Je fais un don

    AIDS 2024 : Bruce Richman : « U = U nous libère ! »

    • Actualité
    • 26.07.2024

    AIDS 2024 IAS

    © Thierry Tran

    Par Fred Lebreton, Thierry Tran, Solenn Bazin et Célia Bancillon-Casanova

    AIDS 2024 : Bruce Richman : « U = U nous libère ! »

    Chaque été, tous les deux ans, se déroule la grande conférence mondiale sur le VIH, organisée par l’IAS. AIDS 2024 se tient, cette année, à Munich (Allemagne), du 20 au 26 juillet. Au programme, deux jours de pré-conférence, cinq jours de conférences et un grand village associatif avec des activistes venus-es de toute la planète, dont AIDES. La rédaction de Remaides est sur place pour une couverture des moments forts. Cinquième épisode sur la journée du jeudi 25 juillet 2024.

    Rendre le leadership aux communautés

    Jeudi 25 juillet 2024, la nouvelle vient de tomber : la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rejeté la requête des travailleurs-ses du sexe contre la loi de pénalisation des clients promulguée en France en 2016. Cette loi contraint les personnes exerçant le travail du sexe (TDS) à prendre plus de risque pour travailler et dégager un revenu, impactant gravement leur sécurité et leur santé mentale et physique, notamment vis-à-vis du VIH et des autres IST. Déception dans les rangs des activistes, notamment français qui ont soutenu cette démarche lancée en 2019.

    Direction Global Village où se trouve un espace dédié aux personnes exerçant le travail du sexe. Plusieurs personnes sont réunies afin de commenter à la décision, y réagir et évoquer la suite. Rapidement, des activistes se mettent à chanter et l’assemblée ne tarde pas à les accompagner en tapant des mains. Une vive émotion se dégage de ce rassemblement en écho à la détermination des activistes et à la manière dont elle s’exprime à travers la musique. Mais la conférence se poursuit. Direction la session spéciale « Prendre ses responsabilités : leadership pour mettre fin au sida ». Le chemin d’accès vers le hall de présentation est bloqué. Pourquoi ? Tout à coup, des voix s’élèvent. Ce sont celles de travailleurs-ses du sexe qui manifestent au sein de la conférence. Accompagnés-es de parapluies rouges, le symbole du TDS, ils-elles défilent dans les allées de l’espace exposition et investissent un stand pour clamer leur colère et réaffirmer les slogans qui incarnent si bien leurs luttes : « Le travail du sexe est un travail », « Décriminalisons le travail du sexe maintenant ». Le cortège se déroule, les slogans sont scandés. Camille Spire, la présidente de AIDES, est de la partie avant de rejoindre la salle pour la session spéciale « Prendre ses responsabilités : leadership pour mettre fin au sida ». La salle est peu remplie. Pour cause, il y a eu un changement de salle de dernière minute, peut être en raison de la tenue de la manifestation qui s’est déroulée non loin. Alors que la séance débute, l’écho des cris et des chants résonne encore. Visiblement, ce n’est pas fini.

    Ruth Masha (Conseil national du contrôle des maladies syndémiques du Kenya) assure la modération et présente les interventants-es de la table ronde. Chose assez rare à l’IAS et c’est un détail qui aura son importance, toutes les personnes présentes sur la scène sont noires. Les voix se font de plus en plus fortes. Alors que Masha annonce le prochain intervenant, les militants-es TDS font irruption dans la salle comme une vague qui s’abattrait sur une plage déserte. Le cortège est bigarré, festif et semble invincible. Il investit la scène de ses danses, de ses chants et bien que l’inconfort se fasse sentir dans un premier temps chez la modératrice, la manifestation est bien accueillie, en particulier par les intervenantes qui se joignent à la danse. Une partie de l’audience est réceptive, applaudit et scande les slogans. 

    AIDS 2024 IAS

    © Thierry Tran

    Quand le cortège repart, le cours de la session reprend. En préambule, c’est John Nkengasong du Bureau officiel pour la sécurité et la diplomatie en santé globale des États-Unis qui démarre avec un discours, peu original, axé sur l’importance d’un leadership à la hauteur des enjeux du VIH et de la santé. Pendant son discours, les activistes reviennent dans le calme et s’installent dans la salle. Dès la fin de l’intervention, ils-elles retournent sur scène et prennent la parole afin de dénoncer la criminalisation du travail du sexe et exhortent les personnes présentes d’agir dans ce sens dans leur pays avant d’ajouter : « Pas la peine de revenir à la conférence dans deux ans, si vous n’avez rien fait entre temps ». C’est dit ! Le cortège s’en va alors pour de bon sous les applaudissements. 

    La session reprend avec l’intervenant suivant, Mark Blecher de la Trésorerie nationale de l’Afrique du Sud, présent en visioconférence. Sa présentation a l’effet d’une douche froide : nous sommes brutalement plongés dans des tableaux de données relatifs au financement de la réponse au VIH par pays, un discours très analytique, bref hors sol et en total contraste avec la fièvre militante qui s’exprimait quelques minutes auparavant. La présentation souligne les disparités importantes qui sont en inadéquation avec l’activité épidémique et met en évidence une nécessaire évolution dans les modèles de financement. Fort heureusement, les interventions suivantes sont plus incarnées. 

    Linda Mafu du Fonds mondial insiste sur la nécessaire lutte contre la criminalisation des communautés et contre la réduction des espaces d’expression civique. Elle soutient également la mise en place de nouveaux mécanismes de financements et de stratégies de réallocation de la réponse au VIH sur les années à venir, en particulier via le financement direct des initiatives locales. Florence Riako Anam du Réseau global des personnes vivant avec le VIH au Kenya, investit plus frontalement la question du leadership : « Moi, je vois des leaders partout ». Notamment, elle les voit clairement dans les mères de familles qui sont confrontées à des choix difficiles pour leur famille, pour la santé de leurs enfants. Le leadership s’inscrit, selon elle, à toutes les échelles, des actions les plus locales aux initiatives institutionnelles. Elle encourage à cultiver, valoriser et décentraliser ces leaderships au sein des communautés afin d’assurer un continuum du local au global, en collaboration avec les chercheurs-ses et les décideurs-ses politiques. 

    Pour conclure, la modératrice demande à chaque intervenant-e de réagir à la session, en incluant l’action militante. Elle les invite en particulier à donner leur réponse sur l’appel à action lancé par les travailleurs-ses du sexe dans la perspective du prochain congrès IAS dans deux ans. Elle, debout, se tourne alors vers John Nkengasong alors assis et quelque peu tassé dans son siège, et lui adresse un regard exprimant une forme de défi. En prenant appui sur l’action militante communautaire, elle a subtilement incité son interlocuteur à engager sa parole. Après que chaque intervenant-e se soit exprimé, Ruth Masha conclue en reprenant les idées développée par Mafu et Riako Anam : « Le progrès n’est pas synonyme de succès ». Elle appelle à  un « lâcher prise » du leadership des dirigeants-es politiques vers les communautés : « Il est nécessaire que certains acceptent de perdre quelque chose pour que d’autres puissent le gagner ». Il est toutefois certain que sans l’intervention des communautés, le discours aurait eu beaucoup moins de saveur et de force.

    « C'est une révolution de pouvoir vivre et d’aimer sans crainte de transmettre le VIH »

    Bruce Richman portraitQuand Bruce Richman rentre dans une pièce remplie d’activistes du monde entier, c’est un peu comme si Madonna ou Mylène Farmer rentraient dans un bar gay du Marais ! Tout le monde veut son moment et sa photo avec celui qui a fait de sa vie, son combat depuis 2012 : faire connaître le message « U = U » (Undetectable = Untransmittable ou Indétectable = Intransmissible) au plus grand nombre. Le militant s’adresse à un public déjà conquis et informé à la soirée de Coalition PLUS, mais sa présence et sa passion sont magnétiques. « U = U signifie qu'une personne vivant avec le VIH qui est sous traitement et a une charge virale indétectable n'a aucun risque de transmettre le VIH à son partenaire. Je le répète aucun risque et l'OMS, qui est présente dans la salle, a confirmé ce risque nul en 2023. Il a fallu beaucoup d'efforts pour en arriver là, beaucoup de recherches incroyables et de participants à ces recherches et beaucoup de plaidoyer », rappelle Bruce Richman. 

    « Ce qui est tellement excitant à propos de U = U, c'est que je vis avec le VIH depuis plus de 20 ans, et je n'aurais jamais imaginé qu'un jour je pourrais aimer, avoir des relations sexuelles, concevoir des enfants, sans crainte. Pensez-y. Cette peur était présente dans les moments les plus intimes de nos vies et maintenant U = U nous libère. C'est tout simplement incroyable. C'est une révolution de pouvoir vivre et d’aimer sans crainte de transmettre le VIH ».

    Pour celui qui a fondé, en 2016, la Prevention Access Campaign (PAC), une initiative basée à New York qui vise à faire la promotion de « U = U » dans le monde, ce concept va bien au-delà du bénéfice individuel, c’est un outil de santé publique : « La grande nouvelle que je veux partager avec vous, c'est que l'éducation sur U = U a un impact sur les trois 95 [objectifs fixés par l’Onusida : 95 % de toutes les PVVIH dépistées, 95 % de toutes les PVVIH dépistées sous traitement et 95 % de toutes les PVVIH sous traitements en charge virale indétectable, ndlr]. Concentrons-nous sur le premier 95, c’est-à-dire de dépistage. Lorsque vous incluez U = U  dans vos campagnes de dépistage ou sur un panneau comme j'en ai vu récemment dans une pharmacie Walgreens aux États-Unis. Cela réduit l'anxiété des personnes associée au VIH, ce qui les rend plus susceptibles de se faire dépister. Les données montrent que c'est très important d'inclure cela dans vos outils de sensibilisation au dépistage. Bien sûr, nous voulons que les gens, lorsqu'ils reçoivent un diagnostic, sachent non seulement qu'ils peuvent vivre une vie en bonne santé, mais aussi que, s'ils reçoivent un résultat négatif, c'est une bonne nouvelle. Ils peuvent alors commencer à prendre la Prep, vivre leur vie sans se soucier du VIH. Et si le résultat est positif, ils peuvent commencer un traitement tôt et mener une vie saine sans craindre de transmettre le VIH à quelqu'un », souligne Bruce Richman. 

    Pour l’activiste, il est temps de changer de discours sur le VIH car la stratégie de la peur est contreproductive : « Il est crucial de donner de l'espoir aux personnes lors du diagnostic, de les orienter vers les soins pour éviter de sombrer dans le désespoir, ce que j'ai, moi-même, vécu en 2003 lorsque j'ai été diagnostiqué séropositif et qu'il n'y avait pas encore le concept de U = U. C'est pourquoi je suis si passionné par ce sujet. Il y a des jeunes à travers le monde qui reçoivent des informations stigmatisantes et effrayantes sur le VIH. Imaginez recevoir un diagnostic positif de VIH et l’associer à la mort. Nous devons absolument mettre à jour les informations destinées à ces jeunes, c'est vraiment très important » insiste Bruce Richman.

    Pour illustrer son propos, Bruce Richman cite une récente campagne de Grindr sur U =U : « Il y a un excellent exemple qui vient de se produire. Grindr a récemment diffusé le message U = U à 13 millions d'utilisateurs lors de la journée « zéro stigmatisation » pour réduire la stigmatisation et encourager le dépistage. Je tiens à leur adresser un grand bravo pour cela ». Et l’activiste de conclure sur une note d’espoir : « La leçon à retenir est que U = U est une réalité. Croyez-moi, c'est un nouveau jour pour les personnes vivant avec le VIH et pour mettre fin à l'épidémie. Nous pouvons tous y participer en partageant ce message U = U ». 

    Changement climatique, migration et VIH

    Une étude sur l'impact de la migration induite par le climat sur la vulnérabilité au VIH sur le continent africain montre que les régions confrontées à des évènements tels que les sécheresses et les inondations connaissent souvent une augmentation des migrations. Les facteurs socioéconomiques, tels que l'accès aux soins de santé et aux ressources de prévention du VIH, jouent un rôle crucial dans la formation du paysage global de la prévalence et de la vulnérabilité au VIH pour les personnes migrantes. Les chercheurs-ses ont synthétisé les résultats d'études épidémiologiques, de rapports sur la migration et de bases de données de santé publique. Ils-elles ont souligné l'urgence de mener davantage de recherches ciblées sur le lien entre la migration induite par le climat et la vulnérabilité au VIH en Afrique. Cette étude était l'une des quatre présentées lors de la session, « Le double fardeau des climats : Lutter contre le VIH dans les régions les plus touchées ».

    L’impact de la guerre en Ukraine sur le traitement de substitution des opiacés

    La guerre en Ukraine suite à l’invasion russe a augmenté la probabilité de l'interruption du TSO (traitement de substitution des opiacés) pour les personnes déplacées à l'intérieur du pays et celles vivant dans les zones de conflit, compromettant les efforts de prévention du VIH chez les personnes qui s'injectent des drogues. Ceci est basé sur une analyse comparative de survie de cohortes sur deux ans utilisant le registre national de délivrance des TSO en Ukraine provenant de 252 cliniques réparties sur 25 régions.

    Lois homophobes : comment les communautés font face

    L'adoption de lois criminalisant les relations LGBTQ dans certains pays africains a aggravé les défis auxquels les populations clés sont confrontées pour accéder aux services de lutte contre le VIH. Comment les communautés s'en sortent-elles ? En Ouganda, où la prévalence du VIH chez les adultes est passée de 18 % en 1992 à 5,2 % en 2020, la loi anti-homosexualité menace les progrès accomplis et les communautés ont constaté une recrudescence de la discrimination, de la violence, des arrestations et de la « justice populaire ». Les professionnels-es de santé craignent de traiter les personnes LGBTQ. Une équipe d'intervention (formée par le gouvernement et d'autres agences) a coordonné les efforts pour traiter les effets de la loi sur les personnes LGBTQ. Les professionnels-es de santé ont été formés-es pour maintenir des services accueillants pour les personnes LGBTQ ; et les personnes paires des populations clés ont été soutenues pour effectuer le suivi des personnes, les renouvellements de traitement et les orientations.

    Au Ghana, où le Parlement a approuvé une loi homophobe, les professionnels-es de santé utilisent des stratégies communautaires pour maintenir l'accès des hommes gays et bisexuels aux services de lutte contre le VIH. Cela inclut des éducateurs pairs passant de la sensibilisation de groupe à des engagements individuels pour réduire la visibilité publique ; le transfert des tests et des traitements à domicile et dans des lieux sûrs identifiés par les pairs ; et la promotion de la distribution de traitement ARV et de Prep pour éviter les visites en clinique. Comme le disent les chercheurs-ses ghanéens-nes, l'influence de la législation sur les programmes de lutte contre le VIH est énorme et ils-elles appellent à un plaidoyer de haut niveau des parties prenantes sur ses effets.

    Etre résilient et s’adapter : quand la lutte contre le VIH doit faire face aux crises

    Pandémies, urgences humanitaires, instabilité politique… Dans chaque pays, la lutte contre le VIH est dépendante de l’évolution des contextes sociopolitiques, mais aussi des catastrophes climatiques et des répercussions des choix politiques des puissances internationales. Face à ces imprévus, les panélistes de la session « La réponse au VIH dans le contexte de l'instabilité politique et des situations d'urgence » apporte la même solution : les systèmes de santé doivent être résilients. 

    Ces évènements ont effectivement des conséquences directes sur la capacité, tant des organisations communautaires que des systèmes de santé, de continuer à proposer des actions spécifiques et pertinentes pour faire de la prévention, dépister, accompagner les personnes séropositives. Au Népal, Keshab Deuba explique que la pandémie du Covid-19 a provoqué une baisse des dépistages de 34 %, ce qui a entraîné en cascade une chute des diagnostics positifs de 47 % et donc un effondrement des mises sous ARV de 36 %. Il y a, pour ce représentant du Centre de recherche en santé publique et environnement, un besoin imminent d’anticiper ces crises et de préparer tant les soignants-es que les associations à la continuité du système de soins à l’émergence de nouveaux risques. 

    Dans un tout autre registre, les Kenyans-nes ont dû adapter leur réponse au VIH dans un contexte politique particulièrement sévère à l’encontre des communautés LGBTQ+. En 2023, alors que le Kenya a adopté une loi permettant aux personnes LGBTQ+ de s’associer, une vague puissante d’homophobie s’est abattue sur le pays, dans la lignée de ce qui se passait en parallèle dans d’autres pays du continent comme l’Ouganda, la Tanzanie ou le Ghana. Les violences subies ont entraîné la fermeture pendant plusieurs mois de programmes ou espaces communautaires ; certains n’ont d’ailleurs jamais pu rouvrir. Les communautés ont alors dû s’adapter, s’organiser, se protéger : accompagnement juridique des victimes, mise en place de consultations médicales en visio, relogement des personnes déplacées et persécutées. Les droits des minorités étant en permanence remis sur la sellette, les organisations de lutte contre le VIH doivent en permanence innover pour permettre aux communautés les plus touchées d’accéder aux soins. On ne le répètera jamais assez, il n’y a pas de santé sans droits. 

    Enfin, plus près de chez nous mais avec une onde de choc d’ampleur planétaire, la guerre en Ukraine provoquée par l’invasion russe a eu des conséquences désastreuses sur le système de santé. 100 % Life, association communautaire de lutte contre le VIH et membre de Coalition PLUS, a dû redoubler d’ingéniosité pour continuer à accompagner les personnes durant cette période de crise. Un ChatBot, nommé « Legal Bot » a été mis en place pour répondre aux questions des personnes. L’objectif est simple : continuer de fournir des informations claires et utiles en matière de prévention, de droit, de santé. Depuis 2022 l’association a déjà comptabilisé plus de 10 000 chats sur son application ! Comme l’expliquait Krystyna Rivera, chargée de communication au sein de 100 % Life, à chaque nouveau challenge, une nouvelle solution apparaît et durant cette conférence les organisations communautaires ont prouvé une fois de plus leur capacité d’innovation et montrent qu’elles sont en mesure d’inspirer les systèmes de santé quant aux stratégies de résilience à mettre en œuvre. 

    Having options does not equal choice! (Avoir des options n’est pas synonyme de choix) 

    Ce titre résume bien la session (bondée) : « Révolutionner la prévention du VIH : percées et perspectives des technologies long-acting ». Au cours de celle-ci, il est question de la Prep injectable (très en vogue au cours de cette conférence). On commence avec un « Update » (où en est-on) par Albert Liu, chercheur au Department of Public Health de San Francisco : la Prep à base de cabotégravir est commercialisée par ViiV et celle à base de lénacapavir est en cours de développement par Gilead. Jusque-là, on est à jour. Puis, c’est au tour du brésilien Thiago Silva Torres (Instituto Nacional de Infectologia Evandro Chagas INI-Fiocruz) d’intervenir au sujet des différentes études dans le monde qui ont porté sur le CAB-LA et qui ont permis de démontrer sa haute acceptabilité. Le chercheur défend que la prévention diversifiée, la possibilité de pouvoir choisir parmi plusieurs formes de prophylaxie pré-exposition, a un impact collectif (épidémique). Il conclue sur la nécessité que le CAB-LA soit garanti pour toutes les populations qui en ont besoin, notamment celles des pays du Sud. Car, en effet, si le développement de ces nouveaux produits est à l’origine de beaucoup d’espoir pour les militants-es de la lutte contre le VIH, encore faut-il en assurer l’accès aux personnes qui sont, encore aujourd’hui, éloignées de la Prep orale. 

    C’est Camille Romero, de la fondation Access to Medicine, qui nous présente alors des pistes de solution concrètes et engagées pour œuvrer à l’implémentation de la Prep long-acting. Dans un premier temps, elle pointe le besoin de connaitre les particularités des populations (Où vivent-elles ? Quels sont leurs besoins ? Quelles sont leurs motivations à revenir vers les lieux communautaires ?), afin de pouvoir élaborer des stratégies de déploiement de ces nouvelles technologies. Elle défend ainsi la volonté de mener des études sur les barrières à l’accès aux nouveaux outils et d’intégrer les enjeux d’implémentation dès la conception des projets de recherche. Camille Romero évoque également la lutte contre les monopoles pharmaceutiques abusifs et plaide la cause des mécanismes de licence d’office ou obligatoire permettant la mise à disposition par le titulaire d’un brevet de celui-ci au profit de tiers. Camille Romero mentionne ainsi The Medicines Patent Pool, une organisation internationale soutenue par l’ONU et chargée de négocier des licences avec les titulaires de brevets pour permettre l’exploitation de ceux-ci à moindre coût par d’autres entreprises. On espère que le message sera entendu par ViiV et Gilead !

    Prep injectable bien tolérée chez les femmes enceintes

    L'OMS recommande l'utilisation du cabotégravir injectable à action prolongée (CAB-LA) depuis 2022. L'essai HPTN 084 a démontré que le CAB-LA réduit significativement l'acquisition du VIH par rapport au TDF/FTC (Truvada) en comprimé oral quotidien chez les femmes. Cependant, les données sur son utilisation par les femmes enceintes et allaitantes, historiquement exclues des essais des nouveaux antirétroviraux, sont limitées. Une sous étude de HPTN 084, avec 2 472 participantes dans plusieurs pays d'Afrique australe, montre que le CAB-LA est bien toléré chez les femmes enceintes.

    Dépistage de la syphilis pour réduire la transmission verticale du VIH 

    La transmission verticale (mère-enfant) du VIH est environ 2,5 fois plus probable si une femme enceinte est atteinte à la fois du VIH et de la syphilis. Au Liberia (Afrique de l'Ouest), moins de 8 % de toutes les femmes enceintes avaient été testées pour la syphilis, bien que plus de 95 % aient assisté à au moins une visite prénatale. En septembre 2021, le Programme national de lutte contre le sida et les IST a commencé à étendre les tests doubles dans 67 établissements à travers le Liberia. L'introduction des tests doubles a multiplié par près de dix le dépistage de la syphilis (77 % des femmes ont été dépistées), reflétant presque le dépistage du VIH (80 %). Les responsables de la mise en œuvre affirment que des taux élevés de dépistage associés à des taux élevés de traitement améliorent les services de soins de santé primaires et les résultats de santé pour les femmes enceintes et leurs enfants à naître, de manière rentable et durable.

    Journalisme et VIH : comment faire face aux fake news ?

    Comme chaque année, une table ronde sur le journalisme scientifique était organisée. Cette année, le thème portait sur les fake news. Comment transmettre la bonne information sur les réseaux sociaux dans un éco système noyé par le complotisme et les « influenceurs » qui n’emploient pas toujours les bons mots et peuvent même faire circuler des fake news ? Autre question légitime : avec la Prep injectable qui fait des miracles et des cas de rémissions qui font avancer la recherche, est-ce que le grand public s’intéresse toujours au VIH? Ou encore, comment démêler le vrai du faux sur les réseaux sociaux avec l’intelligence artificielle?  Le travail des journalistes est, en effet, de vérifier les sources, recouper les informations et ne pas céder à la course pour le scoop au risque de reprendre une fake news en pensant « informer vite ». Dans le panel, des journalistes de gros médias généralistes comme le New York Times ou encore The Guardian, mais aucun média communautaire, ce qui n’a pas manqué de faire réagir Liz Highleyman, journaliste scientifique pour Poz magazine, sur X (ex Twitter) : « Je devrais probablement assister à cette session #AIDS2024, mais ça m'agace que la @iasociety choisisse toujours les grands médias grand public pour ce genre d'événements. Des publications comme @pozmagazine, @aidsmap, @TheBodyDotCom, @HIVPlusMag, @PosAware et @ActuRemaides traduisent la science et les politiques sur le VIH au monde entier chaque jour, ainsi que les nombreuses publications sur le VIH dans d'autres pays que je ne connais pas. Si le thème est « venez rencontrer ces journalistes célèbres qui écrivent occasionnellement sur le VIH », très bien, mais pour parler de la traduction de la science sur le VIH, pourquoi ne pas inclure ceux et celles qui le font à plein temps ? ». Merci Liz.

    Efficacité de la bithérapie bictégravir/lénécapavir

    La bithérapie combinant le bictégravir (nom commercial Biktarvy), un anti-intégrase et le lenacapavir (nom commercial Sunlenca), un inhibiteur de capside de première classe, pourrait être une bonne option de traitement chez les personnes vivant avec le VIH qui ne peuvent pas suivre un traitement en comprimé unique. Les données jusqu'à la semaine 48 de l'étude de phase 2 ARTISTRY-1 montrent que cette bithérapie en comprimés uniques quotidiens a généralement été bien tolérée. L'âge moyen des participants-es était de 60 ans : 19 % étaient des femmes, 31 % étaient des Noirs-es et 16 % étaient hispaniques/latinos. Les chercheurs-es affirment que les résultats soutiennent la poursuite de l'évaluation de la bithérapie bictégravir/lénécapavir pour simplifier le traitement chez ces PVVIH.

    DOSSIER À SUIVRE DANS LE SIXIEME EPISODE LUNDI 29 JUILLET 2024