Droit des étrangers malades : le rapport qui dérange, le film qui dénonce
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Près d'un an et demi après sa création, l'"Observatoire étrangers malades" mis en place par AIDES rend son premier rapport sur le droit au séjour pour soin : accablant. Sur le terrain, la réforme du droit au séjour pour soins adoptée le 16 juin 2011 porte ses premiers fruits pourris. Traques, persécutions policières, humiliations administratives, dénis de droit et préfectures aux conditions d'accueil indignes ponctuent désormais le quotidien des étrangers gravement malades vivant sur notre territoire. Résultat : de plus en plus de personnes broyées par la machine administrative et policière peinent à se soigner et risquent à tout moment l’expulsion vers la mort.
Pour dénoncer une politique qui n'a pas sa place dans un Etat de droit, AIDES et TBWA/Paris accompagnent la sortie de ce rapport étrangers malades (pdf) d'un film choc et sans équivoque. Ce film laisse entrevoir au spectateur la menace permanente qui plane désormais au dessus de la tête de milliers de personnes, dont la seule faute est d'être malade. "On voit émerger depuis de nombreux mois une stratégie nauséabonde qui consiste à désigner l'étranger malade comme un fraudeur, un fardeau, le responsable idéal du déficit de notre système de soins. Cette caricature est dangereuse, elle doit cesser" déclare Bruno Spire, président de AIDES.
Droits des étrangers malades, le film qui dénonce par AIDES-association
"Un mot, des morts" : le rappel des faits. Tout commence le 16 juin 2011. Malgré la mobilisation des associations, la loi Besson est adoptée et va considérablement vider de sa substance le droit au séjour des étrangers malades. Il n'est désormais plus question de savoir si le traitement est "accessible" dans le pays d'origine : il suffit que le traitement "existe" quelque part dans ce pays pour permettre l'expulsion. Il aura donc suffi d'un mot, un seul petit mot pour que la vie de milliers d'hommes et de femmes bascule. En instaurant cette subtilité lexicale et en soumettant la décision finale au bon vouloir des préfets, nous voici entrés dans le monde merveilleux de l'arbitraire. Le régime de droit, strictement encadré, devient un régime de faveur. Selon la région, un étranger malade peut donc être "expulsable"... ou pas. Les disparités géographiques dans le traitement des dossiers, dont nous dénoncions déjà les effets en 2005 (1), impactent désormais la vie même des personnes.
Un premier rapport, une première tendance. Constatant l'inacceptable au quotidien dans nos actions de soutien aux étrangers séropositifs, nous avons mis en place fin 2010 un "observatoire étrangers malades", afin de recueillir les constats de terrain de nos militants et partenaires. Le premier rapport issu de cet observatoire est fondé sur le suivi documenté de 155 situations individuelles. Il révèle les difficultés croissantes d’accès au droit de séjour pour soins, et l'impact sur les conditions de vie, les droits et l'état de santé de ces personnes. Autant dire que ce bilan d'étape dresse un tableau peu réjouissant du sort qui leur est réservé.
La première chose qui saute aux yeux, c'est la double peine qui leur est infligée. Avec le durcissement des règles et l'excès de zèle de certaines préfectures, ils se retrouvent engloutis dans un dédale administratif semé d’embuches : files d’attentes interminables, demande de pièces fantaisistes ou non prévues par la réglementation, rupture de confidentialité et du secret médical… Tout est fait pour décourager les étrangers malades de faire valoir leurs droits. Résultat, seule la moitié des sans-papiers atteints d'une maladie grave finit par obtenir une carte de séjour temporaire, au terme de démarches anormalement longues et pénibles. Ce véritable parcours du combattant mine leur santé, leur barre l'accès à l'emploi et à des conditions de vie dignes. La menace permanente de l'expulsion, elle, les plonge dans une clandestinité incompatible avec la maladie.
Voilà pour la partie la plus agréable. Car lorsque ça se passe mal, lorsqu'un préfet estime qu'après tout, la prise en charge de l'hépatite C "existe" au Congo, alors c'est une toute autre machine qui se met en branle : la traque policière, l'arrestation, puis l'expulsion. Jusqu'à aujourd'hui, la vigilance des associations a permis de limiter ces dérives. Mais pour combien de temps encore ?
Chiffres à l’appui, AIDES rappelle que le dispositif préexistant à la loi Besson était strictement encadré (2). Les fraudes y étaient marginales, sinon inexistantes. Ce dispositif ne générait aucun "appel d'air" ni aucune "immigration thérapeutique". En 2011 29.000 personnes en bénéficiaient, dont 6 000 porteurs du VIH, un chiffre stable depuis plusieurs années. "En remettant en cause ce dispositif, les parlementaires ont mis la vie de milliers d'individus sur la sellette et bafoué les principes élémentaires de santé publique", explique Bruno Spire.
Veut-on vraiment une santé à deux vitesses, qui trie les "bons" et les "mauvais" malades ? C’est pourtant ce qui se dessine derrière ce rapport : l'organisation latente d'un scandale sanitaire. Un démenti cinglant pour tous ceux qui louent la générosité de notre modèle républicain et notre tradition d’accueil des étrangers.
A travers ce rapport et ce film choc, AIDES dénonce les premières dérives de cette réforme absurde. Parce que l'égalité de tous devant le soin doit demeurer un droit fondamental, AIDES demande le rétablissement du droit de séjour des étrangers malades.
(1) Enquête AIDES sur l'accès au séjour, aux soins et à l'hébergement des étrangers séropositifs, @AIDES, août 2005.
(2) "Rapport du Comité interministériel de contrôle de l'immigration, décembre 2009"