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    L'actu vue par REMAIDES : "Croi 2024 : vers la fin des traitements quotidiens du VIH ?"

    • Actualité
    • 07.03.2024

    CROI 2024 jour 4

    © Bruno Spire

    Par Bruno Spire et Fred Lebreton 

    Croi 2024 : vers la fin des traitements quotidiens du VIH ?

    La plus grande conférence scientifique américaine sur le VIH, les hépatites et les infections opportunistes (Croi) se tient à Denver (États-Unis) du 3 au 6 mars 2024. Comme chaque année, la rédaction de Remaides vous propose une sélection des temps forts et des infos clefs avec nos envoyés spéciaux Bruno Spire et Fred Lebreton. Retour sur le quatrième et dernier jour de la conférence, mercredi 6 mars 2024.

    Le traitement injectable CAB/RPV supérieur au traitement oral chez les PVVIH avec des problèmes d’observance

    Une étude a beaucoup fait parler d’elle en ce dernier jour de Croi. Il s’agit de l’étude LATITUDE. Les chercheurs-ses ont inclus des PVVIH qui n’avaient pas une charge virale indétectable (problèmes d’observance ou personnes perdues de vue). Toutes les personnes connaissaient des difficultés socio-économiques. Les participants-es étaient répartis-es en deux groupes : l’un prenant un traitement oral quotidien et l’autre prenant une bithérapie cabotégravir/rilpivirine (CAB/RPV) en traitement injectable, tous les deux mois. Tous-tes les participants-es percevaient des indemnités financières dans le cadre de leur participation à l’étude. Il n’y a eu que 3 % d’injections retardées (les personnes sont venues hors délai à leur rendez-vous pour l’injection) et 3 % loupées (les personnes ne sont pas venues à leur rendez-vous pour l’injection). Le critère principal était l’arrêt du suivi : 24 % d’arrêts dans le groupe recevant le traitement injectable versus 38,5 % dans le groupe prenant le traitement oral. Pour les échecs : 7 % d’échecs pour le groupe recevant le traitement injectable versus 25 % dans le groupe prenant le traitement oral. Les six échecs constatés dans le groupe prenant l’injectable ont montré des mutations de résistance. « Probablement la présentation la plus importante à #CROI2024 est l'étude LATITUDE. LA-CAB/RPV était supérieur aux antirétroviraux oraux chez une population de PVVIH incapable d'atteindre une suppression virale avec un traitement oral. Une étude qui pourrait changer les pratiques. Félicitations », a tweeté le chercheur américain Carlos del Rio (Emory University, Atlanta, États-Unis). « Les résultats importants de l'étude LATITUDE suscitent l'espoir d'une gestion réussie des personnes vivant avec le VIH qui rencontrent des défis liés à l'observance », a également tweeté Linda-Gail Bekker, directrice adjointe de la fondation Desmond Tutu HIV et ancienne présidente de l’IAS. 

    Les traitements à longue durée d’action ont le vent en poupe

    En plénière de ce dernier jour de Croi, un titre de présentation sous forme de provocation : « Est-ce la fin annoncée des traitements oraux ? ». Charles W. Flexner, chercheur à la Johns Hopkins University, (Baltimore, États-Unis) explique que les formulations modernes n’étaient pas imaginables il y a 20 ans. Pourquoi toujours chercher à les améliorer ? Il y a toujours des échecs dus à une mauvaise observance ou des problèmes d’accès aux ARV et de rétention dans le soin, en particulier dans les pays du Sud et ce malgré l’arrivée des anti-intégrases. Cela conduit à l’émergence de résistances. Les formes injectables semblent supérieures en limitant les problèmes d’observance. Une nouvelle formulation retard est la nano-suspension. C’est l’exemple de la bithérapie injectable tous les deux mois de cabotégravir/rilpivirine. Il y a différentes tailles de cristaux qui sont absorbés à des moments différents, suite à l’injection. Une autre formulation permet, par exemple, la forme sous cutanée avec l’association ténofovir/dolutégravir/3TC avec des nanoparticules de lipides. Ce qui a montré des bonnes concentrations durables sur le modèle animal (singe). On peut aussi utiliser des prodrogues qui se transforment progressivement en drogue active, ce qui a été fait pour l’emtricitabine sur un modèle animal (souris) avec une protection qui dure plusieurs semaines. Cette technique pourrait permettre une injection de bictégravair à longue durée d’action sur six mois. Il y a aussi des essais avec des implants que ce soit en traitement VIH, en Prep, mais aussi contre la tuberculose et le VHB. Un implant de TAF (ténofovir alafénamide) a été testé chez des femmes en Afrique du Sud. Sa durée est d’un an, mais il y a eu des intolérances locales et beaucoup d’abandons avec ce premier prototype qui doit être amélioré. Pour l’hépatite C, l’idéal serait un traitement pour guérir en une seule injection, après diagnostic. Deux molécules ont été formulées sous formes de nanoparticules et semblent persister plus de huit semaines chez le rat. Pour les antiprotéases, les formes injectables n’auront plus besoin de booster. Toutes ces avancées pourraient aussi profiter au traitement pédiatrique. Mais qui dit innovations thérapeutiques dit coûts élevés et se pose la sempiternelle question de l’accès à ces innovations dans les pays du Sud…

    Vers de nouveaux outils diagnostics

    Le dépistage est une étape cruciale dans la stratégie « Test and treat » (« dépister et traiter »). Il est estimé, aujourd’hui, que l’épidémie non diagnostiquée de VIH s’élève à 14 % dans le monde, soit, par exemple, une personne sur huit aux États-Unis. Des personnes qui ignorent leur séropositivité, qui n’ont pas accès aux traitements VIH et qui peuvent transmettre le VIH sans le savoir (92 % des transmissions viennent de personnes séropositives non dépistées). Il y a une période de latence entre une infection à VIH et les marqueurs virologiques ou sérologiques. Il faut aussi tenir compte des possibilités techniques et du contexte de dépistage (à domicile, dans la rue, en milieu médical) ainsi que la possibilité de dépister plusieurs virus en même temps. Il faut différencier autotest et autoprélèvement. Unitaid a lancé un vaste programme d’autotests et a montré l’efficacité de cette stratégie. Les autotests permettent de répéter le test trois fois plus souvent par rapport au dépistage classique. En Afrique du Sud, l’acceptabilité de l’autotest est bien supérieure et le lien avec le système de soins est similaire. Pour les tests multiplex (multi sites : anus, gorge, vagin, urètre…), le problème est le coût. Il y a des progrès aussi sur le séquençage pour détecter les résistances : mais difficile à standardiser et cher. La technique de « machine learning » avec l’intelligence artificielle devrait être utile pour améliorer la sensibilité des tests et conduire à des algorithmes plus précis. 

    Le dépistage et le traitement du cancer anal

    Le test : cytologie ou HPV PCR (non approuvé par l’Agence américaine du médicament/FDA). Si positif, on recherche un diagnostic de lésions.

    Diagnostic : anuscopie haute résolution : la grande taille des lésions est associée à une mauvaise évolution, ainsi qu’un nadir des CD4 bas (le nadir est le chiffre indiquant la valeur minimale enregistrée de la charge virale ou des CD4 dans l’histoire d’une personne). Si le nadir de CD4 > 350/mm3 l’évolution est comparable à celle dans la population générale. 

    Les traitement envisageables sont  l’ablation, le laser, la radiothérapie ou la chimiothérapie.

    • Évaluation de différentes anuscopies à haute résolution

    La disponibilité de cette technique est faible : nécessité de faire une pré-sélection des patients-es concernés-es pour limiter l’embouteillage d’accès à cet examen. Les meilleurs marqueurs liés au risque de lésion sont la PCR du HPV (papillomavirus humain) et la cytologie anale (examen utile en l'absence de lésions visibles à l'examen clinique), bien que moins sensible. La cytologie anale est un examen médical qui consiste à prélever des cellules de la muqueuse de l'anus afin de les examiner au microscope. Cet examen est généralement réalisé pour détecter d'éventuelles anomalies cellulaires, notamment des cellules précancéreuses ou cancéreuses, dans la région anale. La cytologie anale est souvent réalisée en complément d'autres examens, tels que l'anuscopie ou la colposcopie anale.

    • Rôle de l’auto-prélèvement

    L’auto-prélèvement est un prélèvement à faire soi-même sur son corps. Il consiste à récupérer des cellules au niveau de la muqueuse à l’aide d’un kit adapté, remis ensuite à un tiers pour analyse.En Afrique, en raison d’une limite du nombre de médecins formés-es, il y a la possibilité de passer par l’auto-prélèvement. Une étude au Togo a inclus des HSH séronégatifs et séropositifs au VIH, suivis sur deux ans. Les personnes préfèrent à 60 % les auto-prélèvements : seuls 6 % des résultats sont ininterprétables quand les auto-prélèvements sont faits par les personnes versus 4 % lorsqu’ils sont réalisés par le-la médecin. La concordance des résultats de PCR HPV est excellente entre les deux techniques. 

    • Facteurs prédictifs de cancer anal chez les PVVIH

    Deux prédicteurs forts : la cytologie (détection de cellules anormales de haut grade) et un nadir de CD4 <200. Les PVVIH qui ont ces deux facteurs ont 13 fois plus de risque de développer un cancer anal par rapport aux personnes vivant avec le VIH qui n’ont aucun de ces facteurs.

    • Rôle du traitement ARV à long terme 

    Est-ce que le fait de prendre un traitement ARV depuis des années réduit à terme le risque de cancer anal ? Étude au Botswana où on a comparé quatre groupes : des PVVIH sous traitement depuis plus de cinq ans ; des PVVIH sous traitement depuis moins de cinq ans ; des PVVIH non traitées et des personnes séronégatives. Dans ces groupes, on a recherché des cancers associés au HPV (anaux, péniens, vulvaires). Seul le groupe des personnes séronégatives a vingt fois moins de risque de présenter un cancer ; aucune différence entre les trois autres groupes. La durée de traitement n’est pas associée à un moindre risque de présenter un cancer associé au HPV.

    Doxypep : est-on prêt ?

    Les IST sont en hausse partout dans le monde. Nous pouvons les guérir et les prévenir. Mais contrôler leur diffusion reste un enjeu. Doxypep pourrait être utilisé dès maintenant. La doxycycline est peu chère et fonctionne sur un ensemble des bactéries. En 2015, un premier essai de Doxypep montre 73 % de réduction des IST en général. Dans l’essai français sur la Prep IPERGAY, une baisse de 47 % des IST était observée dans une sous étude sur la doxycycline avec des meilleurs résultats pour la syphilis et les infections à chlamydia. L’essai DoxyPEP reproduit IPERGAY, mais en incluant des PVVIH : 65 % de réduction des IST au total. Cet essai s’est prolongé et l’incidence continue à baisser dans le temps. L’essai Doxyvac confirme l’efficacité sur les chlamydia et syphilis, mais pas d’effet du vaccin Bexsero développé initialement contre le méningocoque B sur le risque d’infection par le gonocoque. Chez des femmes au Kenya, pas d’effet démontré mais l’observance était faible. Doxypep facilite la qualité de vie sexuelle et réduit la stigmatisation liée aux IST. Mais, Il ne faut pas négliger les éventuels risques qui sont toujours les mêmes quand on traite avec des antibiotiques : risque de résistances, impact sur la flore microbienne (microbiote), tolérance à long terme, impact sur le diagnostic sérologique en cas d’infection par la syphilis et absence claire de recommandations actuellement qui font hésiter les cliniciens-nes quant à cet usage. Les essais sont pourtant rassurants concernant le microbiote et la résistance. Il y a une augmentation de l’expression de gènes de la résistance chez les personnes traitées par Doxypep, mais sans conséquences cliniques. Il y a un intérêt communautaire de cet outil chez les gays, mais il faut maintenant mettre en place des recommandations claires et une stratégie collective pour implémenter la Doxypep à grande échelle et privilégier les populations qui en ont le plus besoin. Est-ce que la réduction des IST asymptomatiques est nécessaire ? Est-ce que les populations défavorisées vont adhérer ? Est-ce coût-efficace ? Toutes ces questions n’ont pas de réponse définitive, aujourd’hui.

    Implications pour l’antibiorésistance

    La doxycycline est recommandée pour traiter en première intention les chlamydiae mais pas le gonocoque ou la syphilis. Quel est l’impact de la prophylaxie sur la résistance aux antibiotiques ? La doxycycline bloque la synthèse des protéines bactériennes. La bactérie peut résister avec des gènes qui, quand ils sont activés, expulsent le médicament de la bactérie. Il existe des bactéries qui sont d’emblée résistantes. Le tréponème (syphilis) peut devenir résistant chez le cochon grâce à d’autres bactéries. C’est pourquoi il est important de bien surveiller le traitement des personnes et de rechercher une résistance en cas de maintien des symptômes. Le gonocoque est beaucoup plus résistant à la doxycycline, en particulier en France avec 70 % de souches résistantes. Dans les essais Doxypep, il a été observé une augmentation des souches résistantes au cours du temps pour le gonocoque. Y a-t-il risque de ne pas pouvoir traiter ces souches avec les troisièmes générations de céphalosporine (antibiotiques appartenant à la famille des β-lactamines, famille la plus prescrite en Europe) ? On ne sait pas. Il est nécessaire d’étudier les souches de gonocoques résistantes par culture pour trouver le traitement le plus optimal.  Et dans le microbiote, y-a-t-il de l’antibiorésistance ? Pas de différences dans l’essai entre placebo et traitement sur les staphylocoques pathogènes, mais légère différence constatée dans l’essai américain.

    En conclusion : le risque de résistance est faible pour les chlamydiae et la syphilis. Pour le gonocoque, nous avons besoin d’un vrai vaccin spécifique car la résistance est déjà là et pour le microbiote, il faut davantage de surveillance. 

    Implémentation de Doxypep : entre défis et opportunités

    Comment implémenter cette stratégie ? À qui faut-il prescrire Doxypep ? Faut-il se limiter à la population des essais, soit les HSH et les personnes trans qui ont déjà eu une IST ? Les modèles penchent pour la prescription pour les personnes qui ont eu une IST dans les douze derniers mois. Pour la Prep, on a été trop restrictif au début, mais plus souple ensuite pour attirer toutes les personnes qui en ont besoin, au vu de la difficulté à avoir une bonne couverture. Mais la différence pour Doxypep est qu’on ne dispose que de données solides sur les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes) et les personnes trans et il y a le risque d’antibiorésistance. Pour les IST, c’est curable à la différence du VIH. Il existe donc une variabilité dans les recommandations selon les pays, certaines étant plus restrictives que d’autres. Mais recommandations ou pas, la Doxypep est déjà utilisée chez les HSH de façon plus ou moins « sauvage ».

    La deuxième question est celle des outils à mettre en place en pratique. Il faut une décision partagée entre le-la patient-e et son médecin, avec besoin de former les médecins en ce sens. Il est nécessaire d’avoir un guide de prescription précis et une formation au suivi biologique des IST. La Doxypep doit s’inclure dans un paquet d’interventions sur la santé sexuelle. Il faut pouvoir aussi disposer de données de surveillance d’antibiorésistance. La troisième question concerne ce qu’on a appris des centres qui ont déjà commencé la Doxypep : douze centres aux États-Unis par exemple. Près de 3 779 initiations ont eu lieu entre octobre 2022 et 2023 à San Francisco grâce à la sortie des recommandations et le succès est identique quelle que soit l’ethnicité ou quel que soit le genre.

    Résultat : 90 % de baisse des chlamydiae, 56 % de baisse pour la syphilis et 23 % de baisse pour le gonocoque. Les recommandations vont évoluer en fonction de l’expérience qui va croitre. 

    Un nouveau vaccin anti-hépatite B plus efficace

    Le vaccin classique de protéines recombinantes a un taux d’efficacité qui varie entre 30 et 80 % chez les PVVIH. Un nouveau vaccin HepB-CPG a été administré à deux ou trois doses et comparé au vaccin classique HepB Alum chez des PVVIH qui n’avaient pas pu être immunisées avec succès. On a mesuré le taux d’anticorps anti-hepB. Cette étude a été menée sur 41 sites dans dix pays. Les résultats sont en faveur de 93 % pour deux doses, 99 % pour trois doses et 80 % pour HepB Alum. Le pourcentage des effets indésirables et de 32 % pour les deux doses, 43 % pour les trois doses ou le vaccin classique. 

    Un vaccin anti-TB pour éviter les rechutes qui n’est pas encore au point

    Le vaccin H56:IC31 est développé par un institut public au Danemark et cible un antigène immuno-dominant de la tuberculose jouant un rôle au début de l’infection. Ce vaccin a été administré chez des personnes qui avaient déjà été traitées pour une tuberculose. Pas moins de 831 personnes ont été réparties en deux groupes (l’un avec et l’autre sans vaccin). L’effet observé du vaccin est modeste. Peu de différence entre les deux groupes sur les rechutes, bien qu’il y ait eu une réaction immunitaire T. Il est désormais important de comprendre les raisons de cet échec.

    Rendez-vous à San Francisco en 2025 !

    Ainsi s’achèvent nos chroniques de la Croi 2024 à Denver. Pour aller plus loin, la rédaction de Remaides vous recommande de lire les excellents compte-rendu de Gilles Pialoux sur VIH.ORG, Jennifer Pasquier pour Sidaction et Cédric Arvieux pour le Corevih Bretagne. Nous vous donnons rendez-vous pour de nouvelles aventures l’an prochain à San Francisco du 9 au 12 mars 2025 pour la Croi 2025.

     

    Remerciements pour les relectures et les mises en ligne : Franck Barbier et Mathieu Hoff.