L’Actu vue par Remaides : « Santé, science : la mobilisation contre Trump fait front »
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- 12.03.2025
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Par Jean-François Laforgerie
Santé mondiale, science : la mobilisation contre Trump fait front
Ces derniers mois, de nombreuses décisions de Donald Trump et de son administration constituent des atteintes contre la santé mondiale et la recherche. De nombreux collectifs et experts-es appellent à défendre « les sciences face aux nouveaux obscurantismes ». Un peu partout dans le monde, la riposte s’organise à l’image du mouvement Stand up for Science, qui a été lancé début mars.
La rédaction de Remaides y revient.
En fin d’article, d’autres infos Monde.
Stand up for Science : le mouvement est lancé
Lancé dans le monde entier, début mars, le mouvement Stand up for Science a pour ambition de contrer les attaques du Trump et de son administration contre la science. Moins de deux mois après son retour à la Maison Blanche, la liste des atteintes à la science ne cesse de s’allonger dans le pays. Il est d’ailleurs probable que ce n’en soit pas la fin. Libération cite des « déconnexions de base de données, l’interdiction d’utiliser certains mots [LGBT, genre, femme enceinte, diversité, inclusion, trans, etc., ndlr] dans des publications », auxquels s’ajoute une vague de licenciements sans précédent dans des organismes de recherche, l’interdiction pour les chercheurs-ses américains-es d’entrer en contact avec leurs collègues étrangers-ères. Devant cette situation aussi dramatique qu’inédite, les scientifiques, notamment américains-es, tous champs de recherche confondus, ont décidé de réagir en lançant, début mars, le mouvement Stand up for Science.
Une tribune, « Défendons les sciences face aux nouveaux obscurantismes », publiée dans Le Monde, le 4 mars dernier, appelle à la mobilisation et à rejoindre le mouvement « Stand up for Science ». Une journée de mobilisation, un peu partout dans le monde, s’est d’ailleurs tenue le 7 mars. « L’université et la recherche sont aujourd’hui la cible d’attaques sans précédent aux États-Unis, menaçant l’un des piliers de la démocratie : la liberté académique et scientifique. Sous la pression de la nouvelle administration, les coupes budgétaires brutales affectent directement la société, notamment en matière de santé publique et d’environnement », développent les signataires de ce texte qui entend dénoncer la « censure idéologique » à l’œuvre, s’illustrant par la suppression « d’informations scientifiques essentielles sur les inégalités sociales, la santé et la protection des milieux naturels », une « restriction de l’enseignement de l’évolution et des études de genre, couplée à des attaques contre l’intégrité des agences scientifiques ».
Et les auteurs-rices de poursuivre : « En tant que défenseurs des libertés académique et scientifique, nous appelons solennellement l’ensemble des acteurs du savoir à se mobiliser pour défendre ces libertés, valeurs essentielles à nos démocraties. Cet ensemble inclut évidemment les scientifiques ainsi que les organisations représentant la communauté académique (académies, institutions médicales, sociétés savantes, syndicats, etc.), mais aussi les acteurs de la transmission : enseignants, étudiants, professeurs – de la maternelle à l’université –, médiateurs et journalistes scientifiques. »
Le texte met particulièrement l’accent sur « l’importance des faits scientifiques, notamment pour la santé, la compréhension des inégalités sociales, les défis climatiques et la biodiversités ». « Ce qui se joue aujourd’hui aux États-Unis pourrait bien préfigurer ce qui nous attend si nous ne réagissons pas à temps », préviennent d’ailleurs les signataires parmi lesquels la virologue Françoise Barré-Sinoussi, l’historien Patrick Boucheron, le climatologue Christophe Cassou, l’épidémiologiste Dominique Costagliola, l’économiste Esther Duflo, le biologiste Alain Fischer, le mathématicien Cédric Villani, l’anthropologue Alexandra Lavrillier, les économistes Thomas Piketty et Michaël Zemmour, etc.
Diversité : l'EATG interpelle la firme pharmaceutique GSK
À la suite d’autres grandes entreprises américaines, la firme pharmaceutique GSK (dont le siège est pourtant en Grande-Bretagne) a récemment annoncé suspendre sa politique de diversité (inclusion, protection des minorités, égalité, etc.) au sein de l’entreprise. Cette annonce a pris la forme d’un court passage dans le Rapport annuel 2024 de GSK (page 47) : « À l’avenir, nous apporterons des changements dans plusieurs domaines liés à l’inclusion et à la diversité afin de garantir le respect continu de la loi et de notre environnement opérationnel, notamment en ne fixant plus d’objectifs ambitieux pour nos programmes de leadership et de fournisseurs. »
Ce changement de pied se fait dans un contexte de pression créé par la nouvelle administration Trump qui entend mettre à bas les politiques de diversité, y compris dans les entreprises privées. De fait, lorsqu’une entreprise met en place une politique de diversité, elle fait souvent l’objet d’un appel au boycott, voire de pressions administratives ou de dénonciations officielles. Ces derniers mois, des entreprises majeures comme Walmart (le premier employeur privé aux États-Unis), Ford, Disney, McDonald's, Meta, Jack Daniel's, Boeing ou encore Google, ont renoncé en partie ou en totalité à leur politique DEI (Diversité, Équité, Inclusion). Cette stratégie est un des outils de l’offensive « anti-woke » menée depuis des années aux États-Unis pour les conservateurs-rices américains-es et largement mise en avant durant la campagne de Trump. Ce mouvement s’est amplifié à la suite de la décision de la Cour suprême en 2023 d'abolir les programmes de discrimination positive à l'université, un des acquis de la lutte pour les droits civiques des années 1960. Des groupes conservateurs, particulièrement actifs et soutiens de Trump, ont utilisé cette décision pour lancer de nombreuses procédures judiciaires contre des entreprises ou des institutions publiques pour qu'elles arrêtent leurs programmes visant à mettre fin aux discriminations historiques des minorités.
Dans un communiqué, l’EATG (European AIDS Treatment Group) critique sévèrement ce choix de GSK qui va « complétement à l’encontre des plans précédemment annoncés pour améliorer la santé mondiale et la recherche clinique ». Et le collectif d’expliquer que GSK est une importante société pharmaceutique mondiale « qui ne peut certainement pas réagir aux caprices d’un seul pays [États-Unis, ndlr] de cette manière ». L’EATG se dit « consterné » par cette décision et demande à GSK de faire machine arrière. « En tant qu'organisation axée sur la lutte contre le VIH, nous rencontrons régulièrement des sociétés pharmaceutiques actives dans ce domaine et dans d'autres domaines connexes. Cela inclut ViiV Healthcare, un partenariat multi-entreprises dans lequel GSK détient la majorité des parts (…) [Nous rappelons] que GSK est une entreprise basée en Grande-Bretagne, dont le siège social se trouve à Londres. En tant que telle, elle n’est pas soumise à la juridiction américaine. Par extension, GSK n’est pas non plus soumise aux décrets présidentiels américains. Vous êtes cependant soumis aux lois britanniques sur l’égalité », dénonce l’EATG qui se demande comment GSK réussit à suspendre cette politique de diversité sans contrevenir à la législation britannique sur la discrimination et le travail ?
Et l’EATG d’affirmer : « Nous exigeons donc que GSK poursuive son travail sur la diversité. Nous exigeons également de savoir si cette suspension péremptoire du travail sur la diversité s'étend à ViiV Healthcare. Si vous appliquez cette décision à ViiV Healthcare, veuillez expliquer sa portée dans l'entreprise et comment vous comptez l'exercer. Nous avons déjà demandé à ViiV Healthcare de répondre à cette question par une lettre du 14 février et attendons une réponse. Nous exigeons de vous une assurance (…) que votre application des ordonnances américaines en dehors des États-Unis n'a aucun impact sur la conduite des essais cliniques, sur la collecte de données et sur la diffusion des résultats des essais/études, de quelque manière et à quelque degré que ce soit. »
"L'Amérique d'abord, la santé mondiale en dernier !" : quand l'EATG dénonce la politique de santé de Trump
Fin janvier, le Groupe européen de traitement du sida (EATG) a réagi dans un communiqué sur les décisions de l’administration Trump relatives à l’aide internationale au développement (Usaid) et au plan de lutte contre le VIH, Pepfar.
Le texte de l’EATG indique que « l'administration américaine devrait dans tous les cas défendre les droits, la dignité et la liberté des populations vulnérables, notamment les migrants-es, les personnes transgenres, les personnes vivant avec le VIH et celles appartenant aux populations clés » ; ce qui n’est désormais plus le cas comme on le voit depuis les décrets signés dès le 20 janvier.
De fait, dès son arrivée, Donald Trump a signé une série de décrets qui ont un impact considérable sur les politiques de santé mondiale et sur la réponse au VIH/SIDA. On peut citer parmi les plus importants :
- le gel de tous les financements de l’aide étrangère américaine pendant 90 jours, affectant directement des programmes comme le Pepfar ;
- le retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ;
- le rétablissement de la « règle du bâillon mondial », qui affecte fondamentalement les droits en matière de santé sexuelle et reproductive.
Cette règle, dite « Global gag rule », avait été supprimée par Joe Biden ; Trump l’a rétablie. Elle interdit à toutes les ONG internationales qui reçoivent un financement américain de fournir un accès à l'avortement aux femmes le désirant ou même seulement de leur donner des informations à ce sujet ;
- le démantèlement des dispositions relatives à la diversité, à l’équité et à l’inclusion (DEI), qui affectent, entre autres, la recherche clinique.
« Ces décisions prises par les pouvoirs publics ont créé des incertitudes importantes dans les initiatives de santé mondiale, indique l’EATG. Ce changement de politique aux États-Unis ouvre la voie au reste du monde. Il existe certes des financements bilatéraux de l’Union Européenne y compris dans la lutte contre le sida, mais ils diminuent selon l’EATG ― à l’exception du Fonds mondial, de l’expertise française et du financement allemand de la GTZ. Pour l’EATG, les « pays européens [doivent] accroître leurs contributions et leur soutien à la réponse mondiale au VIH/sida », notamment pour pallier le désengagement américain. Dans son communiqué, le Groupe européen de traitement du sida souligne, aussi, que le « gel du financement américain aura des effets dévastateurs sur l’Ukraine, qui connaît la deuxième plus grande épidémie de VIH parmi les pays européens de l’OMS. « Nous pensons que dans les circonstances actuelles, l’UE doit proposer des solutions pour faire face à la situation en Ukraine, notamment si certains aspects du financement du Pepfar restent en dehors de la dérogation humanitaire d’urgence établie par le gouvernement américain le 29 janvier dernier. La nouvelle doctrine américaine, y compris en matière de politique étrangère, est « America First ». Cela se traduit aujourd’hui par un processus de révision complet des politiques publiques américaines dirigées vers l’étranger, dont l’aide au développement. Le choix a été fait de geler tous les financements de l’aide étrangère américaine pendant 90 jours, durant cette « révision », mais probablement ce sera plus long, voir définitif pour de nombreux projets. Comme le pointe l’EATG, plusieurs sections du décret concernant ce gel « compromettent ou annulent les contributions des États-Unis au maintien de la santé mondiale ». En effet, le gel concerne différents programmes dont le Pepfar (Plan d’urgence du président pour la lutte contre le sida). Fin janvier, Marco Rubio, secrétaire d’État américain, l’équivalent du ministre des Affaires étrangères, a annoncé une dérogation temporaire pour raisons humanitaires d’urgence, concernant 55 pays. Elle doit permettre aux personnes vivant dans les pays concernés de continuer à accéder à un traitement vital contre le VIH. Mais cette dérogation temporaire a été assortie de différentes restrictions concernant l’avortement, le genre, la diversité, les personnes transgenres, les actions et programmes non vitaux, etc. Autant dire qu’elle rend tout confus et qu’elle renforce l’incertitude quant elle ne créé pas des discriminations et des injustices. Par exemple, l’aide financière prolongée ne peut pas financer les coûts administratifs liés à la distribution de médicaments ARV, alors que c’était le cas avant.
Dans son analyse, l’EATG dit rester « catégorique » sur le « rôle essentiel et l'héritage du Plan d'urgence du président pour la lutte contre le sida dans la réponse au VIH/sida ». Le groupe rappelle que ledit plan a sauvé plus de 26 millions de vies dans plus de 50 pays, empêché des millions d’infections par le VIH et transformé la pandémie de VIH/sida d’une urgence sanitaire en une épidémie contrôlée, permettant à plusieurs pays d’atteindre et même de dépasser l’objectif 95-95-95 de Onusida. Aujourd’hui, le Pepfar permet de traiter le VIH pour quelque 20 millions de personnes dans le monde, dont plus de 550 000 enfants. La réduction des financements (même temporaire) mettra en « danger les organisations communautaires, les réseaux et les programmes de santé et de développement qui sauvent des vies, réduisant à néant des décennies de progrès dans la lutte contre le VIH/sida », affirme le collectif.
Ce dernier critique sévèrement la signature du décret qui rétablit la règle dite du « bâillon mondial » qui interdit donc aux organisations étrangères qui reçoivent l’aide américaine de « fournir, de recommander ou de promouvoir des services d’avortement, que des fonds non américains soient utilisés ou non pour de telles activités ». Autrement dit, une ONG œuvrant dans la lutte contre le sida et la santé sexuelle ne pourrait pas percevoir l’aide américaine pour le VIH, si elle mène des projets de santé sexuelle comprenant les IVG, même si ces projets sont financés par des fonds européens, par exemple. L’EATG et ses membres réitèrent que la « réimposition de cette règle aura des conséquences désastreuses sur la réponse au VIH à l’échelle mondiale »
« Ces mesures prises par les dirigeants [américains, ndlr] ont créé des incertitudes considérables dans les initiatives en matière de santé mondiale. Dans les mois à venir, l’ampleur et la portée du changement de politique américaine en matière de santé mondiale continueront de s’accroître, affectant et influençant d’autres gouvernements. Néanmoins, cette situation exige une unité et un leadership que les gouvernements et les pays du monde entier peuvent intégrer en déplaçant leur attention et leurs ressources vers le secteur de la santé », conclut l’EATG.
En bref, d'autres infos Monde
La France veut intensifier la défense des droits des femmes dans le monde
La France a annoncé vendredi 7 mars le lancement d’une « stratégie » pour les années 2025-2030 destinée à faire monter en puissance sa « diplomatie féministe » dans le monde. Le ministère des Affaires étrangères avait adopté en 2019 ce concept qui consiste à placer les droits des femmes et l’égalité entre femmes et hommes au coeur de la politique étrangère, sans toutefois adopter une vraie feuille de route, rappelle l’AFP. Cette stratégie n’a pas d’objectifs chiffrés, mais elle doit permettre « d’intensifier la contribution de la France aux initiatives visant la promotion et la défense des droits des femmes » que ce soit dans le cadre d’instances internationales ou via des organisations travaillant en faveur des femmes et des filles. « Cette stratégie, c’est un changement de paradigme, d’envergure et de périmètre. Ça va permettre d’intégrer les enjeux d’égalité dans notre politique extérieure », a résumé une source diplomatique, citée par l’AFP.
« L’idée c’est de porter des "lunettes de genre" pour regarder notre politique extérieure et que tous les agents, que ce soit à Paris ou dans une ambassade, dans l’ensemble du réseau, intègrent les enjeux d’égalité dans leurs fonctions », a-t-elle ajouté. Concrètement, la France va continuer de contribuer financièrement à diverses initiatives dont le fonds de soutien des organisations féministes. Depuis 2020, la France a contribué à ce fonds de soutien à hauteur de 254 millions d’euros, à destination de plus de 1.400 organisations dans plus de 73 pays. Une quinzaine de pays dans le monde sont dotés d’une diplomatie féministe.
Londres juge son système de protection sociale "trop cher"