Expulsions d'étrangers gravement malades : la santé des étrangers intéresse-t-elle encore le gouvernement ?
- Communiqué
- 19.03.2013
Kouamé a 35 ans. D’origine ivoirienne, il vit en France depuis 2005. Au cours d’un examen de routine en novembre 2011, il découvre sa séropositivité au VIH (dossier de presse)
En mars 2012, Kouamé dépose auprès de la préfecture de Seine-Saint-Denis une demande de titre de séjour pour soins, assortie d'un rapport médical en lien avec sa pathologie VIH.
Le 25 mai 2012, le Médecin de l'Agence Régionale de Santé (ARS) de Seine-Saint-Denis rend son avis : défavorable. Motif ? Les traitements VIH seraient "disponibles en Côte d'Ivoire" et l'état de santé de Kouamé serait "compatible avec une prise en charge dans son pays." Se conformant à cet avis, la préfecture enjoint Kouamé à quitter le territoire français sous 30 jours. Malgré deux recours en attente, Kouamé est toujours sous la menace de l'expulsion. Il vit dans la clandestinité, sans papiers et sans revenus, conscient qu'un retour en Côte d'Ivoire mettrait directement sa vie en danger.
Cet avis défavorable est pourtant en totale contradiction avec l'Instruction du Ministère de la Santé2, et en total décalage avec la réalité. En 2010, avant la guerre civile ivoirienne, seuls 37% des malades avaient accès au traitement VIH (chiffres OMS). Le manque d'infrastructures et l'instabilité chronique de pays comme la Côte d'Ivoire compromettent d'autant plus un suivi médical de qualité, pourtant indispensable dans le cas d'une pathologie aussi lourde que le VIH. Si Kouamé est expulsé en Côte d'Ivoire, il a - dans le meilleur des cas - une chance sur trois de survivre.
Soleymane, ressortissant angolais, a eu "moins de chance". Atteint d'un diabète de type 2 très avancé, il n'a pas pour autant échappé à l'expulsion. Le médecin de l'ARS du Nord a en effet considéré que sa prise en charge était possible en Angola, au mépris là encore des données de l'OMS et des directives du Ministère de la Santé3. Après six présentations à l'avion, plusieurs passages en rétention administrative et une incarcération pour refus d'embarquement, Soleymane est finalement expulsé vers l'Angola le 7 novembre 2012.
Kouamé et Soleymane sont tout sauf des cas isolés. Selon les situations documentées par les membres de l'ODSE partout en France, nous assistons depuis juillet 2012 à un durcissement sans précédent des conditions d'accès au droit de séjour des étrangers gravement malades. Chaque semaine, des femmes et des hommes atteints de pathologies extrêmement lourdes, résidant en France depuis plusieurs années, voient leurs droits les plus élémentaires déniés. Ils sont originaires du Cameroun, de République Démocratique du Congo, de Tunisie, de Côte d'Ivoire, du Burkina Faso, de Géorgie ou d'Angola. Poussés à bout par l’excès de zèle des préfectures, acculés à la clandestinité par peur de l'expulsion ou fragilisés par les interpellations et les placements en centre de rétention, ils sont aussi de plus en plus nombreux à être expulsés dans leur pays d'origine, sans la moindre garantie de prise en charge et d'accès aux traitements.
Pourquoi une telle dégradation ? La loi Besson du 16 juin 2011 est en grande partie responsable de cette situation. Portée par la branche la plus droitière de l'UMP et motivée par l'obsession du contrôle migratoire, cette réforme a vidé de sa substance le droit au séjour des étrangers malades. Elle a aussi jeté le discrédit sur un dispositif pourtant stable et encadré.
Mais depuis l'été 2012 et la mise en place du nouveau gouvernement, tout s'accèlère. Refus de renouvellement et procédures d'expulsion s'intensifient à un rythme sans précédent.
Qu'un gouvernement de gauche mette autant de zèle à faire appliquer une réforme de la droite populaire est pour le moins inattendu. C'est d'autant plus incompréhensible que le candidat Hollande considérait cette mesure comme "hypocrite" et s'était engagé à l'abroger après son arrivée au pouvoir.
Face à la gravité de la situation, après des mois d'alertes et d'interpellations vaines des pouvoirs publics, l'ODSE dénonce la défaillance irresponsable du Ministère de la Santé sur ce dossier. En refusant de faire appliquer avec fermeté les instructions de la DGS et de mettre fin aux dysfonctionnements préfectoraux, Marisol Touraine laisse toute latitude aux services de Manuel Valls pour assurer sa politique du chiffre sur le dos des étrangers malades.
L'ODSE fait part de son indignation et appelle le gouvernement à mettre fin sans délai à ces dérives. Les impératifs élémentaires de santé publique doivent primer sur les objectifs d'expulsions.
Enfin, nous appelons François Hollande à respecter ses engagements de campagne, à abroger la loi de juin 2011 et à engager une réforme structurelle afin de sortir de cette situation. A ce jour, aucun calendrier n'est avancé pour une réforme ambitieuse du droit des étrangers malades en France.
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