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    L’Actu vue par Remaides : « Coupes américaines contre le VIH : la colère des associations »

    • Actualité
    • 29.04.2025

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    Des militants-es de AIDES, Médecins du Monde et Coalition PLUS, place de la Concorde, aux abords de l’ambassade des États-Unis à Paris, pour dénoncer la suspension du programme américain Pepfar décidée par Donald Trump.
    Photo : Fred Lebreton.

    Par Fred Lebreton

    Coupes budgétaires américaines contre le VIH : la colère des associations

    À l’aube du 29 avril, des militants-es de AIDES, Médecins du Monde et Coalition PLUS ont mené une action choc devant l’ambassade des États-Unis à Paris pour dénoncer la suspension du programme américain Pepfar, pilier mondial de la lutte contre le VIH. Face à une possible reprise épidémique, les associations exhortent la France à renforcer son engagement, notamment via le Fonds mondial, pour éviter un retour en arrière dramatique dans la lutte contre le VIH. La rédaction de Remaides était sur place.

    "La situation est catastrophique, nos camarades, nos partenaires, nos amis-es sont menacés-es"

    Il est 7h30 ce matin, sous le pont Alexandre III à Paris, tout près des Invalides. Le ciel est dégagé, le soleil déjà haut, quand une trentaine de militants-es de AIDES, Médecins du Monde et Coalition PLUS se rassemblent en silence. Les visages sont déterminés. Zoé Boyer, coordinatrice du Plaidoyer parlementaire et institutionnel à AIDES, prend la parole pour un briefing. Elle rappelle que cette action publique, non déclarée officiellement, comporte des risques : une garde à vue pouvant aller jusqu’à 48 heures. Elle insiste : les participants-es ont le droit de garder le silence jusqu’à l’arrivée de leur avocat-e, d’appeler un-e proche, et de demander une visite médicale en cas de violence policière. « En cas d’arrestation, ne vous débattez pas. Laissez-vous traîner », recommande-t-elle, avant d’ajouter : « Quand je crie “dispersion”, on quitte l’action. »

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    A droite, derrière le micro rouge, Zoé Boyer, coordinatrice du Plaidoyer parlementaire et institutionnel à AIDES, anime le briefing des militants-es avant l’action qui se déroulera devant l’ambassade des États-Unis.
    Photo : Fred Lebreton.

     

    Puis Emmanuel Bodoignet, vice-président de AIDES, prend brièvement la parole pour redonner le sens de cette mobilisation. Il remercie les associations présentes : « Merci beaucoup à Coalition PLUS, à Médecins du Monde, et aux militants et militantes de AIDES. Pourquoi sommes-nous là aujourd’hui ? La situation est catastrophique. » Il rappelle les chiffres glaçants : depuis le 24 janvier 2025, 40 000 décès supplémentaires liés au VIH-sida s’ajoutent aux 630 000 morts recensés dans le monde en 2023. « Dix pour cent de ces nouvelles victimes sont des enfants », précise-t-il. Derrière ces morts, un facteur clé : la remise en cause du financement du Pepfar (le plan présidentiel américain de lutte contre le VIH) par Donald Trump. « Ce programme représente 60 % du financement mondial de la lutte contre le VIH et le sida. Nos camarades, nos partenaires, nos amis sont menacés. » Le militant conclut avec gravité : « C’est une première action aujourd’hui. Il devrait y en avoir d’autres dans le réseau, et dans vos lieux de mobilisation. »

    "C'est la première fois dans l'histoire du VIH que l'on fait face à un risque de reprise de l'épidémie"
     

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    Léo Deniau, coordinateur du Plaidoyer international à AIDES, prend la parole au mégaphone lors du die in devant l’ambassade des États-Unis.
    Photo : Fred Lebreton.

    Divisés en trois groupes partis à des moments différents, les militants-es convergent vers la place de la Concorde, juste devant l’ambassade des États-Unis. À peine arrivés, les agents de sécurité les avertissent : il est interdit de stationner ici. Mais tout s’enchaîne rapidement. Trois activistes déploient une immense banderole au message percutant : « Sida : toutes les trois minutes, notre avarice tue ». Une vingtaine de personnes s’allongent aussitôt pour réaliser un die-in. Leurs corps immobiles incarnent les morts provoquées par les coupes budgétaires décidées par les États-Unis. « Ne regardez pas ailleurs, les morts sont à vos pieds » scandent les militants-es. Léo Deniau, coordinateur du Plaidoyer international à AIDES, prend la parole au mégaphone : « En plus d’être injustes, ces décisions sont irresponsables. C’est la première fois dans l’histoire du VIH que l’on fait face à un risque de reprise épidémique. Personne n’est en sécurité tant que tout le monde ne l’est pas. » Deux minutes plus tard, les militants-es se relèvent et scandent : « Avarice et injustice, États-Unis complices ! » ou encore « Sida, on meurt : Trump regarde ailleurs ». Les agents de sécurité restent à distance, sans intervenir. Quelques passants-es s’arrêtent, intrigués-es, mais la place reste relativement calme en cette heure matinale. Soudain, le groupe décide de bloquer la rue adjacente à l’ambassade. Les klaxons fusent, les automobilistes s’impatientent. Plusieurs photojournalistes capturent la scène, avec, en arrière-plan, l’obélisque de la Concorde. « Dispersion ! » crie Zoé Boyer. L’action est déjà terminée.

    "Une reprise de l'épidémie dans les pays du Sud, c'est une reprise mondiale"

    Lancé en 2003 par l’administration Bush, le programme américain Pepfar (President’s Emergency Plan for AIDS Relief) a sauvé plus de 26 millions de vies dans une cinquantaine de pays, principalement en Afrique subsaharienne, grâce à un soutien massif au dépistage, aux traitements et à la prévention du VIH. Ce pilier de la lutte mondiale contre le sida représente 60 % de l’aide internationale sur le VIH. Or, depuis le gel décidé par Donald Trump le 24 janvier 2025, Pepfar est en sursis. Cette suspension brutale ― à peine allégée par quelques dérogations ― a déjà interrompu des programmes vitaux dans des dizaines de pays, affectant notamment 222 000 personnes privées de traitement, 224 000 tests quotidiens, et plus de 190 000 professionnels-les de santé. Le 26 février, la majorité des projets financés par l’Usaid ont été stoppés, et la reprise du programme a expiré, sans renouvellement le 25 mars. La situation est dramatique : « Depuis que Pepfar a été suspendu, 40 000 personnes sont mortes du VIH/sida, dont 4 000 enfants », alerte Alexia Decouis, administratrice nationale de AIDES. Et si la suspension perdure, les projections sont terrifiantes : jusqu’à six millions de nouvelles contaminations et quatre millions de décès d’ici 2030. Pour AIDES, cette décision est « criminelle » car elle revient à une « mise à mort des personnes ». L'association appelle la France, deuxième contributeur du Fonds mondial, à assumer ses responsabilités : « Sur le financement 2025, c’est ni plus ni moins que 37 % de l’aide publique au développement qui a été suspendue. C’est deux milliards d’euros. » Alexia Decouis insiste : « La santé est mondiale aujourd’hui. Une reprise de l’épidémie dans les pays du Sud, c’est une reprise mondiale. Des morts qui nous paraissent loin, ce sont aussi des morts en France. »

    Un engagement pour la santé mondiale et pour la France elle-même
     

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    Les militants-es lors du die in devant l’ambassade des États-Unis.
    Photo : Fred Lebreton.

    AIDES et Coalition PLUS appellent le gouvernement français à passer des paroles aux actes, soulignant que l’investissement dans la lutte mondiale contre les pandémies est aussi dans l’intérêt direct de la France. Outre la défense des droits humains, il s'agit de prévenir des crises sanitaires futures qui auraient un coût social, économique et sécuritaire immense. « Le soutien à la lutte contre le VIH/sida est non seulement un impératif moral, mais aussi un choix stratégique », rappellent les associations. Elles formulent trois demandes claires : l’augmentation du budget de l’aide publique au développement, la réaffectation des recettes issues des taxes innovantes à la solidarité internationale, et un soutien renforcé au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, notamment lors de la conférence de reconstitution prévue à la fin de l’année. Alors que 85 % des Français-es considèrent encore que la lutte contre le VIH doit rester une priorité de santé publique, les militants-es préviennent : ils-elles continueront à se mobiliser tant que leurs revendications ne seront pas entendues. « En quelques mois, c’est le travail de vingt ans qui risque d’être anéanti. Chaque minute compte. »

    L'avenir du Fonds mondial en suspens face aux incertitudes du financement américain

    Depuis sa création en 2002, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a permis des avancées majeures en santé publique, finançant des programmes dans plus de 100 pays, avec plus de 41 milliards de dollars investis. Ses résultats sont considérables : 25 millions de personnes vivent aujourd’hui sous traitement antirétroviral, plus de 7 millions ont été soignées pour la tuberculose et 227 millions de moustiquaires ont été distribuées. Pourtant, cette organisation, gouvernée de manière inclusive, est aujourd’hui fragilisée par les coupes budgétaires américaines. Alors que la prochaine Conférence de reconstitution des ressources approche, Léo Deniau, coordinateur du plaidoyer international à AIDES, tire la sonnette d’alarme : « Le Fonds mondial représente la dernière digue face à l'effondrement de l'architecture du financement de la santé mondiale et de la lutte contre le VIH/sida. » Il appelle à une mobilisation forte de la France, deuxième contributeur historique : « Il faut plus que jamais contribuer de manière ambitieuse, avec un soutien politique et une augmentation de la contribution française. » Pour lui, l’action menée aujourd’hui devant l’ambassade des États-Unis s’inscrit dans une stratégie de mobilisation plus large : « AIDES a une culture militante, activiste. On va poursuivre dans ce domaine-là. Il faut réviser les méthodes d’action et maintenir une pression constante sur les décideurs. C’est crucial en ce moment. »

    Pour aller plus loin

    Chaque demi-heure, le décompte macabre du gel du Pepfar s'alourdit

    Glaçant. Toutes les 30 minutes, le site Pepfar Program Impact Tracker est mis à jour. Cette page estime l'impact en termes de décès d'enfants et d'adultes depuis la suspension du programme Pepfar, le 24 janvier 2025 à ce jour. Ce compteur est géré par des chercheurs-ses du Centre des maladies infectieuses émergentes de l'Université de Boston. Le site explique sa méthodologie et ses sources qui proviennent de la littérature scientifique. Au moment de l’écriture de cet article (mardi 29 avril), le compteur affiche une estimation de 41 372 décès d’adultes et 4404 décès d’enfants. Toujours d’après ce site, la suspension définitive du Pepfar entraînerait d’ici 2029 la survenue de six millions de nouvelles contaminations et quatre millions de décès supplémentaires dans le monde. Vertigineux.