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Par Jean-François Laforgerie et Fred Lebreton 

Culture et VIH... par ici les sorties

Il n’y a pas que les droits, les actus sociales, les nouvelles du monde, les news relatives aux discriminations qui font l’actualité… la culture s’y met aussi. Ainsi le Moma a récemment acheté Call the White House, une œuvre d’art lumineuse et emblématique de Donald Moffett sur le VIH. Le VIH, il est aussi au cœur de It’s a sin : la série phénomène arrive sur France 2. Si vous préférez la lecture, il faut se plonger dans deux nouveaux essais : celui de Jean-Baptiste Phou (La Peau hors du placard. Asiatique et gay, une vie de lutte) et celui d’Emmanuel Beaubatie (Ne suis-je pas un.e féministe ?). Enfin, si vous êtes de passage à Paris, il ne faudrait pas rater l’exposition Robert Mapplethorpe curated by Edward Enninful qu’accueille la Galerie Thaddaeus Ropac à Paris (dans le Marais, 3ème arrondissement). Remaides fait le point.

VIH : le Moma achète Call the White House

La galerie Marianne Boesky (importante galerie d’art new yorkaise) a annoncé, début mars, que Call the White House, une œuvre d’art lumineuse de 1990 de l’artiste américain Donald Moffett, avait été acquise par le Museum of Modern Art (Moma) de New York, indique le site Art Media Agency. Son créateur, Donald Moffett était l’un des membres originaux de Gran Fury, un collectif d’artistes activistes qui travaillait à sensibiliser sur le VIH. C’est, par exemple, à lui que l’on doit l’affiche « SILENCE = DEATH », présentant un triangle rose sur fond noir. Call the White House a été réalisé, durant le mandat présidentiel de George Bush Senior. C’est une boîte lumineuse contenant une transparence au colorant argentique qui indique « Call the White House. 1 (202) 456-1414. Dites à Bush que nous ne sommes pas encore tous morts. » Le numéro de téléphone mentionné par Donald Moffett dans Call the White House est le vrai numéro de la Maison Blanche… qui est toujours en usage aujourd’hui, rappelle Art Media Agency.

La Peau hors du placard. Asiatique et gay, une vie de lutte

Biblio. 📚 « Je réalisai qu’il faudrait exister dans un monde ne voulant pas de moi. Un monde hétéro qi ne voulait pas de moi. Un milieu gay qui ne voulait pas de moi », écrit Jean-Baptiste Phou, dans La Peau hors du placard (Seuil, 176 pages, 17,50 euros). Être homosexuel dans un monde hétéronormé n’est pas chose facile. Qu’en est-il lorsqu’on est une minorité ethnique au sein de cette minorité sexuelle ? La Peau hors du placard aborde de front la discrimination raciale qui opère dans la communauté gay et la manière dont elle touche particulièrement les hommes d’ascendance asiatique. Cet ouvrage, on le doit à Jean-Baptiste Phou, artiste gay franco-cambodgien. Il a pour ambition de « chasser la peur et la honte pour mettre en lumière le rôle que son ethnicité a pu jouer dans la formation de son identité sexuelle et dans sa vie sentimentale, en France et à l’étranger ». « Rejeté et réduit à ses origines, c’est en se réappropriant son regard et en sortant sa peau hors du placard qu’il parviendra à l’habiter », explique son éditeur.

Jean-Baptiste Phou est né en 1981 à Paris de parents sino-cambodgiens. Il est un auteur et artiste pluridisciplinaire. D’abord comédien, il joue dans des productions théâtrales, musicales et cinématographiques au Cambodge, aux États-Unis et en France. Il écrit et met en scène la pièce Cambodge, me voici (L’Asiathèque, 2017) et réalise son premier film La Langue de ma mère, qui reçoit le Prix du public du film documentaire au Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul en 2022. Ses œuvres explorent les thèmes de l’identité, de l’exil et des séquelles du génocide khmer rouge.

Robert Mapplethorpe curated by Edward Enninful

Expo. 🖼️ Edward Enninful, premier rédacteur en chef noir du magazine anglais de mode British Vogue, en 2017, est le commissaire d'une exposition à Paris à la Galerie Thaddaeus Ropac autour de l'icône américaine de la photo : Robert Mapplethorpe. Après avoir quitté ses fonctions de rédacteur en chef du British Vogue en février 2024, Edward Enninful est désormais « global creative and cultural advisor of Vogue », au sein du groupe Condé Nast. Dans une récente interview au Figaro, il explique sa passion pour l’œuvre du grand photographe américain : « Beaucoup de choses ont été écrites sur Mapplethorpe et son obsession du corps noir. Je l'ai découvert dans son Black Book sans faire de hiérarchie entre les images, en me fiant juste à mon instinct. Je ne savais rien de l'objectivation, cette transformation du corps noir en objet sexué qui fait désormais débat (…) Certaines images du Black Book trouvent un écho en moi ».

➡️ Robert Mapplethorpe curated by Edward Enninful. L'exposition est présentée à la Galerie Thaddaeus Ropac à Paris (dans le Marais, 3ème arrondissement) jusqu’au 6 avril 2024

➡️ À lire : « A Visible Man, The First Black Editor in British « Vogue's History », première publication septembre 2022, Bloomsbury (14,50 euros)

Ne suis-je pas un.e féministe ?

Biblio. 📚 « Qui peut se revendiquer féministe ? Pourquoi les personnes trans sont attaquées par certaines féministes ? Le sociologue Emmanuel Beaubatie se frotte à ces épineuses questions dans un texte bref et limpide », explique un article de Télérama, consacré à cet ouvrage, Ne suis-je pas un.e féministe ?, qui vient d’être publié par Seuil dans sa collection Seuil. Libelle. « Qui a le droit de se réclamer du féminisme ? Qui est légitime à faire partie du mouvement ? Depuis près de cinquante ans, des militantes de la cause des femmes excluent les trans’ et vont jusqu’à nier leur existence. Le cas des trans’ n’est pas isolé : il prend place dans la longue liste de celles qui, au nom de l’universalisme ou de la nature, se sont trouvées marginalisées. Lesbiennes, femmes noires, femmes portant le foulard, travailleuses du sexe… beaucoup ont, un jour ou l’autre, été amené·es à poser la question : ne suis-je pas un·e féministe ? », détaille l’éditeur de cet essai.

Emmanuel Beaubatie est sociologue, chargé de recherche au CNRS (section 36) depuis 2021 et enseignant à l’École des hautes études en sciences sociales. Il travaille sur le genre et la sexualité en faisant dialoguer les études féministes avec des méthodes et des concepts issus de la sociologie des classes sociales. Son ouvrage le plus connu est « Transfuges de sexe ». Il s’agit de son mémoire de doctorat (EHESS, 2017), consacré aux parcours trans en France.

➡️ Ne suis-je pas un.e féministe ?, par Emmanuel Beaubatie, Seuil. Libelle, 60 pages, 4,90 euros

It's a Sin : la série phénomène arrive sur France 2

It’s a Sin suit les destins croisés d’un groupe d’amis gays et de leur meilleure amie à Londres sur une période de dix ans (1981 à 1991). Réalisé par le créateur de la série culte Queer as folk, la mini-série raconte les formes de solidarités qui se mettent en place dans un groupe d’amis-es frappés-es par l’arrivée du sida dans une société britannique particulièrement homophobe. Acclamée par la presse et les activistes de la lutte contre le VIH lors de sa première diffusion en 2021, la série avait suscité un débat national en Angleterre autour du VIH et un record de dépistages. La série phénomène sera diffusée en prime time sur France 2 le lundi 18 mars et mise en ligne le même jour sur France.tv, à l’occasion des 30 ans du Sidaction. Le premier épisode de It’s A Sin, diffusé le 22 janvier 2021 sur Channel 4 au Royaume-Uni, lors d’un week-end neigeux et en plein confinement national au Royaume-Uni, avait battu des records d’audience. Dès le soir de sa diffusion, le hashtag #ItsASin était en tendance nationale sur Twitter. Des milliers de personnes exprimaient leur émotions, leur tristesse, leur colère… D’autres témoignaient de leur vécu avec le VIH ou de leurs amis-es/amants-es décédés-es des suites de complications dues au sida dans les années 80/90.

Interrogé par la rédaction de Remaides en 2021, Didier Roth-Bettoni, journaliste et auteur du livre Les années sida à l’écran, expliquait que cette série n’arrivait pas par hasard. « Depuis cinq ou six ans, on observe un peu partout dans le monde occidental un basculement qui s’est fait avec une possibilité de raconter cette période-là qui n’existait pas avant. Il y a d’abord eu le film The Normal Heart puis 120 Battements par minute et le film de Christophe Honoré, etc. ». Pourquoi ce retour aux années sida maintenant ?

« Pour deux raisons », expliquait le journaliste et critique. « À la fois, la capacité pour celles et ceux qui ont vécu cette période de pouvoir à nouveau s’y confronter et puis le fait que la société soit prête à entendre cette histoire. Le sida est tellement éloigné de la vie quotidienne des gens aujourd’hui que cela fait sens de revenir sur cette période avec le recul du temps, presque comme un fait historique. Je me souviens de débats lors des séances de 120 Battements en 2017, de nombreuses personnes venaient me voir à la fin en me disant : « Comment est-ce possible ? Je n’ai rien vu à l’époque, je suis passé à côté ». Peut-on comparer It’s a Sin avec le film 120 battements ? Pour Didier Roth-Bettoni, les deux œuvres sont très différentes, « 120 Battements se passe à une autre époque et dans un contexte plus militant. En revanche, It’s A Sin m’a beaucoup fait penser à la série suédoise Snö qui suit un groupe de jeunes gays dans les années 80 qui sont à la découverte de leur sexualité au moment où l’épidémie de sida décime la communauté gay ».

It’s A Sin est devenue un vrai phénomène de société au Royaume-Uni. Plus de 18 millions de Britanniques ont vu la série, a annoncé la chaine Channel 4 le premier mars 2021 (diffusions TV et replays en streaming). Heureuse coïncidence de calendrier, la diffusion de la série au Royaume-Uni a eu lieu en même temps que la semaine nationale d’incitation au dépistage du VIH. Bien sûr, les associations de lutte contre le VIH se sont emparées de cette fenêtre médiatique pour communiquer massivement sur cette opération en utilisant de façon astucieuse le hashtag #ItsASin. Résultat : un record de dépistages du VIH a été observé, record salué par le ministre de la Santé britannique. Lors de la semaine de dépistage de 2019, 8 068 personnes avait fait un test du VIH. En 2021, ce chiffre a été dépassé dès le premier jour avec 8 200 tests commandés et envoyés aux demandeurs-ses. Au total, en une semaine plus de 17 000 tests VIH ont été commandés. « J'essaie de ne pas pleurer », a réagi Olly Alexander, un des acteurs principaux de la série, en apprenant la nouvelle. « Je trouve ça génial de voir une réponse en temps réel à la série ».

➡️ It’s A Sin, à découvrir sur France 2 le lundi 18 mars 2024 dès 21h10 et mise en ligne le même jour sur France.tv