L’Actu vue par Remaides : « Croi 2025 : VIH, Prep, quels traitements demain ? »
- Actualité
- 12.03.2025
Le photo call de la Croi 2025 à San Francisco. Photo : Fred Lebreton.
Par Bruno Spire, Luis Sagaon-Teyssier et Fred Lebreton
Croi 2025 : VIH, Prep,
quels traitements demain ?
La plus grande conférence scientifique américaine sur le VIH, les hépatites et les infections opportunistes (Croi) se tient à San Francisco (États-Unis) du 9 au 12 mars 2025. Comme chaque année, la rédaction de Remaides vous propose une sélection des temps forts et des infos clefs. Retour sur la journée du mardi 11 mars 2025.
Vers un traitement VIH tous les six mois ?
Une combinaison prometteuse à l'essai
Onyema Ogbuagu (Yale University, New Haven, États-Unis) lors de sa présentation à la Croi 2025 des résultats d'un essai sur un nouveau traitement injectable contre le VIH, combinant le lénacapavir et deux anticorps neutralisants : le téropavimab et le zinlirvimab. Photo : Fred Lebreton.
Si le lénacapavir a montré sa grande efficacité en monothérapie Prep (voir plus bas), les chercheurs-ses n’ont pas encore trouvé son ou ses « partenaires » pour en faire un traitement VIH à longue durée d’action. Une étude de phase 2 présentée par Onyema Ogbuagu (Yale University, New Haven, États-Unis) a testé un nouveau traitement injectable contre le VIH, combinant le lénacapavir et deux anticorps neutralisants (le téropavimab et le zinlirvimab), administré tous les six mois. L’objectif était de comparer son efficacité et sa tolérance à celles des traitements antirétroviraux oraux quotidiens classiques. Parmi les 53 participants-es ayant reçu cette nouvelle combinaison, 96 % ont maintenu une charge virale indétectable après 26 semaines, un taux équivalent à celui des 27 participants-es ayant poursuivi leur traitement habituel.
Un seul participant a connu un rebond avec des résistances aux anticorps et au lénacapavir. Les effets indésirables ont été globalement bénins, se limitant principalement à des réactions légères au point d’injection (37 % des participants-es), sans complications graves ni abandons au cours de l’essai pour raisons médicales. En parallèle, le nombre de cellules CD4, indicateur clé de l’efficacité du système immunitaire, s’est maintenu, voire légèrement amélioré. Ces résultats encourageants ouvrent la voie à un traitement potentiellement plus pratique, réduisant la contrainte de prise quotidienne et facilitant l’observance des personnes, notamment celles pour qui la discrétion et la régularité du traitement sont un défi.
VH-184 : un nouvel antirétroviral à longue durée d'action
Luise Rogg (ViiV Healthcare, Durham, États-Unis) lors de sa présentation des résultats d'une étude clinique de phase 2a concernant un nouvel antirétroviral à longue durée d’action : le VH-184.
Photo : Fred Lebreton.
Un nouvel antirétroviral à longue durée d’action, VH-184, a montré des résultats prometteurs dans une étude clinique de phase 2a présentée par Luise Rogg (ViiV Healthcare, Durham, États-Unis). Cet anti-intégrase de troisième génération est développé pour être plus résistant aux mutations du VIH que les traitements actuels tels que le dolutégravir. Il a été testé en monothérapie sur 22 participants-es vivant avec le VIH et n’ayant jamais reçu de traitement antirétroviral. Pendant dix jours, les volontaires ont reçu soit une des trois doses de VH-184 (10 mg, 50 mg ou 300 mg), soit un placebo, avant d’être mis-es sous traitement standard. L’objectif principal de l’étude était de mesurer la baisse de la charge virale jusqu’au jour dix, tandis que les critères secondaires incluaient la sécurité, la tolérance et l’apparition éventuelle de résistances. Les résultats montrent une diminution significative de la charge virale, atteignant en moyenne -1,17 log10 c/mL avec la dose de 10 mg, -2,15 log10 c/mL avec 50 mg et -2,31 log10 c/mL avec 300 mg, soit une réduction de plus de 99 % de la présence du virus dans le sang chez les personnes ayant reçu la dose la plus élevée. Un lien clair entre la dose administrée et l’efficacité antivirale a été observée, suggérant, à ce stade, un fort potentiel du VH-184 en tant que traitement à action prolongée. Par ailleurs, aucun signe de résistance au médicament n’a été détecté à la fin des dix jours de monothérapie, ce qui est un indicateur clé pour une efficacité à long terme. Côté sécurité, VH-184 a été bien toléré par les participants-es. Les effets indésirables ont été rares et modérés, avec seulement deux cas de vomissements légers signalés parmi des personnes ayant reçu le traitement. Aucun effet indésirable grave, aucune réaction sévère ni aucun abandon de traitement n’ont été rapportés.
VH-499, une nouvel anticapside du VIH en traitement à longue durée d'action
Lors de la Croi 2025, Paul Benn (ViiV Healthcare, Brentford, Royaume-Uni) a présenté les résultats d'une étude clinique de phase 2a concernant le VH-499, un nouvel anti-capside. Photo : Fred Lebreton.
Le lénacapavir de Gilead était le premier traitement de la famille des anti-capside, mais voilà qu’arrive son « petit frère », VH-499, un nouvel anti-capside présenté à la Croi par Paul Benn, (ViiV Healthcare, Brentford, Royaume-Uni). Cette molécule a été testée dans une étude clinique de phase 2a visant à évaluer son efficacité antivirale, sa sécurité et sa tolérance. L’essai, réalisé en double aveugle et contrôlé par placebo (ni les participants-es, ni leurs soignants-es ne savaient qui prenait le traitement ou le placebo), a inclus 23 participants-es adultes vivant avec le VIH, n’ayant jamais reçu de traitement antirétroviral et présentant une charge virale élevée (supérieure ou égale à 3000 copies/mL). Ils-elles ont été répartis-es en quatre groupes recevant soit une dose orale de VH-499 (25 mg, 100 mg ou 250 mg) aux premier et sixième jour de l’essai, soit un placebo. Après cette phase de monothérapie de dix jours, tous-tes les participants-es ont été mis-ses sous un traitement antirétroviral standard. Les résultats ont montré une réduction significative de la charge virale dès les premiers jours de traitement, avec une efficacité proportionnelle à la dose administrée. La diminution moyenne maximale de la charge virale du VIH a atteint -2,2 log10 c/mL pour la dose de 250 mg, contre -1,8 log10 c/mL pour les doses de 25 mg et 100 mg. Cette corrélation entre la dose et l’effet antiviral confirme que VH-499 est un inhibiteur puissant du VIH. De plus, le traitement a été bien toléré. Aucun effet indésirable grave, aucun arrêt du traitement ni aucun décès n’ont été signalés. Les analyses biologiques n’ont révélé aucune anomalie clinique significative, et aucun signe de résistance au VH-499 n’a été détecté. Ces résultats préliminaires confirment, à ce stade, le potentiel de VH-499 comme traitement antirétroviral à longue durée d’action. Ces données encouragent la poursuite des recherches pour intégrer VH-499 dans un schéma thérapeutique complet, avec l’objectif de proposer une alternative durable et efficace aux traitements actuels.
Lénacapavir en injection annuelle (Prep) : les premières données
Les premières données cliniques du lénacapavir en Prep avec une injection, une fois par an, ont été présentées par Renu Singh (Gilead Sciences, Foster City, États-Unis) à la Croi de San Francisco.
Photo : Fred Lebreton.
Gilead ne perd pas de temps. Alors que la formulation du lénacapavir en Prep injectable tous les six mois n’est pas encore commercialisée (la demande est en cours), la firme pharmaceutique a profité de la Croi pour annoncer les premières données cliniques de ce traitement en injection une fois par an. L’annonce, doublée d’une publication dans The Lancet a été présentée par Renu Singh (Gilead Sciences, Foster City, États-Unis). Le lénacapavir a déjà démontré une efficacité dans un essai de phase 3 (essai Purpose) lorsqu’il est administré en injection sous-cutanée tous les six mois. Afin d’évaluer la possibilité d’une administration encore plus espacée, une étude en cours examine deux nouvelles formulations du lénacapavir administrées par une seule injection intramusculaire annuelle. Formulation une avec 5 % d’éthanol et formulation deux avec 10 % d’éthanol chez 20 participants-es dans chaque groupe. Dans cette étude menée en ouvert, des volontaires séronégatifs-ves ont reçu une injection unique de l’une des deux formulations de lénacapavir à une concentration de 500 mg/mL. L’évolution des concentrations du médicament dans le sang a été surveillée pendant plus d’un an afin d’évaluer la pharmacocinétique (c’est-à-dire la manière dont le médicament est absorbé, distribué et éliminé par l’organisme) ainsi que la sécurité et la tolérance du traitement. Les premiers résultats montrent que, pour la première formulation testée, la concentration maximale de lénacapavir dans le sang est atteinte environ douze semaines après l’injection. Après douze mois, la concentration résiduelle moyenne du médicament reste largement supérieure au seuil d’efficacité, dépassant même celle observée avec l’injection sous-cutanée semestrielle actuellement étudiée. Les résultats préliminaires pour la deuxième formulation sont similaires et suggèrent qu’elle pourrait également maintenir des niveaux efficaces de lénacapavir sur une année complète. En termes de tolérance, les effets indésirables rapportés étaient majoritairement légers à modérés et comparables entre les deux groupes. Le principal effet observé était une douleur au point d’injection, ressentie par environ 75 % des participants-es. Cette douleur, généralement légère, disparaissait en moins d’une semaine et pouvait être atténuée par l’application d’une poche de glace avant l’injection. Aucun effet indésirable grave n’a été signalé, ce qui suggère un bon profil de sécurité pour ces nouvelles formulations. Les prochaines étapes incluront une comparaison avec les données issues de l’essai de phase 3 sur l’injection semestrielle de lénacapavir, afin de déterminer si cette nouvelle approche annuelle pourrait être intégrée aux stratégies de prévention du VIH à grande échelle.
L'autotest du VIH, un outil clé à intégrer aux systèmes de santé
L'autotest du VIH représente un défi majeur pour les systèmes de santé, nécessitant une adaptation des services et une transformation des pratiques, notamment en matière d'autonomie des personnes concernant leur santé. Ce défi est renforcé par les récentes recommandations de l'Organisation mondiale de la santé qui prévoient la possibilité de délivrer la Prep aux personnes utilisant l'autotest. Par ailleurs, l'autotest ne se limite pas au VIH, puisqu'il existe aussi pour d'autres infections comme l'hépatite C (VHC) et la syphilis, soulevant la question de son intégration à grande échelle dans les stratégies de santé publique. Une étude menée aux États-Unis en 2023-2024 sur la distribution nationale d’autotests du VIH visait à évaluer l’engagement des utilisateurs-rices dans les services de prévention et de soins après un test positif. Sur 5 336 participants-es, 51 ont obtenu un résultat positif via autotest, contre 57 avec un test réalisé en clinique. Parmi eux-elles, 42 ont confirmé leur diagnostic en laboratoire et 35 ont initié un traitement antirétroviral, contribuant ainsi à limiter la transmission du virus. Ces résultats démontrent l’impact de l’autotest sur la sensibilisation et le dépistage du VIH. Toutefois, il est essentiel de renforcer les messages de prévention et d’information, en insistant sur la nécessité de confirmer tout résultat positif en laboratoire afin d’assurer une prise en charge rapide et efficace.
L'autotest du VIH : un outil essentiel pour réduire les inégalités d'accès au dépistage
Une étude menée aux États-Unis entre 2023 et 2024 a évalué les besoins non satisfaits en matière de dépistage du VIH et la part de ces besoins couverte par le programme national de distribution d’autotests Together TakeMeHome. Sur 315 710 demandes reçues, 586 099 kits ont été distribués, principalement à des personnes n’ayant pas pu accéder aux services de dépistage traditionnels. Ces résultats soulignent l’importance de développer des initiatives spécifiques pour élargir l’accès aux outils de prévention tels que l’autotest. Toutefois, des disparités géographiques ont été observées : Washington D.C. affichait un taux de satisfaction des besoins de dépistage de 39 %, tandis que plusieurs États du Sud, ainsi que New York, le New Jersey et le Nevada, présentaient les taux les plus faibles (14 %). Ces données mettent en évidence le rôle clé des programmes de dépistage à domicile dans la réduction des inégalités d'accès et la nécessité de stratégies adaptées pour combler ces écarts.
Un aperçu de la salle de présentation des posters (des résumés avec les principaux résultats et enseignements de recherches cliniques) au Moscone Convention Center de San Francisco qui accueille l'édition 2025 de la Croi. Photo : Fred Lebreton.
Facteurs influant sur l'adoption du dépistage en couple à domicile au Kenya
Une étude menée au Kenya a évalué les facteurs modérateurs d’une intervention visant à encourager les couples à utiliser les services de counseling (accompagnement) et de dépistage du VIH à domicile. Un essai randomisé contrôlé (ERC) est une étude scientifique où les participants-es sont répartis-es aléatoirement en deux groupes : un groupe qui reçoit l'intervention testée (ex. : un traitement) et un groupe témoin qui reçoit un placebo ou un traitement standard. Cette méthode permet de comparer les effets de l’intervention de manière rigoureuse et scientifique, en minimisant les biais et en garantissant des résultats fiables. Cet essai randomisé contrôlé a suivi les participants-es à trois mois et douze mois, avec des suivis téléphoniques intermédiaires à six mois et dix-huit mois. Les résultats montrent que l’intervention a eu un impact plus marqué chez les couples où la femme était séronégative. Ces résultats suggèrent que ces couples constituent une cible prioritaire pour la promotion des services de dépistage et de counseling à domicile.
Forte incidence du VIH chez les femmes trans au Brésil
Une étude menée à Goiânia (Brésil) a analysé la prévalence et les facteurs expliquant les infections récentes au VIH chez les femmes trans. Avec une prévalence globale de 35 % et une incidence annuelle estimée entre 6 et 9 %, les résultats révèlent une situation préoccupante. Parmi les participantes testées positives, 44 (soit 50 %) présentaient une infection récente. L’âge et les antécédents d’infections sexuellement transmissibles (IST) étaient significativement associés à ces infections récentes. Fait alarmant, aucune des participantes n’était sous Prep, soulignant un manque d’accès ou d’information sur cette mesure préventive essentielle.
VIH chez les femmes trans du centre du Brésil : risques similaires en ville et en zone rurale
Une étude a analysé la prévalence du VIH chez les femmes trans vivant en milieu urbain et en zones rurales ou semi-rurales du centre du Brésil. Le recrutement s’est fait par la méthode RDS (Respondent-Driven Sampling, un système de recrutement en chaîne : un petit nombre de personnes est recruté initialement, puis ces personnes invitent à leur tour d'autres participants-es, qui en invitent d’autres, et ainsi de suite), avec des tests rapides (Trod) confirmés en cas de positivité et des questionnaires en face à face. Les résultats montrent une prévalence quasi identique : 32 % dans la capitale de l’État et 33 % dans les petites villes. Aucune des participantes n'était sous Prep. Les facteurs associés à l’infection au VIH varient selon l’environnement : les infections sexuellement transmissibles (IST) et les rapports sexuels en groupe sont des éléments déterminants dans les petites villes.
Accès aux soins et traitement du VIH chez les femmes trans en France
Grâce à la cohorte ANRS-CO4 FHDH, qui suit les personnes vivant avec le VIH en France depuis 1989, une étude a analysé l’accès aux soins, la mise sous traitement et l’atteinte de la charge virale indétectable chez les femmes trans. Parmi les 815 femmes trans incluses entre 1997 et 2022, 68 % étaient d’origine latino-américaine. Les délais d’accès aux différentes étapes du parcours de soins se sont globalement réduits avec le temps. Autrefois influencé par l’état immunobiologique, ce délai est désormais principalement expliqué par l’origine latino-américaine, indiquant des inégalités persistantes dans l’accès rapide au traitement.
Prévention du VIH pendant la grossesse et l'allaitement : un enjeu majeur de santé publique
Obstétricien-gynécologue, John Kinuthia est chef de la recherche et des programmes au Kenyatta National Hospital. Il est intervenu lors de la Croi 2025 sur la vulnérabilité accrue des femmes enceintes et allaitantes face au VIH, en particulier en Afrique subsaharienne. Photo : Fred Lebreton.
Le Dr John Kinuthia est obstétricien-gynécologue, chef de la recherche et des programmes au Kenyatta National Hospital et maître de conférences à l'Institut des maladies tropicales et infectieuses de l'Université de Nairobi (Kenya). Dans sa présentation en plénière, l’expert a mis en lumière la vulnérabilité accrue des femmes enceintes et allaitantes face au VIH, en particulier en Afrique subsaharienne, où elles représentent une part importante des nouvelles infections. Cette susceptibilité accrue est due à des facteurs biologiques, hormonaux et comportementaux, notamment la prévalence élevée des infections sexuellement transmissibles (IST) et le fait que de nombreuses femmes ignorent le statut sérologique de leur partenaire. Or, une infection durant la grossesse augmente considérablement le risque de transmission au nourrisson, contribuant ainsi à 31 % des cas de transmission verticale (transmission de la mère à l’enfant). Devant ce constat, plusieurs stratégies de prévention doivent être mises en place : la promotion du dépistage, y compris via l’autotest pour les partenaires, l’accès aux préservatifs et la mise à disposition de la Prep. Bien que la Prep orale soit reconnue comme sûre et efficace pendant la grossesse, elle est sous-utilisée en raison de divers obstacles d’accès et d’adhésion. Le Dr John Kinuthia souligne que les plateformes de santé maternelle devraient systématiquement proposer la Prep après un test VIH négatif, indépendamment de l’évaluation du risque. Cependant, le principal défi reste la continuité du traitement, particulièrement à six mois de grossesse et après l’accouchement, d’où l’intérêt des options à longue durée d’action, comme le cabotégravir injectable (CAB-LA) ou le lénacapavir, qui a montré une efficacité de 100 % dans l’essai Purpose. L’anneau vaginal imprégné de dapivirine représente également une alternative, bien qu’il expose légèrement l’enfant au médicament. L’élargissement des choix préventifs pourrait améliorer la couverture et limiter les nouvelles infections. Dans cette optique, des initiatives comme le programme Pepfar, qui a déjà évité 7,8 millions de transmissions de la mère à l’enfant, ambitionnent d’intégrer massivement le lénacapavir dans la prévention périnatale. Cependant, son déploiement à grande échelle demeure incertain. Le Dr John Kinuthia rappelle enfin l'importance d’une recherche clinique plus inclusive, afin que les femmes enceintes soient « protégées par la recherche, et non contre la recherche », et il insiste sur la nécessité d’un engagement collectif pour garantir un accès équitable aux nouvelles technologies de prévention.
Comprendre le fonctionnement des vaccins et l'immunité
Bali Pulendran, immunologiste spécialisé dans la vaccinologie et l’immunité innée, lors de son intervention, très technique, sur les mécanismes d’action des vaccins et les interactions entre le système immunitaire et les agents pathogènes. Photo : Fred Lebreton.
Bali Pulendran est un immunologiste spécialisé dans la vaccinologie et l’immunité innée. Professeur à l’Université de Stanford, il mène des recherches sur les mécanismes d’action des vaccins et les interactions entre le système immunitaire et les agents pathogènes. Dans sa présentation (très technique) en plénière, l’expert a décortiqué les mécanismes d’action des vaccins. Contrairement à une idée reçue, ils ne se limitent pas à la production d’anticorps, mais mobilisent l’ensemble du système immunitaire, incluant l’immunité innée et adaptative (cellules T et B). Des recherches récentes ont permis d’identifier des gènes impliqués dans la réponse vaccinale ainsi que des mécanismes épigénétiques qui influencent la durabilité de l’immunité. Par exemple, les cellules T peuvent améliorer la protection en réduisant le besoin d’un taux élevé d’anticorps. De même, le vaccin BCG renforce l’immunité générale et améliore l’efficacité d’autres vaccins comme celui contre la Covid-19. Un autre enjeu majeur est la durée de protection des vaccins, qui varie selon les maladies : celui contre la rougeole offre une immunité à vie, alors que d’autres nécessitent des rappels. Des études montrent que certaines cellules sanguines, comme les mégacaryocytes (précurseurs des plaquettes), jouent un rôle clé dans la persistance des anticorps, notamment après la vaccination contre la grippe. Ces découvertes ouvrent la voie à des stratégies vaccinales plus ciblées et durables.
L'intelligence artificielle au service de la prévention et du soin : promesses et défis
Le machine learning, une branche de l'intelligence artificielle où la machine apprend à partir de données, se décline en apprentissage supervisé, non supervisé et par renforcement. Son application dans le domaine du VIH, notamment pour l’analyse des données de santé ou le soutien via des chatbots (il s’agit d’un programme ou d’une application avec lequel les utilisateurs-rices peuvent converser par le biais de la voix ou du texte), ouvre de nouvelles perspectives, bien que certaines pratiques, comme la prédiction du risque individuel d’infection, suscitent des débats. Les principaux défis incluent les biais des algorithmes, le manque de précision, les questions de confidentialité, le consentement des utilisateurs-rices et la confiance dans ces outils. Par ailleurs, les inégalités d’accès, les coûts d’implémentation et le risque de stigmatisation restent des préoccupations majeures. Plus un algorithme est complexe, plus son interprétation devient difficile, remettant parfois en question son intérêt. Cette session met en lumière plusieurs exemples d’applications concrètes : un algorithme améliorant la prédiction du risque d’échec virologique en intégrant des variables souvent absentes des études rétrospectives, un modèle exploitant les dossiers informatisés pour anticiper le désengagement des patients-es dans les soins en Afrique subsaharienne avec une précision supérieure à celle des experts-es, et enfin, des avancées dans l’IA pour renforcer les chatbots en matière de détection des messages stigmatisants et des idées suicidaires, offrant ainsi un meilleur soutien aux personnes concernées.
Syphilis : le dépistage universel aux urgences, une stratégie plus efficace
À Chicago, face à la recrudescence des cas de syphilis, une étude a évalué l’efficacité du dépistage dans les services d’urgence hospitaliers. Ces derniers représentent une opportunité unique pour toucher des populations éloignées du système de santé. En analysant rétrospectivement les tests réalisés, 37 289 personnes ont été dépistées, révélant un taux de positivité de 1,7 %. L’étude met en évidence que les stratégies de dépistage ciblé, axées sur certaines populations, entraînent de nombreuses opportunités manquées de diagnostic par rapport à un dépistage universel. Ces résultats plaident en faveur d’une approche plus large pour améliorer la détection et la prise en charge de la syphilis.
Syphilis congétinale : un risque accru avec des intervalles de traitement trop longs
Aux États-Unis, la syphilis congénitale (qui atteint les enfants au cours de la grossesse) est en forte augmentation, passant d’environ 300 cas en 2012 à dix fois plus en 2022, atteignant un taux alarmant de 105,8 pour 100 000 naissances en 2023. Cette étude met en lumière l’impact des intervalles de traitement par benzathine pénicilline G (BPG) pendant la grossesse. Les résultats montrent que lorsque les doses sont administrées avec un intervalle de neuf jours, le risque de transmission au bébé est multiplié par quatre par rapport à un intervalle de six à huit jours. Ces conclusions remettent en question les recommandations actuelles et suggèrent que, faute de données supplémentaires, les cliniciens-nes devraient privilégier des intervalles plus courts pour réduire le risque de syphilis congénitale.
Doxypep : une efficacité confirmée à San Francisco pour réduire les IST
Face à l’augmentation des infections sexuellement transmissibles (IST) aux États-Unis, la Magnet Clinic de la San Francisco AIDS Foundation a mis en place la Doxypep en novembre 2022. La Doxypep est une méthode de prévention des IST qui consiste à prendre un antibiotique (la doxycycline) après un rapport sexuel non protégé par un préservatif (entre 24 heures et 72 heures au maximum après le rapport). L’étude a suivi 4 592 usagers-ères de Prep, dont 2 524 ayant recours à la Doxypep. Malgré un risque initialement plus élevé d’IST dans ce groupe, les résultats montrent une diminution durable des cas de chlamydiae, de syphilis et de gonorrhée. Avec près de 2 500 usagers-ères ayant adopté cette stratégie, ces données confirment l’efficacité de la Doxypep dans la prévention des IST et soulignent son potentiel dans les stratégies de santé publique.
Doxypep : un outil efficace, mais une adhésion encore insuffisante
Une autre étude menée à la Magnet Clinic de San Francisco révèle que malgré son efficacité prouvée dans la réduction des IST, la Doxypep peine à être adoptée par tous-tes. Parmi les 7 436 patients-es de la clinique étudiés-es entre 2022 et 2024, 59 % étaient éligibles, mais seuls-es 22 % ont maintenu une prise régulière. L’adhésion est particulièrement faible chez les jeunes, les personnes vivant avec le VIH et celles en situation de précarité. Ces résultats soulignent l’importance de stratégies ciblées pour garantir un accès équitable et maximiser l’impact de la Doxypep dans la prévention des IST.
Doxypep : un outil sous-utilisé pour réduire les IST chez les personnes vivant avec le VIH
Bien que l’efficacité de la Doxypep pour prévenir les infections sexuellement transmissibles (IST) bactériennes soit démontrée et que les CDC (Centers for Disease Control and Prevention, centres américains de contrôle des maladies et de prévention) aient publié des recommandations en juin 2024, son utilisation reste extrêmement faible chez les personnes vivant avec le VIH. Une étude menée sur la cohorte DC, qui suit, depuis 2011, plus de 13 000 personnes vivant avec le VIH à Washington, révèle que sur 3 369 personnes diagnostiquées avec une IST entre 2019 et 2024, 75 % étaient éligibles à la Doxypep. Pourtant, seulement 64 prescriptions ont été enregistrées sur cette période, soit un taux de 4 %. Ce faible recours à la Doxypep souligne la nécessité d’une meilleure sensibilisation des patients-es et des professionnels-les de santé pour optimiser son utilisation et réduire efficacement les IST dans cette population.
Un test urinaire rapide pour augmenter l'adhésion à la Prep chez les femmes enceintes
Une étude menée à Cape Town, en Afrique du Sud, montre que l’utilisation d’un test urinaire rapide détectant la présence de ténofovir (TDF) améliore l’observance à la Prep orale chez les femmes enceintes. Parmi les 750 participantes, celles bénéficiant de cette intervention étaient plus assidues dans leur prise de traitement que celles recevant uniquement les soins standards. Cependant, plus de la moitié des femmes ayant commencé la Prep pendant la grossesse ont arrêté dans les six mois suivant l’accouchement. Ces résultats soulignent la nécessité d’un soutien renforcé après la naissance et d’options de Prep à longue durée d’action pour garantir une protection continue contre le VIH.
Remerciements à Franck Barbier, responsable pôle Parcours et Programmes nationaux ; Offres et dispositifs