L'Actu vue par Remaides : Bertrand : « Le dépistage préventif du cancer colorectal m’a sauvé la vie »
- Actualité
- 27.10.2024
© Nina Zaghian
Par Fred Lebreton
Bertrand : "Le dépistage préventif du cancer colorectal m'a sauvé la vie"
Bertrand, 58 ans, est volontaire à AIDES Clermont-Ferrand (Région Auvergne-Rhône-Alpes). Il vit avec le VIH depuis 1990. En 2016, il apprend qu’il a un cancer de l’anus. Aujourd’hui en rémission, Bertrand a accepté de partager dans Remaides, les enjeux, défis, craintes et victoires de son combat contre le cancer. Entretien.
Remaides : Retour en arrière, pouvez-vous nous parler de votre diagnostic VIH et comment vous avez vécu l’annonce et la prise en charge les premières années ?
Bertrand : J’ai été diagnostiqué séropositif en 1990. J'étais jeune. J'avais 24 ans et c'était à une époque où il n’existait pas vraiment de traitement efficace, juste l'AZT. Le médecin qui m’a annoncé ma séropositivité m'a expliqué qu’au bout de sept ans de VIH, un tiers des personnes étaient encore vivantes et en bonne santé, un tiers étaient malades et un tiers étaient décédées. En gros, j'avais une chance sur deux d'avoir 30 ans, un jour. À cette époque, une annonce de VIH, c'était comme se projeter directement dans sa propre mort. Moi, j'ai eu la chance de rester en bonne santé et de ne pas développer de maladies opportunistes. Au moment où les premières trithérapies sont arrivées [1996 en France, ndlr], ma charge virale était montée d’un coup à 200 000 [copies/ml, ndlr], et on m’a mis sous des traitements, très contraignants à l'époque. Je prenais, entre autres, Videx et Crixivan, qui devaient être pris les deux à jeun et à distance l'un de l'autre ce qui était une vraie contrainte. En tout cas, les trithérapies sont arrivées pour moi au bon moment. Ma charge virale est très rapidement redevenue indétectable grâce aux antiprotéases et je n’ai jamais été en stade sida.
Remaides : Dans quelle circonstance votre cancer de l’anus a-t-il été diagnostiqué ?
Cela a été le cadeau de mes 50 ans, en 2016 ! On a la chance d'avoir en France un système de santé qui, à partir de 50 ans, encourage les personnes à faire un dépistage préventif du cancer colorectal [Ce test de recherche de sang caché dans les selles est rapide et efficace, pris en charge à 100 % par la Sécurité sociale. Le test est à réaliser chez soi, puis à envoyer gratuitement au laboratoire pour être analysé, ndlr]. L’hôpital m’a ensuite rappelé pour faire des prélèvements et des analyses plus approfondies. Et un jour, le diagnostic est tombé. Le mot magique : cancer. L’annonce m’a replongé 26 ans en arrière. C'était le même choc. Il a fallu que je m'assoie, parce que le mot « cancer » a une résonance énorme. J'ai revécu ce que j'avais vécu en 1990. Me projeter à nouveau dans l'idée de ma propre mort. C’était d’autant plus violent que mon VIH était bien contrôlé avec une charge virale indétectable depuis des années et un nombre de CD4 solide. Mais cette fois, dès l’annonce, je me suis mis en mode « warrior ». J’avais envie de vivre. À l'époque de l’annonce du VIH, j’avais intégré l’idée que je pouvais en mourir. Là, je me suis dit tout de suite : « Le cancer, je vais lui faire la peau ! ».
Remaides : Quels traitements contre le cancer avez-vous suivis ?
J’ai subi une première intervention, un petit peu de bistouri au niveau de l'anus. Et ensuite, j'ai eu une batterie d'examens pour s'assurer que le cancer n’avait pas disséminé ailleurs. Un d’eux était un TEP-scan [Tomographie à émission de positons (TEP), ou TEP scan. C’est un examen scintigraphique qui détecte dans le corps des sites de fixation d'un traceur faiblement radioactif (le FDG) injecté par voie intraveineuse, ndlr], qui a révélé une métastase dans l'aine, ce qui a déclenché un protocole assez lourd avec « la totale » : chimio et rayons [radiothérapie, ndlr]. Afin de pouvoir injecter les produits de la chimiothérapie sans bousiller mes veines, on m’a mis un implant sous la poitrine. C’est gros comme un œuf de pigeon et on le voit chaque fois qu’on se regarde dans une glace. Un jour, ma cancérologue m'a dit : « Ne le voyez pas comme un stigmate ; voyez-le comme une arme ». Cela m'a vraiment aidé de me dire que ce n'était pas la marque de la maladie, mais au contraire ce qui me permettait de lutter contre elle.
Remaides : Quels impacts ont eu ces traitements sur votre vie et notamment sur votre vie sexuelle ?
Les 40 séances de rayons ont fini par me « brûler ». J’étais cramé à l’extérieur et à l’intérieur et c'était très douloureux. À l’extérieur c’est gérable et j'ai eu droit, en insistant, à une espèce de pommade réparatrice. A l’intérieur, j'étais complètement cramé et j’avais l’impression que mon anus était en carton. J’ai pris de la morphine pendant quatre mois parce que la douleur était insupportable. Je ne pouvais même plus aller à la selle. Ce que je n’ai pas réalisé au début, c'est que les rayons auraient aussi des conséquences sur ma vie intime. Je n’ai plus jamais pratiqué de pénétration anale depuis les traitements. Je sais que c’est techniquement possible, mais j’ai peur d’avoir très mal et surtout que mon anus se déchire. J’ai ce qu’on appelle une fibrose du canal anal. La lésion des nerfs et micro-vaisseaux du bulbe pelvien peut aussi entraîner des troubles de l’érection. Heureusement que la sexualité ne se réduit pas à la pénétration, mais il a fallu que je réinvente ma sexualité. Ce qui est le plus dur, c’est que le cancer anal touche à l’intime, puisque, en tout cas pour moi, mon cul est la partie la plus intime de mon corps. Aujourd’hui, je suis en rémission du cancer. On peut dire que je suis guéri, mais je reste sous surveillance avec un contrôle tous les neuf mois et ma vie sexuelle a changé.
Remaides : Comment avez-vous annoncé le cancer dans votre entourage ? Quel écho cette annonce a-t-elle eu par comparaison avec celle du VIH ?
C’était très différent. D’abord, quand j’ai été diagnostiqué séropositif en 1990, je ne l'ai annoncé qu'à des personnes avec qui j'avais une intimité. Je ne voyais pas le sens de le dire à l'époque. J’ai aussi connu le rejet et la sérophobie ; donc je n’en parlais pas pour me protéger. Je l'ai dit dans ma famille au moment où j'ai eu une relation suivie avec un homme. J’en ai profité d’ailleurs pour faire mon coming out gay au même moment. Pour le cancer, cela a été complètement différent. En raison de la chimio et des rayons, j'allais être arrêté professionnellement. Donc, il fallait que je le dise. J’ai reçu beaucoup de marques de soutien, de compassion et de solidarité. Ironie de la vie, beaucoup de personnes me disaient que j’étais courageux, mais la plupart ignoraient que 25 ans plus tôt, j’étais déjà passé par les mêmes angoisses avec le VIH. Mais, ces marques de soutien m’ont fait du bien. Certaines personnes ont pu être un peu maladroites avec des affirmations comme : « Tu vas t’en sortir ! », mais je n'aurais pas aimé avoir de l'indifférence.
Remaides : Le VIH a-t-il compliqué la prise en charge de ce cancer ?
Au départ, on avait prévu de me faire trois séances de chimio, mais au bout de deux chimios, mes CD4 se sont effondrés de façon spectaculaire de 700 à 200 [CD4/mm3, c’est-à-dire proche de l’immunodéficience, ndlr]. Par conséquent, ils n'ont pas fait la troisième séance, en se disant que le bénéfice d'une troisième chimio était trop risqué. J’ai mis sept ans pour retrouver le niveau de CD4 que j’ai perdu en un mois avec deux séances de chimio. Heureusement, ma charge virale est toujours restée indétectable. Et puis il y a eu un autre problème juste après la fin des traitements. On m’a fait un TEP-scan de contrôle qui a détecté une nouvelle activité cellulaire anormale qui, a priori, semblait cancéreuse. La très mauvaise surprise, c'était qu'au niveau du cou, j'avais un ganglion, ce qui a déclenché une nouvelle batterie d'examens. Mon infectiologue a pensé que cette activité cellulaire anormale pouvait être liée au VIH. Il l'a écrit à ma cancérologue qui a balayé cette hypothèse d'un revers de la main en disant : « Ce n'est pas possible ». Et on a continué des examens. Pendant deux mois et demi, j'ai vécu avec la crainte d'avoir une métastase du cancer dans la gorge pour qu’au final, on me dise que mon ganglion était normal. Les médecins n'ont jamais su pourquoi ce ganglion scintillait lors du scan, mais c'est probablement lié au VIH et à la baisse de mes CD4.
Remaides : Comment s’est passée la coordination de votre prise en charge entre le cancérologue et l’infectiologue ?
Le suivi s’est fait dans deux hôpitaux différents avec des problèmes de fluidité dans l’échange des données médicales informatiques. Je ne peux pas dire qu'il y avait de la communication entre eux. J’ai trouvé que mon infectiologue était plus à l’écoute, qu’il prenait plus le temps avec moi. Il ne s’intéressait pas qu’à mes résultats de bilan CD4 et charge virale. Par ailleurs, une remarque que m’a faite ma cancérologue m’a vraiment choqué. Il faut savoir que lorsqu’on a été irradié sur une zone, on ne peut pas refaire des rayons sur la même zone. J’ai donc demandé à ma cancérologue : « Si ça revient, qu'est-ce qu'on fait ? ». Elle m’a répondu : « Si ça revient, c'est l'ablation… Mais monsieur, on vit très bien avec un anus artificiel ».
Remaides : Quels conseils donneriez-vous à une personne vivant avec le VIH qui a peur de faire un dépistage du colon ?
Je le répète, mais le dépistage préventif du cancer colorectal a sauvé ma vie. C'est vraiment comme ça que je le ressens. Et puis, avec du recul, mon cancer a été dépisté à un stade précoce, ce qui a été ma « chance ». Depuis ce jour, dans mon entourage familial, professionnel et amical, je suis devenu un vrai VRP du dépistage du cancer ! Si j’avais été dépisté à un stade avancé, je ne serais peut plus là pour en témoigner. Chez AIDES, quand je rencontre une personne qui vient de découvrir sa séropositivité, il m’arrive d’utiliser mon propre vécu pour lui donner de l’espoir : « Tu vois, tu parles à une personne qui a découvert qu'elle était séropositive il y a plus 30 ans. Le VIH ne m’a pas empêché de vivre ma vie ». Je ne sais pas si j'ai été courageux, mais en tout cas je me suis accroché à la vie. Ce que j’ai appris avec le temps, c’est que le cancer est un marathon : il faut tenir sur la durée. Aujourd’hui, après 34 ans de VIH et un cancer, je me considère comme un double survivant.
Propos recueillis par Fred Lebreton. Cette interview est publiée dans le Remaides 129 (Automne/Octobre 2024)