L'Actu vue par Remaides : Racisme, xénophobie : les données du rapport 2023 de la CNCDH
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- 15.08.2024
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Par Jean-François Laforgerie
Racisme, xénophobie : les données du rapport 2023 de la CNCDH
Dans les attributions de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) figurent la réalisation annuelle d’un rapport qui dresse un état des lieux du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie en France, ainsi que des moyens de lutte mis en œuvre par les institutions de la République. Le 35ème rapport est sorti, il y a quelques semaines. La rédaction de Remaides vous en propose les points clefs.
Depuis 1990, le rapport de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) s’accompagne d’une enquête visant à évaluer les perceptions et les attitudes racistes et antisémites, et à analyser les logiques sous-jacentes à l’apparition et à la permanence de certains préjugés en France. Cette enquête permet d’établir un baromètre de l’opinion et mesure la tolérance des Françaises et Français.
Renouvelé chaque année avec le soutien du Service d’information du gouvernement (SIG) et d’une équipe de chercheurs-ses, le « Baromètre racisme » permet d’apprécier l’évolution et la structure des opinions qui sous-tendent le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, explique le rapport de l’institution. « Depuis 1990, l’acceptation des minorités a globalement progressé en France, avec des moments de baisse, liés à des événements particuliers (attentats, période d’insécurité économique, contexte électoral). L’indice longitudinal de tolérance (ILT) est un indice qui mesure tous les ans l’évolution des préjugés sur une échelle de 0 à 100. Plus l’indice se rapproche de 100, plus il reflète un niveau de tolérance élevé, rappelle la CNCDH. L’ILT donne un aperçu des variations annuelles des opinions et des sentiments des personnes interrogées à l’égard des minorités. Depuis sa création, l’ILT s’adapte aux transformations des préjugés antisémites, racistes et xénophobes, grâce à l’introduction de nouvelles séries de questions, par exemple sur les Roms et les Tsiganes ou sur les personnes perçues comme asiatiques, souligne la CNCDH. Les personnes considérées comme tolérantes sont celles dont les opinions sont les plus affirmées, par exemple, celles qui se disent « tout à fait d’accord » avec l’idée que « les Français juifs » et « les Français musulmans » sont des « Français comme les autres ».
Un niveau de tolérance qui se « stabilise »
Depuis 2016, le niveau de tolérance semble en moyenne se stabiliser à la hausse. « Pour l’année 2023, l’indice longitudinal de tolérance se situe à 62 sur une échelle de 0 à 100 », indique la Commission. Il recule de trois points par rapport à l’année 2022 et retrouve le niveau de l’indice de 2017 et 2018. « On note donc un fléchissement de l’indice, déjà amorcé entre mars et novembre 2022. Ce résultat est à relativiser puisque l’ILT avait déjà commencé son repli en 2022. Ce repli s’inscrit, comme l’a déjà souligné la CNCDH, dans un contexte de défiance vis-à-vis de l’Autre et de la diffusion d’un discours haineux dans certaines sphères politiques et médiatiques où la figure de l’immigré est rendue responsable des maux de la société. Si on regarde un peu plus dans le détail l’évolution de la tolérance par minorités pour l’année 2023 ; on note que le recul de la tolérance touche toutes les minorités. Les chiffres passent de 77 à l’égard des Noirs-es (contre 78 en 2022), de 68 à l’égard des Juifs-ves (contre 72 en 2022), de 57 à l’égard des Musulmans-es (contre 59 en 2022), de 42 à l’égard des Roms (contre 45 en 2022).
Préjugés à l’égard des minorités
L’enquête en face à face conduite en novembre 2023 montre que certains préjugés restent largement partagés, explique la CNCDH. Certaines minorités demeurent toujours plus considérées comme formant des « groupes à part ». Que retenir du baromètre 2023 ? D’abord, il y a une forte corrélation entre les différents registres d’intolérance. Ainsi, les différentes techniques statistiques convergent pour montrer que, globalement, les préjugés à l’égard des différents groupes sont corrélés entre eux. « C’est le sentiment anti-immigré qui apparait le plus corrélé aux autres formes de haine et d’intolérance captées par le baromètre. Ainsi, une personne rejetant fortement les immigrés sera plus encline à exprimer par ailleurs une opinion misogyne, antisémite, anti-islam, anti-communautariste, à se dire raciste ou à considérer qu’il existe des races supérieures à d’autres », analyse la CNCDH. Le sentiment anti-islam est également très corrélé aux autres registres d’intolérance. Les résultats, baromètre après baromètre, nuancent la thèse d’un rejet de l’islam au nom des valeurs républicaines de tolérance que cette religion menacerait. Les personnes hostiles à l’islam sont statistiquement plutôt moins attachées au principe de laïcité, moins enclines à défendre les droits des femmes et plus portées à condamner l’homosexualité.
La persistance des préjugés
L’enquête en face à face de novembre 2023 confirme que certains préjugés restent largement partagés et sont même pour certains en hausse par rapport à l’année précédente. Parmi les personnes interrogées :
- 60 % pensent que « de nombreux immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale » (59,6 % en novembre 2022) ;
- 43 % des personnes interrogées pensent que « les enfants d’immigrés nés en France ne sont pas vraiment français » (21,4 % en novembre 2022) ;
- 43 % des personnes interrogées jugent que « l’immigration est la principale cause de l’insécurité » (42% en novembre 2022) ;
- 37 % des personnes interrogées pensent que « les Juifs ont un rapport particulier à l’argent » (37,6 % en novembre 2022).
La CNCDH note aussi un « passage du racisme biologique au racisme à fondement culturel ». Et l’institution d’expliquer : « Le racisme le plus cru, à fondement biologique, fonctionnant sur la conviction qu’il existe des races supérieures à d’autres est en net recul dans l’opinion. Actuellement, le racisme est souvent associé à un sentiment de culpabilité et s’entoure de justifications. La plus commune d’entre elles consiste à invoquer l’incapacité supposée des immigrés et des étrangers à se conformer aux normes et aux valeurs de la société d’accueil. Le racisme revêt ainsi une dimension culturelle et identitaire.
Le rapport note pour 2023 un niveau d’antisémitisme sans précédent. En 2023, 1 676 actes antisémites ont été comptabilisés en France, soit quatre fois plus qu’en 2022, ce qui représente une hausse inédite. Ces actes se sont produits sur l’ensemble du territoire français. Ils se concentrent très majoritairement après le 7 octobre, date de l’attaque terroriste contre Israël, sur les trois derniers mois de l’année (1 241 actes dont 562 en octobre, 504 en novembre et 175 en décembre). Depuis l’année 2000 et le début de la seconde Intifada, le conflit israélo-palestinien a souvent déclenché en France des vagues d’antisémitisme mais jamais à un tel niveau.
Poursuivre la lutte contre le « chiffre noir »
Pour la CNCDH, l’expression « chiffre noir » désigne l’invisibilisation de l’ensemble des actes racistes non déclarés, qui échappent à la justice. « Les chiffres du ministère de l’Intérieur ne représentant qu’une infime partie des actes racistes commis en France, la sous-déclaration massive du racisme contribue à entretenir une impunité face à ces actes, lèse les victimes et porte atteinte à la cohésion sociale ». Les données présentées chaque année se fondent exclusivement sur les signalements effectués. Les plaintes adressées directement au procureur de la République ne sont pas comptabilisées par le ministère de l’Intérieur. De même, les mains courantes enregistrées par les services de police ne sont pas portées à la connaissance du procureur et ne font pas l’objet d’enquêtes et de poursuites, souligne la commission. Par ailleurs, la majorité des victimes ne déposent pas plainte ou n’effectuent aucune démarche, ce qui est mesuré par des enquêtes, en particulier l’enquête de victimation (VRS). Il y a donc une sous-déclaration qui empêche d’avoir la réalité du « contentieux raciste ». D’ailleurs, souligne la CNCDH : appréhender le contentieux raciste est complexe. « Le plus souvent, les personnes victimes de racisme ont subi des agressions verbales et, du fait de la complexité à qualifier judiciairement un acte raciste, peu de poursuites sont engagées, ce qui décourage les personnes à porter plainte (….) Porter plainte représente une étape parfois douloureuse pour la victime, déjà éprouvée par les faits subis. Les difficultés à s’exprimer, la honte ou encore la peur des représailles, peuvent représenter des éléments décourageant d’aller déposer plainte ». D’où la recommandation que le « personnel de police ou de gendarmerie [soit] spécifiquement formé au contentieux raciste » C’est d’autant plus urgent et nécessaire « qu’un million de personnes affirment avoir été victimes chaque année d’au moins une atteinte à caractère raciste, antisémite ou xénophobe, selon les estimations de l’Enquête « Vécu et ressenti en matière de sécurité » 2022. En 2022, sur 6 607 personnes orientées par les parquets pour des infractions à caractères racistes, seules 1 606 personnes ont fait l’objet de poursuites devant les tribunaux.
Le cadre juridique français relatif à la lutte contre le racisme : que prévoit la loi ?
Les libertés d’expression et d’opinion sont des droits fondamentaux, essentiels à la démocratie et au pluralisme. Pour autant, le droit de s’exprimer cesse là où l’abus commence. [Article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ; article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789]. Le droit français sanctionne la diffamation et l’injure raciale, ainsi que la provocation à la haine ou à la discrimination raciale, l’apologie de crime de guerre ou de crime contre l’humanité, la contestation de crime contre l’humanité. Il réprime également la discrimination à caractère racial ou religieux ainsi que le mobile raciste érigé en circonstance aggravante des crimes et délits. Les sanctions peuvent notamment prendre la forme de peines d’amende, voire d’emprisonnement. [Loi relative à la liberté de la presse en date du 29 juillet 1881 ; dispositions du code pénal ; article l 1132-1 du code du travail].
Comment faire valoir ses droits ?
Toute personne victime d’une infraction à caractère raciste peut déposer plainte au commissariat de police ou de gendarmerie ; l’agent-e qui l’accueille a l’obligation de recevoir sa plainte. [Article 15-3 du code de procédure pénale] ; la personne victime peut également adresser directement une plainte écrite auprès du-de la procureur-e de la République. Elle peut aussi se tourner vers la justice civile, ou les conseils des prud’hommes si la discrimination a lieu dans le domaine du travail. À la différence du droit pénal, la charge de la preuve y est allégée pour les victimes. [Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, art. 4]
Comment signaler ?
Tout-e internaute peut signaler un contenu qu’il juge illicite sur Internet, par le biais de la plateforme de signalement du ministère de l’Intérieur « PHAROS ».