Santé sexuelle : un nouveau consensus chez les gays ?
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Aujourd’hui, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes sont plus de 200 fois plus exposés que les hétérosexuels. L’urgence est donc réelle.
Plus de 120 représentants et acteurs du monde LGBT se sont retrouvés ce week-end près de Roissy. A partir des données scientifiques et des nouveaux enjeux de prévention, les commerçants, militants associatifs, journalistes et experts en santé publique et médecins présents ont débattu afin de changer la donne et mieux travailler ensemble en matière de lutte contre le sida chez les gays. Mathieu Brancourt y était et a assisté aux échanges, qui doivent lancer une "ReLovution" dans la lutte contre le VIH, pour aller vers la fin de l’épidémie. Retour sur la conférence organisée par AIDES. Reportage.
Emmanuel Macron est en marche, la "ReLovution" aussi. Dès l’aube, à l’heure où la campagne du Mesnil-Amelot, qui jouxte l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, reste blanchie par le brouillard et les trainées des avions. Ils sont arrivés très tôt ou la veille. Patrons de saunas, de bars, de boîtes de nuit, coordinateurs de centres associatifs LGBT ou de la lutte contre le sida, responsables de sites Internet de rencontres, médecins généralistes, chercheurs ou encore acteurs et réalisateur de porno gay. De Lyon, Rennes, Marseille, Bordeaux, Niort, même de la Caraïbes ou des Etats-Unis. Une équipe de traducteurs est même dépêchée pour l’occasion. En cette fin octobre, l’association AIDES a voulu convier des acteurs de l’ensemble de la communauté gay et du territoire national et les mettre à la table des discussions pour la fin du sida chez les gays.
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Faire consensus
La première demi-journée fut celle de l’appropriation et de la vulgarisation de la prévention dites diversifiée, et la nouvelle donne qu’elle engendre : si on combine l’ensemble des outils à disposition (TasP, PrEP, dépistage, TPE, préservatifs, etc.), il est possible de stopper la dynamique des contaminations, encore très active chez les gays.
"Nous avons les moyens d’enrayer l’épidémie chez les gays. Ce week-end est conçu pour trouver une politique convergente pour tous les acteurs et les clefs pour que les acteurs y parviennent", a lancé en préambule Aurélien Beaucamp, président de AIDES. Le professeur Yazdan Yazdanpanah, chef de service des maladies infectieuses à l’Hôpital Bichat (Paris), a fait la revue de littérature et des connaissances accumulées depuis vingt ans dans le domaine. L’arrivée des traitements efficaces, puis le changement de paradigme avec la révélation de l’efficacité des traitements sur la contamination. L’avis suisse avec Bernard Hirschel et ses collègues en 2008, depuis maintes fois conforté, a permis aux personnes séropositives de sortir d’une logique de protection uniquement fondée sur le préservatif. La PrEP, autorisée depuis janvier 2016, a enfoncé le clou et permet aussi de rendre des gays très exposés aux risques d’être acteur de leur prévention. Cette nouvelle réalité de la lutte contre le VIH reste encore méconnue et n’impacte pas encore suffisamment pour donner des résultats concrets sur l’épidémie. Tout cela autour des outils déjà connus et reconnus, comme le dépistage et le préservatif. On sait que si ces stratégies sont combinées, elles permettront d’atteindre les objectifs de l’ONUSIDA (le 90-90-90) et une fin réelle de l’épidémie comme menace pour la santé publique d’ici 2030.
Santé sexuelle : la "reLovution" porte ce nom
Témoignage
La PrEP accessible à tous
"La PrEP n’est pas nécessairement pour tous, mais elle doit être accessible à tous et partout pour ceux qui en ont besoin"
France Lert, épidémiologiste responsable du rapport Vers Paris sans sida
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Les chiffres rappelés par Virginie Supervie, épidémiologiste à l’Inserm, montrent bien que les gays supportent de manière très déséquilibrée le poids de l’épidémie en France : 17 % de prévalence, près de la moitié des nouvelles contaminations (42 %) et 1% des gays deviennent séropositifs chaque année. Dès lors, débattre des enjeux spécifiques des gays devenait une nécessité, pour que chaque acteur puisse comprendre et trouver le rôle qu’il peut jouer pour mettre fin à cette épidémie. L’après-midi était donc consacrée à des ateliers thématiques sur des questions prégnantes chez les gays : l’émergence du chemsex (sexe sous produits), la prise en compte des minorités ethniques et la lutte contre l’homophobie et les autres discriminations ou la prévention 2.0 sur internet. Pour le chemsex, beaucoup de participants témoignent de leur ignorance sur un phénomène évolutif et qui les inquiète, notamment en termes d’actions de prévention ou de rôle à jouer. Comment faire en cas de problème dans son établissement sans mettre en danger la personne ou la structure, à cause de l’illégalité des produits consommés. Malgré les différences d’informations, tous s’accordent à créer et diffuser le maximum d’information. Le sujet doit émerger dans les structures LGBT, en allant vers les personnes qui pratiquent le chemsex pour ensuite travailler sur la prévention, qui sera fondée sur leurs expériences et témoignages, sans les stigmatiser. "Si on oublie les spécificités des gays pour les toucher, alors on ne touchera personne", explique Didier Jayle, médecin VIH et responsable éditorial du site VIH.ORG. Mais le concept de prévention combinée ou diversifiée reste assez nouveau et se heurte encore à des résistances ou des doutes. Dans les échanges, la PrEP focalise encore des tensions ou des critiques, quant aux effets sur l’utilisation du préservatif. "La capote doit rester au centre, c’est l’outil le plus efficace contre toutes IST", défendent encore certains. Pourtant, elle n’a pas réussi à stopper l’épidémie depuis 30 ans et ne peut donc rester l’unique axe. Tout comme le TasP, qui, à lui seul, ne suffira pas. "La PrEP n’est pas nécessairement pour tous, mais elle doit être accessible à tous et partout pour ceux qui en ont besoin, a défendu France Lert, épidémiologiste responsable du rapport Vers Paris sans sida", programme de la Mairie de Paris qui se veut précurseur d’une nouvelle approche globale et positive de la santé des personnes les plus vulnérables, dont les gays. C’est donc l’ensemble de la palette qui doit être promue et défendue par les acteurs de la communauté gay, pour se donner les moyens d’atteindre l’horizon de la fin des contaminations pour les HSH.
Se revoir localement avec d’autres
Pour cela, il fallait formuler des recommandations, voire des axes de travaux commun.
La ReLovution de ce week-end en appelle d’autres, à des échelons locaux et régionaux. Des demandes précises de création d’un socle d’information sur tous ces enjeux, accessible à tous et tous, a été formulé. Tout comme des axes de plaidoyer pour changer les législations et ainsi permettre à des membres extérieurs de s’impliquer dans la lutte : repenser la charte des établissements pour y intégrer la prévention des drogues, ou se battre pour que la PrEP puisse être prescrite par des médecins de ville, après une première consultation hospitalière. Les partenariats seront indispensables et un calendrier devra être mis en place pour s’assurer du suivi et de la mise en pratique des engagements et ne pas voir le soufflet et l’énergie. Les blocages et obstacles se dressent et le chemin périlleux. Dominique Ganaye, porte-parole de la Fédération LGBT, confie que dans sa région dijonnaise, de nombreux infectiologues, qui pourraient notamment délivrer de la PrEP, refusent de le faire. Au contraire, Louis Dales, médecin généraliste, aimerait pouvoir proposer et prescrire du Truvada en préventif à ces patients exposés au VIH, ce qu’il ne peut pas encore faire.
De nouveaux acteurs devront être conviés à la table. Ceux qui n’ont pas pu venir déjà. Mais aussi les médias, LGBT ou non, auront leur rôle dans une couverture respectueuse et factuelle des avancées, mais devront aussi s’engager à traiter sans désinformer sur ces questions souvent peu maîtrisées. L’espoir est permis, mais la reLovution aura un prix, celui du pragmatisme, de la mobilisation et de l’action autour de piliers de connaissances, qui devront faire prescription dans, mais aussi en dehors de la communauté.