la formation continue des militants. C’est un compagnon d’un bout de route militante que j’ai perdu, et au-delà une amitié toute en pointillé, mais précieuse que je pleure », explique le texte d’hommage de Christian Duprez-Verger, militant de AIDES et ancien administrateur. Il dépeint un « être d’une grande sensibilité, d’un humour fin, toujours optimiste et insufflant une énergie autour de lui. »
« Je publie ces quelques lignes en espérant que d’autres se souviennent et lui rendent un hommage mérité », conclut Christian Duprez-Verger sur ce post publié sur sa page Facebook.
« Francis Nock est décédé ce lundi 17 mars d'un infarctus. Il n'avait que 68 ans et encore tant de choses à apporter au monde de la formation et de la promotion de la santé. C'est en 1989, que j'ai rencontré Francis sur le quai de la gare de Nice, explique la militante Latefa Imane, dans son message d’hommage. Nous attendions tous les deux avec d'autres militants de AIDES que les organisateurs des Assises de l'association viennent à notre rencontre. Francis qui était à l'époque le directeur du comité d’AIDES Alsace qu'il avait contribué à fonder s'est montré d'emblée intéressé par la petite structure que nous étions alors. Deux ans plus tard, il nous a associés à un projet de sensibilisation avec les migrants originaires d'Afrique du Nord. Le premier projet de ce genre en France. C'est lui aussi qui a été à l'origine, quelques années plus tard, du premier programme structuré de formation sur l'infection par le VIH des associations communautaires issues d’Afrique subsaharienne sur le territoire français. Ce mois d'été 92 passé dans un Strasbourg caniculaire reste une des meilleures expériences de travail collaboratif de ma vie. Car, c'était cela la marque de fabrique de Francis : travailler en collectif et mettre en commun les savoirs. À commencer par le sien, qu'il a toujours partagé avec beaucoup de générosité et d'humilité. Et ce jusqu'à la fin avec toutes celles et tous ceux qui ont eu le privilège de le côtoyer et de collaborer avec lui. En France, en Afrique et ailleurs. C'est Francis qui nous a notamment aidés-es à mettre en place les fondements de notre formation interne. Le socle de notre cohésion éthique et interventionnelle. Nous lui devons donc beaucoup et sa perte est une peine immense. »
« Un militant français de la lutte contre le sida, Francis Nock, s'est éteint. Francis Nock a beaucoup apporté à la lutte contre le sida au Maroc, notamment au début du mouvement associatif et la création de l'ALCS [un des membres fondateurs de Coalition PLUS, ndlr] », a souligné l’ALCS (association de lutte contre le sida) sur Facebook, avant de relayer le message de Latefa Imane, également militante de l'ALCS.
À la suite de son parcours militant à AIDES, Francis Nock a poursuivi sa carrière comme consultant en santé publique. Il est devenu responsable pédagogique de l’Atelier de l’évaluation en prévention et promotion de la santé de Poitiers, travaillant sur de nombreux sujets de santé publique et pour de nombreuses structures (société de santé publique, DGS, Carsat, ARS, etc.). Constatant que la promotion de la santé était un domaine qui prenait un essor en France, il considérait que « pour être efficaces, les programmes d'action de la santé doivent faire l'objet de procédures d'évaluation. Or les ouvrages traitant du sujet ne sont pas nombreux. ». Il avait donc décidé d’écrire pour le compte de la Mutualité Française un ouvrage : Petit Guide de l’évaluation en promotion de la santé (voir les références en bas d’article). Un ouvrage accessible aux intervenants-es de terrain dans le champ de la santé publique, proposant des « repères pratiques en la matière en s'inspirant d'exemples d'équipes engagées dans des programmes de prévention et de promotion de la santé. »
Comme on le voit, le parcours de Francis Nock fut riche, si on en juge par les commentaires qui sont publiés sur les réseaux sociaux il a souvent marqué les militants-es qu’il a croisés-es. Reste de lui des écrits qui frappent par leur force et le fait qu’ils restent encore vivants à AIDES. Voici quelques extraits tirés d’un texte : « L’engagement des Volontaires » in Le Volontaire, n°1, revue interne des volontaires de AIDES, de mai 1993, écrit par Francis Nock.
« La confidentialité, c’est interdire l’identification des personnes, mais en aucune manière l’identification des dysfonctionnements dont elles souffrent. Le rôle de AIDES, c’est de changer fondamentalement les rapports figés des personnes atteintes avec leur environnement médico-social et l’ensemble de la société, et non de garder jalousement les témoignages au sein de son groupe de travail. AIDES, c’est aussi recueillir, analyser, témoigner, revendiquer.
[Quant au non-jugement, il ne faut pas] méconnaître que chacun d’entre nous juge tout le temps, c’est un des moyens de constitution de la personnalité, par comparaison, imitation ou rejet, prise de position. […] Ce qui est demandé aux volontaires, dans leurs relations avec les utilisateurs de l’association et les autres volontaires, c’est de faire en sorte que leurs jugements n’interfèrent pas dans la relation à l’autre, ne les empêchent pas d’exprimer leurs différences, n’obèrent pas l’écoute. […] Cette attitude permet de voir rejoindre dans nos rangs des usagers de drogues, des travailleurs du sexe, d’anciens détenus.
Notre communauté est celle des personnes atteintes par le VIH, que ce soit biologiquement, dans ses amours, ses amitiés, sa vie professionnelle ou de citoyen. Ce n’est pas une communauté professionnelle, ni géographique, ni une communauté de classe. C’est pour cela que le non-jugement est un des piliers de notre éthique et ne peut en aucun cas devenir un refus de la différence. » Puissant.
Cet extrait est cité dans « AIDES, une réponse communautaire à l’épidémie de sida », l’ouvrage dirigé par Christine Calderon et Olivier Maguet.
Source : Petit Guide de l’évaluation en promotion de la santé, par Francis Nock. Paris : Mutualité française, 2000.