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    L’Actu vue par Remaides : « Préserver la mémoire des vétérans du VIH : le combat de Cleve Jones… et Cie »

    • Actualité
    • 20.12.2024

    couv cleve Jones

     

    La couverture de Poz avec Cleve Jones (© POZ)

    Par Fred Lebreton

    En Une du numéro de décembre de Poz magazine, Cleve Jones, militant historique de la lutte contre le VIH aux États-Unis. Face à l'oubli, il se lance dans un projet d'envergure : recueillir les récits des premières générations de vétérans-tes du VIH/sida. Alors que ces témoins disparaissent peu à peu, l'objectif est de préserver cette mémoire collective et d'apporter un soutien aux vétérans-tes, souvent marginalisés-es. À travers des initiatives comme The Reunion Project, portées par de nombreuses figures militantes, ces voix trouvent un espace pour se raconter, célébrer leur résilience et préparer l'avenir. La rédaction de Remaides fait les présentations.

    Cleve Jones, gardien de la mémoire du VIH/sida aux Etats-Unis

    Cleve Jones (70 ans) est un activiste américain ouvertement gay et séropositif. En 1982, au tout début de la pandémie de VIH, il a cofondé la San Francisco AIDS Foundation, qui est, aujourd'hui, l'une des organisations de plaidoyer parmi les plus importantes et les plus influentes pour soutenir les personnes vivant avec le VIH aux États-Unis. En 1985, le militant a eu l'idée du AIDS Memorial Quilt [le Patchwork des noms américain] lors d'une veillée aux chandelles en mémoire de Harvey Milk, personnalité politique américaine et militant ouvertement gay assassiné, qu’il a connu. Puis, en 1987, il créé le premier panneau de patchwork, en hommage à son ami Marvin Feldman. Le AIDS Memorial Quilt est devenu le plus grand projet d'art communautaire au monde, rendant hommage à la vie de plus de 85 000 personnes décédées des suites du VIH/sida.
    Infatigable, Steve Jones s’est lancé dans un nouveau projet. Ce travail, en collaboration avec la San Francisco AIDS Foundation et The Reunion Project (TRP), vise à recueillir une mémoire collective avant que les témoins de cette époque ne disparaissent. Intitulée provisoirement « Nous vivons : voix des premières générations à avoir survécu au VIH/sida », cette anthologie répond à une double urgence : rendre hommage au passé et préparer l'avenir face à d'éventuelles pandémies.

    Des vétérans-tes confrontés-es à l'oubli et aux défis du vieillissement

    Auparavant, le terme « vétérans du VIH » (en anglais « long-term survivors »), définissait les personnes diagnostiquées avant 1996 (l’arrivée des trithérapies efficaces), soit environ 300 000 des 1,2 million de personnes vivant avec le VIH aux États-Unis. Aujourd’hui, cette définition a été élargie aux personnes qui vivent avec le VIH depuis au moins dix ans (aux États-Unis). Pourtant, cette population se sent souvent marginalisée, perçue comme un vestige d’une époque révolue. À cela s'ajoutent des défis complexes : solitude, deuil, culpabilité de (sur)vivre, dépression, instabilité financière et problèmes de santé liés au vieillissement. Paradoxalement, alors que les avancées médicales comme la Prep facilitent la prévention, ces vétérans-tes doivent souvent lutter contre l’isolement social. Statistiquement, ils-elles ne sont pourtant pas seuls-es : plus de la moitié des personnes vivant avec le VIH aux États-Unis ont aujourd'hui plus de 50 ans ; un chiffre qui devrait atteindre 70 % d'ici 2030. Cette réalité nécessite une approche renouvelée, célébrant leur résilience tout en offrant un soutien concret.

    The Reunion Projet : un espace pour se reconstruire

    Créé en 2015 par Jeff Berry et Matt Sharp, The Reunion Project (TRP) est un réseau conçu pour tisser des liens entre vétérans du VIH à travers des forums en ligne et en présentiel. Avec 2 500 membres et une équipe dédiée, l’organisation offre des groupes d’auto-support, rappelant aux personnes qu’elles ne sont pas seules. À travers des témoignages, des débats et des moments de convivialité, TRP cherche à transformer la douleur en solidarité. L’une des inspirations pour TRP a été le décès, en 2012, de Spencer Cox, un militant qui a succombé aux conséquences de l’isolement et aux addictions. Cet événement tragique a mis en lumière l’impact des traumatismes passés sur la santé mentale des vétérans-tes du VIH.

    Des récits individuels au service d'une mémoire collective

    TRP inclut des voix diverses, comme celles de Jasmine Davis et Kyra Kincaid, deux femmes trans noires vivant avec le VIH dans le Sud des États-Unis. Lors d'un événement régional à La Nouvelle-Orléans en 2023, elles ont partagé leur expérience et organisé des ateliers thérapeutiques pour d'autres vétérans-tes. Parmi les activités marquantes, un exercice consistait à adresser des paroles bienveillantes en tenant un cœur en bois portant le nom d’un-e autre participant-e. Ce geste symbolique a renforcé les liens et rappelé la valeur du soutien mutuel. Pour Cleve Jones, ce travail de préservation historique va au-delà de la commémoration. Il espère que l’anthologie permettra aux générations futures de tirer des enseignements du passé. « Si je peux mener un dernier grand projet dans ma vie, ce sera celui-ci », déclare-t-il à Poz. Comme pour le Musée de l’Holocauste, il s’agit de recueillir une mémoire avant qu’elle ne s’efface, tout en rendant hommage à la lutte collective et aux combats individuels des vétérans.

    La lutte pour la reconnaissance et un vieillissement digne avec le militant  Sanford Gaylord

    Autre vétéran, Sanford Gaylord, acteur, écrivain et activiste VIH à Chicago, décrit les vétérans-tes du VIH de longue date comme « la plus grande génération », ayant traversé l’une des batailles les plus intenses de l’histoire moderne. Diagnostiqué séropositif en 1989, il partage son expérience et celle des autres à travers des projets comme HIV and the Journey Toward Zero, une série documentaire explorant les récits de personnes vivant avec le VIH, notamment des figures emblématiques comme Rae Lewis-Thornton. Les vétérans-tes abordent des thématiques universelles et poignantes : la culpabilité de (sur)vivre, la quête de sens après tant de pertes, ou encore l’importance de reconnaître les traumatismes tout en valorisant les bienfaits de la thérapie. Sanford Gaylord souligne la nécessité de leur accorder : écoute, respect et soutien ; particulièrement à mesure qu’ils-elles vieillissent. Pour beaucoup, les défis financiers et l’absence de proches accentuent la vulnérabilité. Le militant cite les appartements Town Hall à Chicago, un complexe LGBTQ-friendly offrant des logements abordables, comme exemple de solution adaptée aux besoins des seniors-es LGBTQ. Des initiatives comme la loi Ryan White CARE Act et des programmes locaux répondent partiellement à ces enjeux, mais davantage d’efforts sont nécessaires pour garantir un vieillissement digne à ces vétérans-tes du VIH. Ces récits et projets rappellent que la mémoire collective doit inclure ces héros et héroïnes méconnus-es et que des actions concrètes sont indispensables pour leur offrir le respect et le soutien qu’ils-elles méritent.