L'Actu vue par Remaides : « Rémission du VIH : un nouveau cas en France »
- Actualité
- 16.01.2025
© Studio Capuche
Par Fred Lebreton
Rémission du VIH : un nouveau cas en France
Une huitième personne semble être en rémission du VIH après avoir reçu une greffe de cellules souches dans le cadre d’un traitement contre le cancer. L’info, passée un peu inaperçue, a été révélée par un poster présenté lors de la conférence HIV Drug Therapy à Glasgow (Royaume-Uni) en novembre dernier, et reprise dans un article publié sur le site américain Poz. La rédaction de Remaides a interrogé la Dre Olivia Zaegel-Faucher, praticienne hospitalière de médecine générale spécialisée dans le VIH au CISIH, service de la Dre Sylvie BREGIGEON, CHU Sainte Marguerite à l’AP-HM (Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille) sur ce nouveau cas, le premier en France.
Sans traitement VIH depuis un an, une « révolution » pour la patiente
Dans un entretien accordé le 10 janvier à la rédaction de Remaides, la Dre Olivia Zaegel-Faucher s’exprime pour la première fois sur ce nouveau cas qu’elle suit dans son service à Marseille. Il s’agit d’une femme, qui souhaite rester anonyme pour l’instant, âgée d’une cinquantaine d’années et diagnostiquée séropositive en 1999. En 2020, elle a été diagnostiquée d’une leucémie myéloïde aiguë, (LMA), une maladie rare qui touche principalement les personnes âgées. Il s'agit d'un cancer du sang et de la moelle osseuse qui évolue rapidement en l'absence de prise en charge thérapeutique. En juillet 2020, elle a reçu une greffe de cellules souches issues d’un donneur porteur de la double mutation CCR5-delta32. Avant la greffe, elle suivait un traitement antirétroviral avec une charge virale indétectable. Son taux de CD4 était bas, 250 CD4/mm3. Après la greffe, aucune trace de VIH n’a été détectée dans son sang, et son taux de CD4 a nettement augmenté, atteignant environ 1300 CD4/mm3. Elle a interrompu son traitement en octobre 2023, et un an plus tard, aucun rebond viral n’avait été constaté.
« Dès le début, il y a eu cette idée de faire cette greffe avec ce donneur qui avait cette mutation du gène CCR5 delta-32. Le challenge était de savoir si, comme le patient de Berlin, notre patiente serait, elle aussi, en cure fonctionnelle », explique la Dre Olivia Zaegel-Faucher. Comment se sent la patiente aujourd’hui ? « Elle va très bien aujourd’hui. Tout le suivi et la prise en charge de sa leucémie depuis 2020 ont été des années très difficiles pour elle parce que les traitements ont été très lourds sur le plan oncologique [sur le plan du traitement du cancer, ndlr]. Elle est passée en réanimation et elle a subi plusieurs complications infectieuses », souligne la médecin.
« Aujourd’hui, nous sommes à un an de l'arrêt des traitements antirétroviraux, son allogreffe [procédure médicale dans laquelle un organe, un tissu ou des cellules sont prélevés sur un-e donneur-se et transplantés à un-e receveur-se, ndlr], est toujours indétectable et sa charge virale VIH est toujours indétectable aussi. La patiente a pris cette nouvelle comme une révolution. C'est une personne qui est infectée par le VIH depuis 1999. Elle était conditionnée au fait qu'elle allait vivre avec cette maladie toute sa vie. Le jour où nous lui avons expliqué qu’elle était dans une situation de guérison fonctionnelle et que, pour l’instant, elle n’avait plus besoin des traitements antirétroviraux, ça a été une journée lumineuse pour elle. C'était vraiment porteur d'espoir. »
La Dre Olivia Zaegel-Faucher revient sur le processus qui a amené l’équipe médicale a proposé un arrêt du traitement antirétroviral à la patiente greffée : « La décision d’arrêter le traitement a été un processus assez long. Nous en avons longuement discuté à la fois dans les consultations médicales et aussi en réunions pluridisciplinaires, parce que vous imaginez que ce sont des cas assez complexes, et exceptionnels. J'ai sollicité l'avis de mes autres confrères-consœurs, virologues, oncologues, chercheurs, etc. Il s’agit vraiment d’une décision collective. La question était de lui faire arrêter le traitement sans la mettre en danger et en lui proposant un protocole de suivi qui soit adapté et qui permette vraiment de réagir rapidement si jamais il y avait un rebond virologique. C'est arrivé fréquemment dans des cas d'interruption de traitement. On n'est jamais sûr que ça se maintienne dans le temps et parfois ce sont les premières semaines ou les premiers mois qui sont décisifs. Il faut vraiment mettre en place une surveillance attentive, une semaine au début et puis après tous les 15 jours et puis avec le temps, des rendez-vous un peu plus espacés. »
Qui sont les autres cas ?
Nous comptabilisons à ce jour huit cas documentés de rémission du VIH depuis 2008 (en incluant désormais ce nouveau cas en France). Qui sont les sept autres personnes ? Les voici par ordre chronologique de leur annonce publique :
- Novembre 2008 : Timothy Ray Brown dit le « patient de Berlin
En 1995, l’Américain qui vit à Berlin apprend qu’il a contracté le VIH. Il est suivi médicalement. En 2006, on lui diagnostique une leucémie. Pour le soigner de ce cancer, son médecin, Gero Hütter (université de Berlin), lui propose une greffe de cellules souches d'un donneur qui a une mutation génétique rare lui conférant une résistance naturelle au VIH. Timothy Ray Brown décède le 29 septembre 2020, à l'âge de 54 ans, des suites d’un cancer (sans lien avec le VIH qui n’est jamais revenu). Il a longtemps été (parfois malgré lui) le symbole du « HIV cure » (guérison du VIH). Les dernières années avant son décès, il a beaucoup milité pour faire progresser la recherche sur le cure.
- Mars 2020 : Adam Castillejo dit le « patient de Londres »
Il vivait avec le VIH depuis neuf ans lorsque ses médecins lui ont diagnostiqué une leucémie en 2012. Adam Castillejo est entré en rémission du VIH après avoir reçu une greffe de moelle osseuse pour son lymphome de la part d’un donneur porteur d'une mutation génétique rare. Grâce à la greffe, son organisme a recréé un système immunitaire résistant au virus. La méthode est similaire à celle utilisée sur Timothy Ray Brown.
- Février 2022 : La « patiente de New York »
Dans ce troisième cas présenté à la Croi 2022, il s’agit, pour la première fois, d’une femme vivant avec le VIH (diagnostiquée en 2013) et atteinte d’une leucémie depuis 2017. Cette patiente a subi une greffe de cellules souches du sang du cordon ombilical, qui sont plus largement disponibles que les cellules souches adultes utilisées dans les greffes de moelle osseuse. Les cellules souches des cordons ombilicaux n’ont pas non plus besoin d’être aussi étroitement appariées au receveur que les cellules de la moelle osseuse. Dans le cadre de son traitement contre la leucémie, la patiente avait également reçu un traitement à partir du sang de cordon ombilical pour son cancer d’un donneur partiellement compatible et du sang d’un proche parent. Un an après cette greffe, la patiente de New York était en rémission virale du VIH et plus aucune trace du virus n’a été détectée chez elle depuis. En février 2022, elle n'était plus sous traitement ARV depuis 14 mois, sa charge virale était indétectable, ses CD4 étaient stables et ses anticorps étaient devenus négatifs au VIH. Sa leucémie était également en rémission.
- Juillet 2022 : Paul Elmonds dit « le patient de City of Hope »
Celui que l’on nomme le « patient de City of Hope » (du nom du centre de cancérologie californien où il est traité) est un homme gay, séropositif et atteint d’un cancer du sang. Comme les autres cas, ce patient a bénéficié d’une greffe de cellules souches qui a renouvelé son système immunitaire. Les cas décrits ont tous un point commun : leur donneur-se présentait une mutation rare d’un gène dit CCR5 delta-32. Elle rend le système immunitaire résistant aux principales souches du VIH. Le patient de City of Hope a ainsi reçu en 2019 une greffe de moelle osseuse. Deux ans plus tard, il cessait de prendre ses antirétroviraux ; le VIH étant devenu indétectable dans son organisme. Ce cas est intéressant dans le sens où ce patient, âgé de 67 ans, vit avec le VIH depuis plus de trente ans. Il est, à ce jour, le patient le plus âgé à avoir été « guéri » virologiquement et cela montre donc qu’une rémission par greffe de cellules souches peut bénéficier à une personne relativement âgée.
- Février 2023 : Marc Franke dit le « patient de Düsseldorf »
Le 20 février 2023, la revue scientifique Nature publie un article sur un nouveau cas de « guérison » suite à une greffe de moelle osseuse à partir de cellules de donneurs résistants au VIH. Celui qu’on surnomme le « patient de Düsseldorf » (Allemagne) était séropositif au VIH et souffrait d’une leucémie. Résistant à tous les traitements, ses médecins ont cherché un-e donneur-se de moelle osseuse portant une mutation génétique qui empêche naturellement le VIH d'entrer dans les cellules, la mutation génétique CCR5 delta-32. Cette greffe a été un vrai succès contre la leucémie et contre le VIH. Quatre ans après l’arrêt total de ses traitements anti-VIH, le patient de Düsseldorf n'avait plus aucune trace du VIH détectable.
- Juillet 2023 : Romuald dit le « patient de Genève »
Ce nouveau cas a été présenté lors de la conférence IAS le 24 juillet 2023. Romuald vit avec le VIH depuis le début des années 1990 et a toujours suivi un traitement antirétroviral. En 2018, pour traiter une forme particulièrement agressive de leucémie (cancer du sang), il a été soumis à une greffe de cellules souches. Un mois après la greffe, les tests ont montré que les cellules sanguines de Romuald avaient été entièrement remplacées par les cellules du donneur, ce qui a été accompagné par une diminution drastique des cellules qui portaient le VIH. Le traitement antirétroviral a été progressivement allégé et définitivement arrêté en novembre 2021. La particularité de Romuald, suivi à Genève (Suisse), réside dans le fait que la greffe a été issue d’un donneur non porteur de la fameuse mutation CCR5 delta 32. Ainsi, contrairement aux cellules des autres personnes considérées guéries, les cellules de cette personne restent « permissives » au VIH. Au moment de notre interview avec Romuald en décembre 2023, sa charge virale était toujours indétectable deux ans après l’interruption de son traitement antirétroviral.
- Juillet 2024 : Le nouveau « patient de Berlin »
Cette personne a choisi, pour le moment, de rester anonyme ; mais nous pouvons dire qu'il s’agit d’un homme de 60 ans vivant avec le VIH depuis 2009 à Berlin. Cette personne a été atteinte d’une leucémie myéloïde aiguë. Il a reçu une greffe de cellules souches en octobre 2015. Puis, en septembre 2018, trois ans après sa greffe, il a cessé, en concertation avec l’équipe médicale qui le suit, de prendre son traitement antirétroviral. Environ cinq ans et demi plus tard, le VIH reste indétectable dans le plasma. Cette personne est donc considérée comme étant en rémission du VIH. Un point clé distingue ce cas des autres cas de rémissions du VIH rapportés précédemment. Habituellement, dans les cas de rémission, les donneurs de cellules souches avaient hérité de deux copies d'un gène muté du CCR5, une de chaque parent, les rendant immunisés contre le VIH (on les appelle homozygotes). Un homozygote a deux copies identiques d'un gène, tandis qu'un hétérozygote a deux copies différentes. Dans ce cas, le donneur n'avait qu'une seule copie du gène défectueux (il était hétérozygote). Les hétérozygotes sont plus courants que les homozygotes. Bien qu'ils puissent contracter le VIH, le virus progresse généralement plus lentement sans traitement ARV.
« Un effort collectif international pour étudier ces cas exceptionnels »
Que nous disent ces cas exceptionnels de rémission VIH et quels espoirs suscitent-ils ? « Ce sont des cas qui font avancer la recherche », estime la Dre Olivia Zaegel-Faucher.
« Il faut savoir qu’il existe un consortium international qui s’appelle Icistem [International Collaboration to guide and investigate the potential for HIV cure by Stem Cell Transplantation, ndlr] qui recueille tous les cas de guérisons fonctionnelles. Il a publié plusieurs articles notamment avec le Pr Asier Sáez-Cirión de l’Institut Pasteur. Ils font des analyses poussées au niveau immunologie pour essayer de comprendre les mécanismes de ces rémissions. On aimerait pouvoir prédire quel patient va guérir et peut bénéficier d'une guérison fonctionnelle, dans quel cas ça peut être fait et dans quel cas on va s'exposer à un échec. Après, il faut garder en tête que ce sont des cas qu'on ne peut pas proposer aux personnes vivant avec le VIH qui n'ont pas d’hémopathies malignes [les leucémies, les syndromes myélodysplasiques et les lymphomes, ndlr] parce que les traitements de pré-greffe, ce sont des chimiothérapies lourdes qui imposent des chambres stériles, beaucoup de complications, y compris des complications infectieuses et des hospitalisations longues. Ce sont des risques et des traitements bien plus lourds que la prise d'un traitement antirétroviral en un comprimé par jour avec peu d’effet indésirables », objecte la Dre Olivia Zaegel-Faucher.
Et la médecin de conclure : « Tant qu'on n'aura pas déterminé quels sont les éléments qui peuvent prédire et garantir une guérison fonctionnelle à 100 %, pour l'instant, on ne peut pas en faire quelque chose de systématique. Mais il y a quand même un effort collectif international pour étudier ces cas exceptionnels et essayer de pousser la recherche plus loin, d'aller vraiment plus vite que ce qu'on a fait juste ici. Je crois beaucoup à cette recherche. »