Hugues Cordel : « La vaccination contre la grippe et contre la Covid-19 est recommandée dans tous les cas »
- Remaides
- 18.12.2023
Par Jean-François Laforgerie
« La vaccination contre la grippe et contre la Covid-19 est recommandée dans tous les cas »
Depuis octobre, une nouvelle campagne de vaccination contre la Covid-19 a été lancée en France. Que doivent faire les personnes vivant avec le VIH ou les hépatites virales ? Quelles sont les recommandations ? Le Dr Hugues Cordel, médecin infectiologue au service des Maladies infectieuses et tropicales de l’Hôpital Avicenne (AP-HP, Hôpitaux Universitaires Paris Seine-Saint Denis) et président de la Société française de lutte contre le sida (SFLS), fait le point pour Remaides. Interview.
Remaides : Une nouvelle campagne de vaccination a débuté le 2 octobre dernier concernant la Covid-19 ? Quelles sont vos recommandations de vaccination pour les personnes vivant avec le VIH ou les hépatites virales ?
Dr Hugues Cordel : On recommande à tout le monde de se faire vacciner par le nouveau vaccin qui est adapté au dernier variant qui circule. Cette vaccination est ouverte à toutes les personnes qui ont une pathologie chronique, dont les personnes vivant avec le VIH ou les hépatites virales, bien sûr. C’est un vaccin en une seule dose et cela quel que soit son schéma vaccinal antérieur : qu’on ait fait les premières doses de vaccin, il y a deux ans, qu’on ait fait des rappels ou qu’on ait eu la Covid. Autrement dit quels que soient ses antécédents vaccinaux ou d’infection par la Covid, il est recommandé de se faire vacciner lors de cette nouvelle campagne avec le vaccin adapté aux souches de virus de 2023-2024. Ce vaccin est le Comirnaty® Omicron XBB.1.5.
Remaides : Quel est l’efficacité de ce vaccin ?
Ce vaccin cible un variant qui a été retrouvé au printemps, début d’été dernier : le XBB.1.5. Malheureusement, le Sars-Cov-2 [virus qui cause la Covid-19, ndlr] mute rapidement. Actuellement, ce sont plutôt les variants EG.5 et BA.2.86 qui circulent. Toujours est-il que ces variants appartiennent à la souche Omicron du virus. Le vaccin Comirnaty XBB.1.5 dont nous parlons cible les variants Omicron. On présume donc et on espère que le vaccin utilisé actuellement [le dernier en date, ndlr] jouera pleinement son rôle. Cela étant, c’est notre lot avec ce virus de la Covid-19 qui mute facilement et rapidement, plus vite que la mise au point d’un vaccin. Nous avons d’ailleurs cette même problématique avec le virus de la grippe qui va muter une fois par an à peu près alors qu’avec le virus de la Covid des variants importants et différents peuvent émerger deux, voire trois fois par an. La mise au point d’un vaccin ne peut pas tenir un tel rythme.
Remaides : Un rappel peut se faire à partir de six mois après la dernière infection ou injection de vaccin contre la Covid-19. Pour les « personnes immunodéprimées », le délai préconisé est réduit à trois mois. Est-ce valable pour toutes les personnes vivant avec le VIH ?
Des recommandations de la Direction Générale de la Santé (DGS Urgent) font le point sur ce sujet. Il indique qu’il faut, en effet, attendre un délai de six mois après la dernière infection documentée [prouvée par un test positif, ndlr] ou une injection vaccinale. Le délai de trois mois concerne les personnes immunodéprimées et les personnes transplantées, c’est-à-dire les personnes qui, dans le cas du VIH, ont moins de 200 CD4/mm3. Je peux prendre l’exemple d’un patient que je suis qui est dans cette situation. Il m’a expliqué en consultation qu’il s’est fait vacciner en septembre 2023 dans une pharmacie. Il a fait le vaccin de la génération précédente : celui administré en 2022-2023. Il devra donc attendre trois mois avant d’être vacciné avec le nouveau vaccin, celui de 2023-2024 [Comirnaty XBB.1.5, ndlr]. Pour une personne vivant avec le VIH qui n’est pas immunodéprimée [CD4 au-dessous de 200 CD4, ndlr] et qui aurait été vaccinée en septembre, elle devra attendre six mois avant une nouvelle vaccination avec le nouveau vaccin 2023-2024. C’est ce qu’expliquent les recommandations. On peut noter que dans l’hypothèse d’une nette accélération de la circulation du virus, ce qui n’est pas le cas actuellement, les autorités de santé pourraient réduire ce laps de temps… comme cela a déjà été fait précédemment. L’important est d’avoir un vaccin qui soit le plus adapté possible au virus qui circule.
« Oui, l’infection par le VIH est un facteur de risque de forme grave. Mais il est important de préciser que les résultats d’études nous indiquent qu’une personne qui a toujours eu de bons CD4 et une charge virale indétectable partage les mêmes facteurs de risques qu’une personne qui n’est pas été infectée par le VIH. »
Remaides : Depuis le 17 octobre, il est possible de se faire vacciner contre la grippe et en même temps contre la Covid-19. Cette double vaccination est-elle possible pour les PVVIH ? À quelles conditions ?
Oui, elle est même recommandée. Je laisse le choix au patient d’être vacciné sur le même bras ou sur deux bras [l’un pour la grippe, l’autre pour la Covid-19, ndlr]. Certaines personnes préfèrent avoir une gêne, voire une douleur, souvent minime, sur un bras plutôt que sur deux. En vaccination, on peut faire jusqu’à trois injections sur un même bras. Ce qui est important, c’est de respecter une distance de deux à trois centimètres entre chaque point d’injection pour éviter le mélange des produits. Dans mes consultations, certaines personnes se disaient surprises qu’il y ait deux aiguilles… Il s’agit bien de deux vaccins différents, dont la logistique n’est pas la même. C’est simple pour la grippe : une boîte contient une seringue avec une dose de vaccin. Le vaccin se conserve au frais trois mois. Pour la Covid, il s’agit d’un flacon permettant de vacciner six personnes. Un flacon ouvert doit être utilisé dans la journée pour ne pas perdre des doses… c’est moins simple d’un point de vue logistique. C’est ce qui explique que la prise de rendez-vous soit nécessaire, y compris en pharmacie, pour se faire vacciner contre la Covid ; ce qui n’est pas forcément le cas pour la grippe.
Remaides : L’infection à Sars-Cov-2 est-elle plus grave lorsqu’in vit avec le VIH ? Que nous dit la science à ce propos ?
Oui, l’infection par le VIH est un facteur de risque de forme grave. Mais il est important de préciser que les résultats d’études nous indiquent qu’une personne qui a toujours eu de bons CD4 et une charge virale indétectable partage les mêmes facteurs de risques qu’une personne qui n’est pas été infectée par le VIH. Autrement dit, lorsqu’on a de bons CD4, ce n’est pas le VIH lui-même qui est un facteur de risque, mais le fait d’être fumeur, l’âge [65 ans, ndlr], le fait d’avoir du diabète, d’être en surpoids, d’avoir de l’hypertension… Pour une personne qui est en dessous de 200, voire 350, CD4/mm3, l’infection par le VIH est un facteur de risque en tant que telle, quelque-soit les autres facteurs de risque (âge, obésité, etc.).
Remaides : Que sait-on de l’efficacité de la vaccination anti-Covid chez les personnes vivant avec le VIH ?
Il est beaucoup plus facile de répondre à cette question. On sait que lorsqu’on est à moins de 200 CD4/mm3 la réponse vaccinale est moindre. À un taux de CD4 élevé (plus de 500 CD4/mm3 dans une étude portant sur le vaccin 2022-2023), la réponse au vaccin était totalement identique à celle des personnes ne vivant pas avec le VIH ou une hépatite virale.
Remaides : Quels arguments donneriez-vous pour convaincre une personne vivant avec le VIH qui serait réticente à se faire vacciner contre la Covid-19 ou qui aurait peur de cette vaccination ?
Ce qui peut faire peur, c’est la technique de l’ARN-messager. J’expliquerai que nous avons déjà plus de deux ans et demi de recul sur cette vaccination et à large échelle et que les données sont totalement rassurantes. Il faut être clair, si nous avions des informations comme quoi la vaccination avec cette technique représentait un risque nous le saurions. Au total, des milliards de personnes ont été vaccinées avec cette technologie et cela sans effets indésirables majeurs sauf dans des cas rares comme les myocardites chez les jeunes enfants. Mais même sur ce point, le risque de faire une myocardite était plus élevé lorsqu’on contractait la Covid-19 que lorsqu’on était vacciné contre elle ! J’ajouterai que les vaccins ARN-messager sont étudiés depuis une quinzaine d’années, certes sur des échantillons plus modestes, mais que, là encore, aucun effet indésirable grave n’a été rapporté, remettant en cause cette technique. Les autorités de santé ont été transparentes sur le sujet comme on peut le voir sur le site de l’ANSM [Agence nationale de sécurité du médicament]. Il faut juste expliquer que comme toute vaccination, celle-ci peut fatiguer, engendrer une douleur passagère au point d’injection, voire, exceptionnellement, de la fièvre. Chez mes patients, je vois peu de réticences à la vaccination contre la grippe, un peu plus sur celle contre la Covid-19. Il faut toujours écouter les inquiétudes. Il est compréhensible que certaines personnes aient des craintes concernant la vaccination. C’est logique et je dois expliquer à quoi elle sert sur le plan collectif et son intérêt pour la personne. Mais on ne doit pas perdre de vue que nous évoluons aujourd’hui dans un climat d’antivax dont les objectifs sont politiques et très éloignés des intérêts de santé publique. J’ajouterai un élément clef qui a été prouvé à partir de données portant sur des personnes qui n’ont jamais eu le vaccin, chez des personnes qui ont eu la Covid, une fois, plusieurs fois, chez des personnes qui ont eu une dose de vaccin... : quand on est vacciné, on s’en sort toujours mieux face à la Covid que lorsqu’on n’est pas vacciné. Les médecins réanimateurs aujourd’hui ne voient presque jamais dans leurs services de personnes qui ont été vaccinées contre la Covid-19.
Remaides : Ce que vous venez d’expliquer concernant les PVVIH est-il transposable aux personnes qui vivent avec une hépatite virale chronique ?
Oui. Les personnes les plus fragiles vont être celles qui vivent avec une cirrhose. Concernant les personnes qui vivent avec une hépatite virale chronique liées au VHC, nous espérons qu’il n’y en a pratiquement plus grâce aux traitements antiviraux très actifs, même si certaines personnes sont probablement toujours en dehors du soin ou non diagnostiquées. Pour le VHB, nous espérons que les personnes concernées sont dépistées et surveillées. C’est-à-dire suivies une à deux fois par an et parfois avec un traitement viro-suppresseur [anti-VHB, ndlr] lorsque c’est nécessaire. Dans le cas des hépatites, ce n’est pas tant les virus qui sont un facteur de risque que le fait d’être ou non au stade de cirrhose. La vaccination contre la grippe et contre la Covid-19 est recommandée dans tous les cas.