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    L’Actu vue par Remaides : « Croi 2025 : la communauté scientifique en alerte face aux attaques de Trump »

    • Actualité
    • 10.03.2025

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    Bruno Spire (administrateur de AIDES et chercheur) Fred Lebreton (reporter à Remaides) et Luis Sagaon-Teyssier (chercheur) assurent la couverture média de l'édition 2025 de la CROI pour AIDES.ORG.
    Photo : DR.
     
    Par Bruno Spire et Fred Lebreton
    Croi 2025 : la communauté scientifique en alerte face aux attaques de Trump

    La plus grande conférence scientifique américaine sur le VIH, les hépatites et les infections opportunistes (Croi) se tient à San Francisco (États-Unis) du 9 au 12 mars 2025. Comme chaque année, la rédaction de Remaides vous propose une sélection des temps forts et des infos clefs. Retour sur la plénière d’ouverture de cette 32ème édition de la Croi qui a eu lieu dimanche 9 mars.  

    San Francisco : entre rêve californien et dure réalité

    Quelques mots sur la ville qui accueille cette édition 2025 de la Croi. San Francisco, c’est l’image de carte postale par excellence : un pont rouge mythique qu’on a vu des milliers de fois à la télévision et au cinéma, des collines escarpées où s’accrochent des maisons victoriennes colorées et une baie qui scintille sous le soleil de Californie. Une ville progressiste, avant-gardiste, où les luttes sociales ont toujours trouvé un terrain fertile. Mais derrière le vernis, San Francisco est aussi une ville de contrastes. Le Castro, fief historique de la communauté LGBT+, ressemble parfois à un Disneyland queer, où le militantisme d’antan flirte avec le marketing. Un bar branché, un passage piéton arc-en-ciel, et hop, le-la touriste repart avec un tee-shirt Harvey Milk sans trop se poser de questions. Pendant ce temps, à quelques stations de métro, Tenderloin, quartier moins photogénique, expose une autre facette de la ville : celle d’une crise sociale bien réelle, où l’explosion des loyers a jeté des milliers de personnes à la rue, et où la consommation de drogue se fait au grand jour, en plein trottoir. Un arrêt furtif dans un fast food de The Mission (quartier phare de la communauté latino-américaine à San Francisco) permet d’observer rapidement une dure réalité. Beaucoup de personnes précaires, voire sans domicile fixe, s’y réfugient pour boire une boisson chaude ou manger une glace. Un vieil homme vêtu de guenilles se tord de douleur sur son fauteuil roulant dans l’indifférence générale des autres clients-es. Nous lui demandons s’il a besoin d’aide. Il nous dit que non et semble surpris que quelqu’un se soucie de lui : « God bless you » (« Que Dieu vous bénisse ») nous dit-il en partant…  
     

    Un climat politique inquiétant pour la lutte contre le VIH

     

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    Les décisions de Donald Trump et de son administration ont d'ores et déjà des conséquences sur la santé mondiale et la recherche en médecine aux Etats-Unis et à l'étranger comme le montre la présentation de l'activiste américaines Rebecca Denison. Photo : Fred Lebreton

    Impossible d’ignorer le climat politique américain en ce premier jour de conférence. Avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, les acteurs-rices de la lutte contre le VIH aux États-Unis et dans le monde sont en alerte maximale. En seulement un mois, Trump a annoncé un gel du financement du Pepfar (President’s Emergency Plan for AIDS Relief), un programme qui a sauvé des millions de vies à travers le monde. S’ajoute à cela la menace qui pèse sur l’Usaid, l’agence américaine d’aide internationale, dont les fonds dédiés à la prévention et aux soins du VIH sont désormais en sursis. Pour les militants-es et les scientifiques, c’est un retour en arrière brutal, mettant en péril des décennies de progrès. À San Francisco, où la crise du VIH a façonné des générations d’activistes, la colère est palpable face à un président plus prompt à flatter l’extrême droite qu’à soutenir les populations les plus vulnérables. Au moment où la conférence commence, les annonces désastreuses de Trump sont dans toutes les discussions. Fait rare, la veille de la conférence, la Croi Foundation et son comité scientifique ont publié un communiqué de presse afin de « réaffirmer leur engagement en faveur de la liberté d’expression scientifique et de la recherche en santé publique ».
    Les restrictions de déplacement imposées aux employés-es du gouvernement américain empêchent certains chercheurs-ses de participer en personne déplorent les deux organisations, mais beaucoup suivront la conférence en ligne. Malgré ces contraintes, 98 % des 1 170 abstracts acceptés seront présentés, et la participation, en présentiel comme en virtuel, atteint son plus haut niveau depuis la pandémie de Covid 19 affirment les organisateurs-rices. « Dans des moments comme celui-ci, il est plus crucial que jamais pour les communautés scientifiques et militantes de se rassembler », souligne l’organisation. La Croi, qui fonctionne sans financement fédéral, maintient son engagement à offrir « un espace sans censure ni ingérence politique, favorisant le partage des connaissances et le dialogue entre chercheurs, cliniciens et militants ». « Nous nous opposons à toute restriction de financement ou pression politique visant la science », martèlent les organisateurs-rices.  

    Un lieu symbolique
     

    MOSCONE CONVENTION CENTER CROI 2025 SAN FRANCISCO

     

    Le Moscone Convention Center où se déroule cette édition 2025 de la Croi, à San Francisco,
    un lieu symbolique à plus d'un titre. Photo : Fred Lebreton
     

    La Croi 2025 se tient au Moscone Convention Center, l’un des plus grands centres de conférences de San Francisco. Mais au-delà de sa grandeur, ce lieu porte une charge symbolique forte. Il porte le nom de George Moscone, un avocat et homme politique américain, qui a été le 37ᵉ maire de San Francisco en janvier 1976. Surnommé « le maire du peuple », il a ouvert l’Hôtel de Ville et ses commissions à la diversité de San Francisco, en nommant des personnes issues des communautés afro-américaines, asiatiques et homosexuelles. George Moscone fut assassiné le 27 novembre 1978, le même jour que Harvey Milk, premier élu ouvertement gay de la ville et icône du mouvement LGBT+. Que cette conférence dédiée à la lutte contre le VIH/sida se tienne dans un espace nommé d’après Moscone, assassiné pour ses idéaux d’inclusion et de justice sociale, est hautement significatif. Cela rappelle que la bataille pour les droits et la santé des communautés marginalisées est intrinsèquement liée aux luttes politiques et sociales passées.

    "Nous condamnons la censure de la science !"

    Dimanche 9 mars 2025, la première intervenante à la plénière d’ouverture est Diane Havlir, professeure à l'UCSF et cheffe de la division VIH au Zuckerberg San Francisco General Hospital. Cette experte du VIH a contribué à l’évolution des traitements antirétroviraux et dirigé des initiatives comme « Getting to Zero », visant à éradiquer le VIH à San Francisco. Diane Havlir a dénoncé les attaques contre la science et les reculs des États-Unis en matière de santé mondiale. Elle a souligné les avancées majeures de la recherche malgré un contexte politique hostile et a alerté sur les conséquences désastreuses des coupes budgétaires. Une modélisation présentée à la conférence prévoit une hausse alarmante de l’incidence du VIH si les programmes américains venaient à être abandonnés. « Nous condamnons la censure de la science ! », a-t-elle déclaré, appelant à une résistance collective. S’adressant aux jeunes chercheurs-ses et aux militants-es, elle a affirmé : « Nous vous soutenons. Communautés, nous sommes à vos côtés. »  

    Comprendre l'intégration du VIH pour mieux cibler la thérapie génique

    Lors de sa présentation, Frédéric Bushman (Université de Pennsylvanie) a mis en lumière le rôle clé de l’intégration du VIH dans l’ADN humain, un processus essentiel à la réplication du virus et influencé par l’activité de la chromatine ― dans le noyau des cellules, l’ADN des chromosomes est associé à des protéines pour former une structure plus ou moins compacte : la chromatine. L’organisation de cette dernière module la force d’adhésion d’une cellule à son environnement, explique une publication de juin 2024 de l’Inserm.
    Il a expliqué que le VIH cible des régions spécifiques du génome, où la densité de gènes est élevée, favorisant ainsi son expression. Chez les « elite controlers », des personnes vivant avec le VIH capables de contenir naturellement le virus, l’intégration se fait plutôt dans des zones moins actives, limitant son expression grâce à la réponse immunitaire. Cette compréhension des sites d’intégration a également des implications majeures pour la thérapie génique, notamment avec les cellules CAR-T, utilisées dans le traitement du cancer. L’intégration virale peut aussi induire une prolifération cellulaire incontrôlée, conduisant dans de rares cas à des complications malignes, comme l'ont montré deux incidents récents. Frédéric Bushman souligne ainsi que les recherches sur le VIH ne se limitent pas à la virologie, mais éclairent aussi d’autres avancées médicales, ouvrant la voie à des traitements plus sûrs et mieux ciblés. 

    "C'est un coup d'Etat contre la démocratie, nous devons y mettre un terme dès maintenant"

    Moment puissant et très émouvant de cette plénière que l’intervention de Rebecca Denison, autrice et activiste vivant avec le VIH depuis 1983 (mais diagnostiquée en 1990). La militante a rappelé l’importance du plaidoyer communautaire dans la lutte contre le VIH et la nécessité de défendre les avancées obtenues de haute lutte. Diagnostiquée en 1990, elle s'est heurtée au silence imposé aux personnes séropositives, notamment aux femmes, souvent invisibilisées dans la lutte contre le VIH.
    « Le sida est un désastre ! Les femmes meurent plus vite ! », scandait Act Up San Francisco, un message qu'elle a fait sien en s'engageant sans relâche. L'arrivée des trithérapies a permis à beaucoup d’entrevoir l’avenir, mais « avec des cicatrices ». Elle a également dénoncé le manque de retour d’information aux participants-es des essais cliniques et plaidé pour un élargissement de l’application des principes de Denver aux comorbidités actuelles.
    Engagée dans les essais de prévention de la transmission mère-enfant, elle a prouvé que « l'on pouvait avoir une famille », mettant au monde des jumelles séronégatives en 1996. Aujourd’hui, elle alerte sur la menace qui plane depuis l’élection de Donald Trump : en seulement 48 jours, des décennies de progrès sont remises en cause.
    « La cruauté est intentionnelle », dit-elle, dénonçant la suspension des financements du Pepfar, qui entraînerait la mort de 20 000 adultes et 2 000 enfants. « Le travail que notre président qualifie de "gaspillage et fraude" a sauvé d'innombrables vies », rappelle la militante.
    Face à ces attaques, Rebecca Denison exhorte à ne pas céder à la peur : « C’est un coup d’État contre la démocratie, nous devons y mettre un terme dès maintenant (…) La peur est une réaction. Le courage est une décision. Ne pliez pas le genou à l’avance. Ne vous effondrez pas dans le désespoir, c’est exactement ce qu’ils veulent que vous fassiez. » Et la militante de rappeler un slogan d’Act Up toujours tristement d’actualité : « Silence = mort. » 
     

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    Une des diapositives de la présentation de Rebecca Denison, autrice et activiste
    vivant avec le VIH depuis 1983. Photo : Fred Lebreton

    Quand la science ne suffit pas : politique, drogues et santé publique
     

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    La professeure Adeeba Kamarulzaman, de l'Université Monash Malaysia (Malaisie).
    Photo : Fred Lebreton

     

    Au bord des larmes, la professeure Adeeba Kamarulzaman, de l’Université Monash Malaysia (Malaisie), a tenu à rendre hommage à toute la communauté scientifique en cette période si compliquée : « Nous venons de vivre des semaines éprouvantes ». Dans sa présentation, la chercheuse malaisienne, a mis en lumière les limites de la science face aux politiques répressives en matière de drogues. En 2004, une enquête a révélé l’urgence d’une approche de réduction des risques (RDR) pour les usagers-ères de drogues injectables en Malaisie. Grâce à un financement du NIH (National Institutes of Health, Instituts nationaux de la santé spécialisés dans la recherche médicale), le lien entre usage de drogues et VIH a été démontré, permettant un plaidoyer efficace. À l’époque, la réponse des autorités était d’isoler et d’enfermer les personnes usagères, mais en 2006, elles ont accepté d’introduire la RDR, malgré une opinion publique hostile. Des alliés-es, notamment dans la police et parmi les leaders religieux, ont été mobilisés-es, et les résultats ont été spectaculaires : une forte baisse des nouvelles infections et un programme désormais financé de façon pérenne. Pourtant, la législation reste punitive, et les traitements sont plus efficaces lorsqu’ils sont dispensés en ville plutôt qu’en milieu carcéral, où la continuité des soins est rarement assurée. La répression aggrave les problèmes de santé : en prison, la tuberculose est fréquente, avec un délai médian de 48 jours avant le début d’un traitement. La sortie de détention est une période à haut risque de décès, notamment par overdoses. Bien que les Nations unies aient recommandé en 2019 de cesser d’emprisonner les personnes pour possession de petites quantités de drogues, la répression reste la norme dans de nombreux pays. « La science ne suffit pas », rappelle-t-elle, insistant sur la nécessité d’un engagement communautaire et d’un plaidoyer constant pour la décriminalisation et l’extension des programmes de réduction des risques. 

    Le San Francisco Gay Men's Chorus : une voix engagée pour la mémoire et la fierté
     

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    Photo : Fred Lebreton

    Après ces interventions riches en émotions, la Croi a tenu à conclure sa plénière d’ouverture sur un moment plus divertissant bien que très émouvant. Une trentaine de membres du San Francisco Gay Men’s Chorus (SFGMC) sont arrivés sur scène pour faire chanter la salle. Le SFGMC est bien plus qu’une chorale : c’est une institution emblématique de la lutte pour les droits LGBT+. Fondé en 1978, ce chœur donne son tout premier concert le soir de l’assassinat d’Harvey Milk, un moment tragique qui marque la naissance d’un mouvement musical engagé. À travers ses performances, le SFGMC a joué un rôle majeur dans la visibilisation de la communauté gay, notamment durant la crise du VIH, en apportant soutien et espoir à une génération décimée par l’épidémie. Premier chœur gay officiel au monde, il inspire depuis des décennies d’autres ensembles similaires à travers le globe et continue aujourd’hui de porter un message de résistance, d’inclusion et de fierté.

    Remerciements à Franck Barbier, responsable pôle Parcours et Programmes nationaux ; Offres et dispositifs