L’Actu vue par Remaides : « Crise du Pepfar : l’urgence d’une souveraineté sanitaire en Afrique »
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- 09.02.2025
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Par Fred Lebreton
Crise du Pepfar : l'urgence d'une souveraineté sanitaire en Afrique
Dans un communiqué publié le 5 février, Coalition PLUS alerte sur le chaos sanitaire en Afrique après le retrait brutal des fonds américains du programme Pepfar, interrompant traitements et prévention du VIH/sida. Malgré une reprise partielle, la crise relance un enjeu clé : la souveraineté sanitaire des pays du Sud. Explications.
Le gel du financement américain menace des millions de vies
Rappel des épisodes précédents. Créé en 2003, aux États-Unis, par le président républicain George W. Bush, le Pepfar représente l’engagement le plus important jamais pris par un pays pour lutter contre une maladie unique. Avec plus de 110 milliards de dollars investis, ce programme américain a permis de sauver 26 millions de vies et d’éviter des millions de nouvelles infections dans plus de 50 pays. Ces résultats remarquables reposent sur une mobilisation constante des ressources américaines et sur la générosité du peuple américain. Malgré cet impact colossal, un décret signé le 24 janvier par le président Donald Trump imposait un « ordre de suspension des travaux » qui a paralysé le programme. Cinq jours plus tard, dans une dépêche de l’agence Reuters publiée le 29 janvier, on apprenait que le secrétaire d'État américain (l’équivalent du ministre des Affaires étrangères en France) Marco Rubio avait émis « une dérogation pour permettre l'aide humanitaire vitale pendant une suspension de 90 jours de l'aide étrangère ». Dans son communiqué du 5 février, Coalition PLUS alerte sur les conséquences concrètes de ces annonces tonitruantes et désordonnées : « Les décisions successives de l’administration américaine (ordre de suspension immédiate de l’aide, puis dérogation pour l’aide humanitaire d’urgence permettant la distribution des traitements antirétroviraux pour les personnes vivant avec le VIH) ont plongé les organisations dans le chaos, et si la reprise de la distribution des traitements est un soulagement, d’autres services de santé essentiels à la lutte contre le VIH doivent être maintenus. » En effet, en interrompant temporairement la distribution des traitements antirétroviraux, cette décision a provoqué la fermeture de cliniques, l’arrêt de campagnes de prévention et la désorganisation des chaînes d’approvisionnement médical. Si une dérogation a finalement été accordée pour permettre la reprise de l’aide humanitaire d’urgence, les dégâts sont déjà considérables. Des milliers de soignants-es qualifiés-es ont dû suspendre leurs activités, exposant ainsi des millions de personnes à un risque accru face aux épidémies persistantes (VIH, paludisme, tuberculose) et à l’émergence de nouvelles crises sanitaires.
Au-delà de la suspension temporaire, cette situation soulève une question de fond : comment les pays du Sud peuvent-ils assurer leur souveraineté sanitaire et ne plus dépendre des fluctuations politiques des grandes puissances ? « La levée, du jour au lendemain et sans alternative, de ressources dont dépend la survie de millions de personnes n’est ni un pas vers la résilience des systèmes de santé, ni un renforcement de la souveraineté sanitaire, bien au contraire », alerte le professeur Mehdi Karkouri, président de Coalition PLUS. Même si l’aide devait reprendre dans les mois à venir, les conséquences de cette décision risquent de se faire sentir durant des années, compromettant les objectifs de santé publique fixés par les États et les organisations internationales.
Vers une autonomie sanitaire des pays du Sud
Le gel du financement américain intervient dans un contexte où l’aide étrangère en santé fait l’objet de critiques croissantes, tant au Nord qu’au Sud. Si la nécessité d’un financement international demeure, la dépendance à ces fonds expose les pays africains à des décisions unilatérales pouvant mettre en péril des millions de vies. Il devient alors essentiel de repenser les modèles de financement de la santé en Afrique et d’accélérer les investissements nationaux. Depuis la déclaration d’Abuja (voir encart ci-dessous), qui préconisait d’allouer 15 % des budgets nationaux à la santé, peu de pays ont atteint cet objectif.
Pour Coalition PLUS, plusieurs alternatives doivent être explorées. D’une part, lever les barrières de propriété intellectuelle afin de permettre la production locale de médicaments essentiels à moindre coût. D’autre part, réduire la pression exercée par la dette, qui limite les capacités d’investissement des États dans leurs propres systèmes de santé. Aujourd’hui, on estime que l’extraction des ressources et de la main-d’œuvre du Sud vers le Nord dépasse de 30 fois l’aide publique au développement (APD). Cette réalité met en lumière une inégalité structurelle qui perpétue la dépendance des pays à revenu faible ou intermédiaire. Face à ces enjeux, Coalition PLUS appelle à une solidarité internationale renforcée et à une transformation en profondeur des mécanismes de financement de la santé. « Il y a 25 ans, nous plaidions pour une augmentation des budgets nationaux dédiés à la santé. Aujourd’hui, nous devons aller encore plus loin et garantir aux pays du Sud les moyens d’assurer leur propre souveraineté sanitaire », conclut l’organisation.
Pour aller plus loin...
Déclaration d'Abuja : un engagement pour la santé encore inachevé
La déclaration d'Abuja est un engagement pris en 2001 par les chefs-fes d'État et de gouvernement africains lors d'un sommet organisé par l'Union africaine (UA) à Abuja, au Nigeria. Son principal objectif était de renforcer les investissements nationaux en santé publique, en particulier pour lutter contre les grandes pandémies comme le VIH/sida, le paludisme et la tuberculose. L’un des engagements clés de cette déclaration était l’allocation d’au moins 15 % des budgets nationaux à la santé. Cependant, près de 25 ans plus tard, peu de pays africains ont réellement atteint cet objectif, ce qui perpétue la dépendance aux financements internationaux, notamment via des programmes comme le Pepfar ou le Fonds mondial. La déclaration d’Abuja reste une référence majeure dans les discussions sur la souveraineté sanitaire et le financement des systèmes de santé en Afrique.
Face aux menaces populistes, l'urgence de défendre la science et les droits humains dans l alutte contre le VIH
Dans une tribune publiée dans Le Monde le 6 février, Beatriz Grinsztejn et Birgit Poniatowski, respectivement présidente et directrice exécutive de l’International AIDS Society (IAS) alertent sur les menaces que représente la montée du populisme dans la lutte contre le VIH et la santé publique en général. Aux États-Unis, le programme Pepfar, qui a permis de sauver 25 millions de vies en vingt ans, est menacé par des attaques politiques. La nomination de Robert Kennedy Jr. (connu pour ses positions antivax et son déni du lien entre VIH et sida), au poste de secrétaire à la Santé dans la nouvelle administration Trump renforce les craintes d’un recul majeur. « Traiter la recherche fondée sur des preuves comme une opinion est un grave danger », préviennent les autrices de la tribune. Les lois répressives adoptées dans plusieurs pays entravent également la réponse au VIH. L’Ouganda a renforcé en 2024 une législation anti-LGBT+ parmi les plus sévères au monde, tandis qu’en Russie, la criminalisation des usagers-ères de drogues et des minorités sexuelles alimente la progression rapide de l’épidémie. À l’échelle mondiale, les restrictions contre la société civile se multiplient, limitant l’accès aux soins des populations les plus vulnérables. L’IAS souligne que la protection des droits humains est une nécessité de santé publique, pas une simple posture idéologique. « Les politiques discriminatoires nuisent aux personnes les plus vulnérables et compromettent la prévention et les soins », rappellent Beatriz Grinsztejn et Birgit Poniatowski, appelant à des réformes juridiques et à un soutien renforcé aux organisations communautaires. L’incapacité des États membres de l’Organisation mondiale de la Santé à s’accorder sur un traité international de prévention des pandémies, après les enseignements de la Covid-19, illustre l’influence croissante des rapports de force géopolitiques sur la santé mondiale. Alors que les financements internationaux pour le VIH chutent, compromettant le travail du Fonds mondial et de l’OMS, les autrices insistent sur l’importance de préserver ces institutions. « Les progrès sont possibles lorsque la science, la politique et la société civile s’unissent », concluent-elles, appelant à une mobilisation contre les politiques régressives et au renforcement des mécanismes de coopération sanitaire internationale.