L'actu vue par REMAIDES : "Réforme de l’AME : des inquiétudes en suspens"
- Actualité
- 21.05.2024
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Par Jean-François Laforgerie
Réforme de l'AME : des inquiétudes en suspens
En suspens. Les menaces n’ont pas disparu concernant l’AME (aide médicale d’État). Bien sûr, le gouvernement s’est engagé à maintenir le dispositif (alors que la droite et l’extrême droite veulent sa fin), à la fois pour des impératifs de santé publique et des raisons économiques, mais l’exécutif a promis à la droite de modifier certaines dispositions. Il pourrait le faire par voie réglementaire d’ici l’été (et non plus via une loi comme il l’avait un temps envisagé), ce qui serait plus simple pour lui — on évite ainsi les débats et un vote. Désormais les inquiétudes portent sur les changements envisagés par le gouvernement.
La mobilisation continue
C’est la prudence qui est d’actualité concernant l’AME. De nombreuses associations de défense des droits des étrangers-ères et des associations de santé, dont AIDES, restent activement mobilisées sur un éventuel projet de réforme de l’aide médicale d’État. Sur le papier, la voie réglementaire pourrait paraître plus favorable au dispositif. En effet, le passage d’un projet de loi à l’Assemblée nationale et au Sénat, pouvait laisser augurer des débats pénibles et des « jeux de négociations douteuses » entre la droite et le gouvernement. Ce n’est pas une vue de l’esprit, puisque c’est exactement ce qu’il s’est passé lors des débats sur la loi Asile Immigration (loi du 26 janvier 2024) lorsque la droite a manœuvré pour faire passer des articles contre l’AME (version actuelle). Le gouvernement, coincé, faute de majorité, n’avait alors trouvé que la promesse d’une future loi sur l’AME, courant 2024, pour se sortir du piège. L’ancienne première ministre, Élisabeth Borne, s’était personnellement engagée dans un courrier adressé au président du Sénat, Gérard Larcher, sur une réforme de l’AME « en début d'année 2024 ». L’ancienne titulaire de Matignon expliquait alors : « J'ai demandé aux ministres concernés de préparer les évolutions réglementaires ou législatives qui permettront d'engager une réforme de l'AME. Comme vous l'avez souhaité, les parlementaires seront pleinement associés à ces travaux. Les évolutions nécessaires devront être engagées en début d'année 2024 ». On connait la suite, Élisabeth Borne est partie, remplacée par Gabriel Attal. Ce dernier annonçait le 30 janvier 2024 une réforme « avant l'été » et « par voie réglementaire »… sur la base du rapport commandé par sa prédécesseure à l’ancien ministre de la Santé (PS) Claude Evin et à l’ancien responsable LR Patrick Stéfanini.
Un rapport Evin-Stefanini qui inquiète
Dans sa première partie, le rapport analyse les conditions dans lesquelles l'AME est mise en œuvre (évolution du nombre de personnes bénéficiaires, consommation de soins, contrôles mis en œuvre, droits ouverts, etc.). Il examine aussi l'impact qu'entraînerait la substitution de l'AME par l'aide médicale d'urgence (AMU) votée par le Sénat le 14 novembre 2023. Cette mesure est défendue par la droite et l’extrême-droite et très largement contestée par une bonne part de la société civile et des professionnels-les de santé. Le rapport explique que le dispositif sanitaire actuel est « utile, maîtrisé pour l'essentiel mais exposé à l'augmentation récente du nombre de ses bénéficiaires ». Dans sa seconde partie, le rapport présente des pistes de réforme de l'AME. Elles s'articulent autour de quatre axes : le renforcement des mesures prises en matière de contrôles ; la réduction des ruptures de droits et l’amélioration de l'inclusion dans les parcours de soins ; le renforcement de la cohérence entre les politiques de l'État et enfin le renforcement du suivi des pathologies qui engagent la collectivité dans des soins chroniques et lourds. Côté société civile (dont AIDES), on s’inquiète de la prise en compte « par voie réglementaire » de certaines pistes qui pourraient créer des « restrictions dans l’accès aux soins des personnes étrangères en situation irrégulière ». Dans ce contexte, AIDES échange régulièrement avec les pouvoirs publics dans l’objectif de limiter l’adoption de mesures néfastes pour la santé des personnes vivant avec le VIH ou une hépatite virale.
Quelles sont les inquiétudes ?
AIDES en a plusieurs concernant des dispositions qui font actuellement l’objet de discussions dans l’exécutif. On peut citer la prise en compte des ressources du-de la conjoint-e dans le calcul des ressources financières d’admission à l’AME. Une déclaration en ce sens a été faite par le ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux, le 8 avril dernier. « Son adoption serait très inquiétante en termes de dépendance des personnes dans leur accès à la santé, notamment des femmes vis à vis de leurs conjoints », souligne AIDES. Autre mesure qui suscite des craintes : « Le durcissement des mesures de contrôle administratif, par exemple via la limitation des pièces justificatives permettant de prouver l’identité de la personne, [qui] risquerait d’aggraver le non-recours à l’AME ». Craintes aussi avec l’éventuelle « obligation du dépôt physique des demandes de renouvellement de l’AME au guichet des caisses de l’Assurance-maladie ». Freinant les personnes (les guichets sont déjà sous l’eau), cette mesure entraînerait une augmentation massive des dépôts tardifs des demandes. Cela aurait des conséquences, avec des renoncements aux soins. Enfin, le partage de données entre l’administration de l’assurance maladie et les services du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer est aussi une source d’inquiétude « au regard du caractère éminemment sensible des données relatives à l’AME », souligne AIDES.
Une pétition du milieu médical
La première slave avait été tirée en novembre 2023. Elle avait pris la forme d’une tribune, publiée dans Le Monde, signée par quelque 3 000 soignants-es, qui appelaient déjà au maintien de l’aide médicale d’État (AME). « Nous demandons le maintien de l’aide médicale d’État pour la prise en charge des soins des personnes étrangères », exigeaient alors les signataires, parmi lesquels-les Françoise Barré-Sinoussi (Prix Nobel de médecine en 2008), Jean-François Delfraissy (président du Comité consultatif national d’éthique) ; Anne-Laure Feral-Pierssens (cheffe du SAMU 93-Urgences des hôpitaux Paris Seine-Saint-Denis), Rémi Salomon (président de la conférence des présidents de commission médicale d’établissement de CHU) ou encore Nicolas Vignier (infectiologue, coordonnateur du groupe migrants et populations vulnérables de la Société de pathologie infectieuse de langue française). La tribune se concluait par un appel au gouvernement et aux élus-es à « renoncer à tout projet portant atteinte à l’AME ou venant restreindre son périmètre, et à conforter l’accès à une couverture maladie pour tous ». La première initiative et les suites auxquelles elle a donné lieu n’ont manifestement pas permis de rassurer le milieu des soignants-es, puisqu’ils-elles ont décidé, mi-avril, de publier dans Le Monde, une nouvelle tribune de défense de l’AME. « À la veille d’une réforme annoncée, nous, professionnels de santé, appelons à nouveau à la défense de l’AME contre toute réduction risquant de dégrader son contenu et, par extension, le système de soin français. Nous souhaitons rappeler que les personnes sans couverture maladie sont plus souvent que les autres prises en soins à des stades plus avancés, au risque d’augmenter la saturation du système de santé et le coût des soins », rappellent les signataires (collèges nationaux, conseils nationaux, sociétés savantes, syndicats de médecins, etc.). Ils-elles s’efforcent de battre en brèche les idées reçues sur l’AME, par exemple celle-ci : « Les données disponibles contredisent l’idée que l’AME est un facteur d’attractivité pour les candidats à l’immigration ».
Argumentée, efficace, cette tribune entend alerter « de nouveau » sur « le risque éthique, humain, mais aussi économique d’une nouvelle restriction de l’accès aux soins des personnes en situation irrégulière ». Et les signataires de conclure : « Conscients des enjeux de cette réforme, nous soutenons les mesures pour aller vers un système de santé plus universel et plus juste. Une santé dégradée coûte plus cher qu’une santé préservée, attelons-nous aujourd’hui à rendre les soins plus accessibles à tous ». Reste à espérer que ces principes et cette vision éclaireront l’exécutif. À suivre...
AME : les femmes précaires dans le collimateur du gouvernement ?
Comme on l’a vu, le gouvernement s'oriente vers une réforme de l’Aide médicale d’État par la voie réglementaire. C’est-à-dire via une série de mesures techniques, sans information de l’opinion publique, ni débat parlementaire et malgré les alertes des associations, dont celles réunies au sein de France Assos Santé (FAS). « Si le texte est adopté, il aura pour conséquence de priver de soins des dizaines de milliers de femmes étrangères en situation de précarité. Une stratégie qui interroge alors même que le gouvernement affirmait avoir hissé la défense des droits des femmes comme Grande cause nationale », constate le collectif. En décembre 2023, le gouvernement reconnaissait, par la voix de sa Première ministre d’alors, que « l’AME est un dispositif sanitaire utile, globalement maîtrisé et qu’il ne constitue pas en tant que tel un facteur d’incitation à l’immigration irrégulière dans notre pays ». L’exécutif envisage pourtant aujourd’hui « d’introduire une série de mesures d'apparence technique qui affecteraient tout particulièrement les femmes les plus précaires, qui étaient près de 193 000 à bénéficier de l’AME en 2023 », estiment FAS et ses partenaires (Emmaüs France, le Comede, la Cimade, la Fondation Abbé Pierre, La ligue des droits de l’homme, etc.) dans un communiqué.
Comme l’explique FAS, l’AME est réservée aux personnes gagnant moins de 847 euros par mois (pour une personne seule). « Le gouvernement veut désormais prendre en compte les ressources du conjoint (français ou étranger en situation régulière), si celui-ci est affilié à la sécurité sociale. Dans un couple où seule une personne est sans-papiers, celle-ci pourrait alors être privée de l’AME si son conjoint dispose de ressources dépassant le seuil. S’ajouterait à cela un durcissement de la justification de l’identité, qui entraînerait des conséquences désastreuses pour nombre de femmes victimes de violences qui se voient confisquer, voire détruire, leur document d'identité ou font face à un chantage aux papiers », explique le collectif. Celui-ci estime qu’avec une « telle réforme, promise par le gouvernement face aux pressions de la droite et de l’extrême-droite pendant les débats parlementaires sur la loi immigration et élaborée aujourd’hui à l’abri des regards, bon nombre de femmes étrangères risquent de ne plus pouvoir se soigner ». « Ces femmes, nos organisations les connaissent : elles présentent des risques accrus de précarité économique et sociale par rapport aux hommes. La pauvreté s’aggrave en France et, on le sait, touche plus violemment les femmes, qui étaient 4,9 millions sous le seuil de pauvreté en 2019 (Insee). Ces femmes menacées d'une exclusion des soins sont, par exemple, celles qui travaillent, à temps partiel, caissières de supermarché et aides à domicile, détentrices d’un contrat de travail pour un métier dit « essentiel », de manière déclarée avec paiement de cotisations sociales, sans qu’elles disposent d’un titre de séjour ou d’un justificatif d’identité en bonne et due forme. D’autres sont obligées de travailler sans être déclarées, ce qui les prive de l'assurance maladie ».
Et FAS d’avancer : « Ce sont aussi des femmes mariées à une personne française ou en situation régulière, en attente de régularisation depuis des mois, voire plusieurs années, notamment du fait d’innombrables difficultés administratives (impossibilité de prendre rendez-vous, absence de délivrance de récépissés ou d’attestation de prolongation de l’instruction, etc.). Ce sont également ces femmes victimes de violences sexistes : conjugales, intrafamiliales ou sexuelles, ou de chantages aux papiers, qui peinent à quitter leur conjoint disposant lui, d’un salaire, mais qui n’ont pas personnellement les moyens de financer un divorce, et qui restent de ce fait juridiquement liées à leur ex-conjoint. Nous savons que l’une des manifestations des violences conjugales est précisément la violence financière, l’auteur de violences maintenant sa partenaire sous sa domination, l’obligeant à lui demander de l’argent pour la moindre dépense, même personnelle ». Et de conclure : « Nos organisations refusent que des dizaines de milliers de femmes n’aient accès à aucune couverture maladie pour se soigner. Nous appelons le gouvernement à renoncer à cette réforme ».