L'Actu vue par Remaides : « VIH en France en 2023 : une épidémie à la croisée des chemins »
- Actualité
- 21.10.2024
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Par Fred Lebreton
VIH en France en 2023 : une épidémie à la croisée des chemins
Le 11 octobre dernier, Santé publique France (SpF) a communiqué les chiffres de l’épidémie de VIH et des IST en France, plus tôt que les années précédentes. SpF estime que 3 650 personnes ont été infectées par le VIH en 2023 en France. Cette même année, près de 5 500 personnes ont découvert leur séropositivité, sachant qu’elles ont été infectées pour la moitié d’entre-elles, plus de deux ans auparavant. Comment interpréter ces données ? La rédaction de Remaides fait le point.
Des données (enfin) consolidées
Première bonne nouvelle quand on lit le bulletin Surveillance du VIH et des IST "bactériennes en France en 2023 de Santé publique France" nous disposons enfin de données épidémiologiques consolidées, après plusieurs années d’estimations dites « fragiles ». SpF écrit dans son bulletin : « L’exhaustivité des systèmes de surveillance du VIH et des autres IST s’est encore améliorée en 2023, grâce à la participation accrue des professionnels de santé notamment hospitaliers à la DO (déclaration obligatoire) du VIH, à celle des biologistes dans l’enquête LaboVIH et à celle des Cegidd avec la surveillance de l’activité de dépistage et de diagnostic dans ces structures. La fiabilité des indicateurs présentés en est augmentée ». Pour Franck Barbier, responsable Offres et Dispositifs chez AIDES (direction Innovations et Projets), c’est une « très bonne chose ». « L’an passé, les données ont été communiquées avec une fourchette basse et une fourchette haute. Cette année, nous avons une plus grande robustesse des données et un meilleur taux de retour de LaboVIH. Il faut aussi souligner le travail des TEC, les techniciens d'études cliniques dans les Corevih qui jouent un rôle clef dans la remontée de ces chiffres, informations dont nous avons constamment besoin pour piloter la fin de l'épidémie. Nous étions inquiets-es depuis la Covid, mais la qualité de la surveillance épidémiologique est revenue au rendez-vous et SpF a œuvré en ce sens », souligne le militant de AIDES.
En effet, l’exhaustivité de la DO du VIH en 2023 a été estimée à 79 % pour les sérologies confirmées positives à l’hôpital et de 40 % pour celles confirmées en ville, soit un pourcentage de 65 % globalement. Dans un communiqué de presse publié le 14 novembre 2023 (dix jours avant la présentation officielle des données 2022 par Santé publique France), le Conseil national du sida et des hépatites virales avait fait état de la sortie de son Avis suivi de recommandations sur l’amélioration de la qualité et de l’exhaustivité de la déclaration obligatoire de l’infection à VIH (DO VIH). Dans son communiqué, on sentait poindre l’agacement : celui de ne pas être entendu par les structures en charge des données épidémiologiques. « Au cours des dernières années, le [CNS] s’est alarmé à plusieurs reprises des difficultés qui affectent les systèmes de surveillance épidémiologique des infections à VIH, des hépatites virales et des autres infections sexuellement transmissibles — la production et la mise à disposition régulière de données épidémiologiques robustes et actualisées étant essentielle pour concevoir, piloter et évaluer la réponse de santé publique face à ces épidémies. ». Il semble que les recommandations du CNS aient été entendues.
Le dépistage du VIH augmente
Deuxième bonne nouvelle : le dépistage du VIH a augmenté en France en 2023, ce qui n’est pas le cas partout en Europe. Le nombre de sérologies VIH réalisées en 2023 par les laboratoires de biologie médicale a été estimé à 7,5 millions. Il augmente de façon plus marquée par rapport à 2022 que les années précédentes (6,5 millions en 2022). Cette augmentation sur la dernière année est en partie liée au dispositif VIHTest (Au labo sans ordo). Un dispositif qui permet la réalisation d’un dépistage gratuit, sans ordonnance et sans rendez-vous. Il est intéressant de noter que les taux de dépistage, rapportés à la population, sont toujours les plus élevés en 2023 dans les départements et régions d’Outre-mer (DROM), notamment en Guyane, à l’exception de Mayotte.
Sur la base d’un taux de participation des laboratoires de biologie médicale à LaboVIH de 85 %, qui a nettement progressé par rapport à 2021 (68 %), le nombre total de sérologies VIH réalisées en France en 2023 a été estimé à 7,51 millions. Ce nombre a augmenté de 25 % par rapport à 2021 (6,0 millions), en raison notamment d’une augmentation importante entre les deux dernières années : +16 % sur 2022-2023 versus + 8 % sur 2021-2022. En 2023, 3 % des sérologies ont été réalisées dans un cadre anonyme et gratuit, pourcentage stable sur les trois dernières années. D’autres données de dépistage sont disponibles grâce à une offre diversifiée, il s’agit notamment des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) réalisés par les associations en milieu communautaire qui ont progressé de 16 %. En 2023, environ 51 000 TROD VIH ont ainsi été réalisés, dont 0,75 % se sont avérés positifs.
Enfin, environ 53 800 autotests VIH ont été vendus en 2023 par les pharmacies, incluant les ventes en ligne, soit un nombre inférieur à ceux de 2022 ou 2021 (respectivement 65 600 et 64 100), et environ 17 000 autotests ont été distribués par des associations communautaires, en diminution également par rapport à 2022 et 2021 (respectivement 28 735 et 32 531).
5 500 personnes ont découvert leur séropositivité en 2023
À partir de 3 877 découvertes de séropositivité en 2023, déclarées au 30 juin 2024 (en donnée brute), le nombre total de personnes ayant découvert leur séropositivité pour le VIH en 2023, a été estimé à 5 473 (en donnée corrigée). Peut-on parler d’une hausse comme l’ont fait la plupart des médias généralistes ? Pour rappel, en 2022, ce nombre était estimé entre 4 200 (fourchette basse) et 5 700 (fourchette haute) personnes. Et les dernières données consolidées pré-Covid communiquées en octobre 2019 faisaient état de 6 200 nouveaux diagnostics pour l’année 2018. Pour comprendre cette donnée, il faut se souvenir que l’augmentation observée sur les années récentes fait suite à une diminution importante en 2020, liée à l’épidémie de Covid-19. Entre 2021 et 2023, le taux d’augmentation est plus important sur les données brutes (+ 30 %) que sur les données corrigées (+12 %), en raison de l’amélioration de l’exhaustivité sur cette période, d’où l’importance de ces corrections qui prennent en compte l’évolution de l’exhaustivité. Plus simplement, il est difficile de parler d’augmentation ou de baisse des découvertes de VIH puisque les méthodes ont évolué, comme l’explique Franck Barbier : « Depuis trois ans, nous avions des données fragiles du fait des perturbations dues au Covid ; on ne savait pas ce qu’allait être l'avenir. Là, en termes de qualité des données, on retrouve une robustesse de l’estimation. Par ailleurs il y a également eu des changements de méthode de calcul sur certaines données, on ne peut plus comparer tous les chiffres de cette année avec ceux des années précédentes. Cela ne signifie pas que les chiffres n’étaient pas robustes, mais juste que les comparaisons sont compliquées ».
Pour autant, ces données montrent qu’entre 2021 et 2023, l’augmentation des découvertes était particulièrement importante chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) nés à l’étranger (+ 36 %) et les femmes hétérosexuelles nées à l’étranger (+ 33 %). Deux courbes qui se rejoignent et qui montrent bien la réalité de l’épidémie de VIH en France et le besoin d’aller vers ces deux groupes très exposés à un risque de contracter le VIH.
Sur l’ensemble de la période 2012-2023, la diminution du nombre de découvertes de séropositivité est de 10 %. Cette diminution est plus marquée chez les HSH nés en France (- 36 %) et peut notamment être expliquée par un recours au dépistage plus fréquent que les autres populations, permettant une mise sous traitement plus rapide des séropositifs, et par l’usage de la Prep pour une part d’entre eux. Toujours sur la période 2012-2023, le nombre de découvertes est quasi stable chez les femmes hétérosexuelles nées à l’étranger, diminue chez les UDI, les femmes hétérosexuelles nées en France, et les hommes hétérosexuels qu’ils soient nés en France ou à l’étranger (respectivement de -28 %, -17 %, -19 % et -14 %). Les augmentations les plus fortes sont observées chez les HSH nés à l’étranger et les personnes trans contaminées par rapports sexuels (respectivement de + 105 % et + 170 %).
Quelles sont les personnes concernées?
Les hommes cis représentaient 66 % des découvertes de séropositivité VIH en 2023, les femmes cis 32 % et les personnes trans 2 %. La proportion de femmes cis a augmenté par rapport à 2021 (29 %). La proportion de personnes trans a augmenté progressivement au cours du temps, mais s’est stabilisée sur les trois dernières années.
Les personnes ayant découvert leur séropositivité en 2023 avaient un âge moyen de 36 ans : 17 % étaient âgées de moins de 25 ans, 61 % de 25 à 49 ans et 22 % de 50 ans et plus. La part des 25-49 ans, qui était stable depuis plusieurs années autour de 64 %, a diminué en 2023 au profit des moins de 25 ans, qui représentaient 15 % des cas en 2021.
Parmi les personnes ayant découvert leur séropositivité en 2023, 55 % sont hétérosexuelles (32 % de femmes et 68 % d’hommes) ; 40 % sont des HSH, 2 % sont des personnes trans infectées par rapports sexuels et 1 % des usagers-ères de drogues injectables (UDI). SpF estime que 25 enfants de moins de 15 ans ont été diagnostiqués-es pour une infection à VIH en 2023, ce qui représente 0,4 % de l’ensemble des cas. La majorité d’entre eux-elles sont nés-es en Afrique subsaharienne.
Plus de la moitié de toutes les découvertes de VIH en 2023 (57 %) concernaient des personnes nées à l’étranger : 38 % étaient nées en Afrique subsaharienne (vs 31 % en 2021), 7 % sur le continent américain, 5 % en Europe et 7 % dans une autre zone géographique. La majorité des personnes infectées par rapports hétérosexuels étaient nées à l’étranger (72 %), dont 79 % en Afrique subsaharienne. Parmi les HSH, 35 % étaient nés à l’étranger, dont 38 % en Afrique subsaharienne.
Au niveau régional, l’épidémie à VIH reste marquée par une situation particulièrement préoccupante en Guyane, et dans une moindre mesure à Mayotte, aux Antilles et en Île-de-France.
Enfin, autre donnée importante, parmi les personnes ayant découvert leur séropositivité en 2023, 25 % étaient co-infectées par une IST bactérienne (principalement une syphilis, une gonococcie ou une infection à Chlamydia).
Diagnostics à un stade avancé : 27 % de cas
En 2023, 30 % des découvertes de séropositivité chez les adultes étaient des diagnostics précoces (profil virologique de séroconversion, stade clinique de primo-infection, test VIH négatif daté de moins de six mois ou test d’infection récente positif). La même année, 43 % étaient des diagnostics tardifs dont 27 % au stade avancé de l’infection (stade sida ou CD4 inférieurs 200/mm3), un chiffre légèrement en baisse par rapport à 2022 (28 %) et 16 % à un stade tardif, mais non avancé (CD4 inférieurs 350/mm3, hors stade précoce).
En 2023, environ 2 350 personnes ont découvert leur séropositivité alors qu’elles étaient déjà à un stade tardif de l’infection à VIH. Elles se répartissent ainsi : environ 1 200 personnes hétérosexuelles nées à l’étranger, 400 HSH nés en France, 380 personnes hétérosexuelles nées en France, 300 HSH nés à l’étranger, 35 personnes trans infectées par rapports sexuels et 40 UDI.
La proportion de diagnostics tardifs est toujours plus élevée chez les personnes hétérosexuelles (51 % en 2023) que chez les HSH (32 %). Chez les personnes hétérosexuelles, elle était plus élevée chez les hommes (48 % chez ceux nés en France et 60 % chez ceux nés à l’étranger) que chez les femmes (respectivement 41 % et 50 %).
Le nombre de diagnostics en stade sida a été estimé en 2023 à 937 personnes. Ce nombre, qui avait progressivement diminué jusqu’en 2020, retrouve le niveau de 2019. Les personnes diagnostiquées en stade sida en 2023 avaient un âge médian de 47 ans. Parmi elles, 62 % ignoraient leur séropositivité (proportion ayant diminué depuis 2019), et donc n’avaient pu bénéficier d’antirétroviraux (ARV) avant le stade sida, et 16 % connaissaient leur séropositivité, mais n’avaient pas été traitées par ARV. Seuls 21 % avaient reçu des ARV pendant au moins trois mois, mais les données recueillies via la DO ne permettent pas de connaître l’observance ni la durée totale de ce traitement.
Incidence : 3 650 personnes ont été infectées en 2023
La vraie nouveauté de ce bulletin épidémiologique 2023 est l’estimation de l’incidence du VIH, c’est-à-dire le nombre de personnes nouvellement infectées en France, dont la dernière remontait à 2018. Une véritable plus-value en terme de surveillance épidémiologique comme le souligne Franck Barbier : « C’est une donnée tout aussi intéressante que le nombre de découvertes parce que cela nous donne des informations récentes sur la dynamique de l'épidémie, à côté de celles sur l’offre de dépistages ».
Afin de mesurer l’incidence en France, il a d’abord été nécessaire d’estimer la part des personnes nées à l’étranger qui ont été infectées en France. Ainsi, parmi les personnes nées à l’étranger ayant découvert leur séropositivité en France en 2023, SpF estime que 42 % d’entre elles ont été infectées sur le territoire français. En excluant les personnes infectées avant leur arrivée sur le territoire, l’incidence du VIH a été estimée à 3 650 en 2023, soit un taux d’incidence rapporté à la population de 5,3 pour 100 000 habitants. SpF précise : « L’incidence en France a diminué entre 2012 et 2021, en lien avec une diminution chez les HSH nés en France et malgré une augmentation chez les HSH nés à l’étranger. Depuis 2021, l’incidence en France s’est stabilisée avec également une stabilisation chez les HSH nés en France ».
Pour Franck Barbier, cette stabilisation est à surveiller de très près. « Quand on observe l'incidence, on est dans ce qu’on pourrait appeler un risque de ‘’stabilisation-augmentation’’. On observe pour 2023 une légère remontée de la courbe qui, même si elle n’est pas indicatrice d’une tendance de reprise des infections (marge d’erreur), doit nous inciter à la vigilance et au renforcement des actions d’aller-vers et de prévention en priorité avec les populations les plus exposées. C’est notamment le cas de celles pour qui la tendance n’était pas à la franche baisse ces dernières années, comme les personnes nées à l’étranger, hétéros ou HSH ».
Plus de 10 000 personnes ignorent leur séropositivité en France
Autre donnée qui n’avait pas été actualisée depuis des années, celles de l’épidémie non diagnostiquée de VIH, c’est-à-dire les personnes qui ignorent leur séropositivité. Le nombre de personnes vivant avec le VIH en France sans connaitre leur séropositivité a été estimé à 10 756 fin 2023, dont 9 136 qui ont été infectées en France et 1 620 qui sont arrivées sur le territoire en méconnaissant leur séropositivité.
Le délai médian (quantiles 25 % et 75 %) entre l’infection et le diagnostic était de 1,9 an (0,6 -4,8) pour toutes les personnes diagnostiquées en 2023, sans considération du lieu de l’infection. Le délai médian était le plus court pour les personnes trans (1 an), les HSH nés en France (1,1 an), et les HSH nés à l’étranger (1,1 an). Il était le plus long pour les hommes hétérosexuels nés à l’étranger (3 ans) et les usagers-ères de drogues injectables (3 ans). Parmi les personnes migrantes méconnaissant leur séropositivité à l’arrivée en France, le délai moyen entre l’arrivée et le diagnostic était de 0,4 an.
"Nous sommes à un tournant de l'épidémie de VIH en France"
Comment interpréter les données 2023 du VIH en France ? Faut-il se réjouir ou, au contraire, s’en inquiéter ? Il y a des données encourageantes pour Franck Barbier qui voit plutôt une opportunité pour les acteurs-rices de la lutte contre le VIH de maintenir l’effort. « Après plusieurs années de flottement post Covid-19, nous avons retrouvé une qualité des données qu’il faut conserver dans le temps car elle permettra de mieux piloter nos actions de terrain vers les populations les plus exposées au VIH. Mais attention à l'incidence dans des populations plus marginalisées ou précarisées, pour qui les à-coups, qu’ils soient dus à des épidémies émergentes ou de conditions sociales, peuvent abimer les tendances favorables et voir des infections repartir à la hausse. Nous devons maintenir les efforts en termes d'accès aux dépistages, leur répétition, l’accès augmenté et simplifié à la Prep et le maintien des conditions du Tasp », explique-t-il.
Le responsable de AIDES insiste sur les populations sur lesquelles les efforts doivent se concentrer : « Il s’agit notamment des HSH nés à l'étranger et des femmes nées en Afrique subsaharienne. Les associations ont un rôle à jouer, par exemple, dans le déploiement, l’accès et l’accompagnement à la Prep à longue durée d’action et injectable. Nous sommes à un tournant de ce point de vue, pour que ces innovations concourent à la baisse annuelle et constante de toutes les courbes d’incidence ».
NB : La rédaction de Remaides publiera demain (mardi 22 octobre) un article consacré aux données IST en France en 2023.