États généraux des personnes vivant avec le VIH : faire entendre sa « voie » !
- Actualité
- 04.06.2024
© Nina Zaghian
Par Fred Lebreton et Jean-François Laforgerie
États généraux des personnes vivant avec le VIH : faire entendre sa « voie » !
C’est un évènement ! Les États généraux des personnes vivant avec le VIH (EGPVVIH), les premiers depuis 20 ans, se sont déroulés du 25 au 27 mai à Paris. Après plus de 40 ans d’épidémie du VIH/sida, les EGPVVIH entendaient être un « espace de dialogue créé par et pour les personnes concernées ». La rédaction de Remaides était sur place et retrace les moments forts. Deuxième épisode.
Dimanche 26 mai, la nuit a été courte pour certains-es. Après une plénière d’ouverture consacrée à la présentation de l’étude « Vieillir avec le VIH », lancé par MoiPatient et ses partenaires (voir nos articles Vieillir avec le VIH : Quels besoins dans les parcours de santé ? et Vieillir avec le VIH : le point de vue des professionnels-les de santé), les ateliers en sous-groupe ont repris de plus belle.
Le programme des EGPVVIH 2024 alternait des plénières (l’ensemble des participants-es réuni-ses), des ateliers dits transversaux au sujet fixe (les participants-es étant répartis-es en dix groupes distincts, mais travaillant en même temps sur un sujet unique ; par exemple : la persistance des discriminations) et des ateliers transversaux travaillant chacun sur une thématique précise : mes traitements ; la vie familiale et les enfants ; allaitement et VIH ; santé mentale ; la précarité économique, etc.
« Pauvre de nous ! »
L’un des ateliers de la matinée était justement consacré à la précarité économique… Dans leurs interventions, les participants-es ont bien montré que ce qui était vécu était bien un ensemble de précarités… dont certaines pouvaient s’enchaîner dans un parcours, voire se superposer. Influaient ainsi la précarité économique (ne pas avoir de ressources ou avoir des ressources insuffisantes), la précarité du logement, des difficultés d’accès aux prêts financiers et aux assurances. À cela s’ajoutaient souvent une méconnaissance des droits et un accompagnement parfois fragile ou complexe à l’accès aux droits. Ce qui a été largement souligné c’est à quel point ces éléments « ont un impact important sur la santé mentale et la qualité de vie des personnes concernées ».
Dans ce champ, un-e des interlocuteurs-rices privilégiés-es est la MDPH (maison départementale des personnes handicapées). Cette instance peut être sollicitée pour différentes aides comme la RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur-se handicapé-e) qui donne droit à des prestations pour travailleurs-ses handicapés-ses et employeurs-ses, peut être un atout dans le champ de l’orientation professionnelle, ou encore l’AAH (allocation adultes handicapés) ou la PCH (Prestation de compensation du handicap). La MDPH instruit les demandes de CMI (carte mobilité inclusion), etc.
En matière d’assurances, une grande évolution de ces dernières années a été le « droit à l’oubli ». Il concerne plusieurs pathologies, notamment l'hépatite C guérie (cinq ans après la fin du protocole thérapeutique et en l’absence de rechute). Les bénéficiaires de ce dispositif n’ont pas à déclarer cet antécédent à leur assureur. Si celui-ci a été déclaré, alors les propositions d’assurance ne comprennent ni exclusion de garanties ni surprime au titre de cet antécédent. C’est la loi Lemoine qui pose le « droit à l'oubli » pour les personnes avec une certaine pathologie et souhaitant faire un emprunt bancaire ainsi que l'exonération du questionnaire médical, sous certaines conditions (âge, durée de l'emprunt, montant...). Par ailleurs, la Convention AERAS (elle prend le relais pour les personnes qui ne rentrent pas dans les critères de la loi Lemoine) met en place une grille de référence dans le but de faciliter l’accès à l’assurance emprunteur pour un certain nombre de pathologies listées dont le VIH. La plupart des participants-es à la consultation avant les États généraux ont rapporté des difficultés d’accès aux prêts financiers et aux assurances, malgré la convention AERAS. Ces difficultés sont accrues pour les personnes vieillissantes. Plusieurs personnes ont indiqué cacher leur statut sérologique pour éviter un refus.
D’autre part, on observe une corrélation avec la précarité du logement : les revenus sont insuffisants pour trouver un hébergement pérenne ou pour en changer. De nombreuses PVVIH rapportent des solutions d’hébergement précaires, des difficultés dans l’accès aux logements sociaux etc. On constate des discriminations dans l’accès au logement (sérophobie, LGBTQIA+, vieillesse…). En structure dédiée et établissement de santé, certaines personnes souffrent de la promiscuité avec les autres résidants-es, d’un manque de confidentialité quant à leur statut sérologique.
Ces difficultés sont accrues pour les personnes non-régularisées. On constate une « cascade des précarités particulièrement torrentielle lorsqu’elles sont en situation irrégulière » : rupture de droits (difficultés à prendre un rendez-vous en préfecture, par exemple), rupture du contrat de travail, précarité (nécessaire d’avoir une carte de séjour de 10 ans pour recevoir l’ASPA, par exemple), entrave à l’accès au système de santé (PASS seulement en hôpital par exemple).
Ne pas battre en retraite !
En amont des EGPVVIH 2024, un travail important a été conduit d’identification des besoins des personnes vivant avec le VIH. Il s’agissait de temps collectifs et de contributions en ligne (le plus souvent individuelles). Cette phase a mobilisé plus de 300 PVVIH aux profils variés. Un document de synthèse a ensuite été rédigé. Il a servi de base d’échanges des ateliers des EGPVVIH 2024. Une partie importante de cette réflexion a porté sur la retraite… un sujet sensible et de plus en plus d’actualité pour nombre de personnes vivant avec le VIH. Il ressort que les PVVIH connaissent souvent des difficultés dans le monde du travail.
Elles peinent parfois à trouver un travail adapté à leur condition physique, mais aussi à conserver leur emploi, notamment car les rendez-vous médicaux fréquents, les arrêts maladies parfois, voire les hospitalisations imposent des emplois du temps aménagés et des réductions de temps de travail. Ces ruptures dans le parcours professionnel ont des conséquences sur la retraite dès lors que certains trimestres ne sont pas cotisés. De manière générale, les PVVIH à la retraite rapportent bénéficier d’une trop petite pension. Plus d’accompagnement pour mieux connaitre les aides et l’environnement serait nécessaire.
« On est invisibles parce qu’on ne parle pas du VIH »
L’un des ateliers de la matinée était consacré à la thématique Parcours de migration et VIH. L’occasion pour beaucoup de participants-es de partager des expériences de vie souvent difficiles. C’est le cas d’un participant né en Algérie, venu en France pour vivre plus librement son homosexualité. Il a contracté le VIH après son arrivée en France, mais sa demande de titre de séjour pour étranger malade a été refusée. Malgré de nombreuses démarches avec des avocats-es, il reste toujours en situation irrégulière alors qu’il est désormais pacsé, autoentrepreneur et qu’il paie des impôts et des cotisations à l’Ursaff (un accord franco-algérien permet cela). « J’ai le droit de travailler, mais je n’ai toujours pas de titre de séjour », déplore le participant.
Un autre participant rappelle que l’accès aux traitements reste compliqué « au pays » (le sien étant la RDC) avec parfois des problèmes de corruption : « Au Congo, lorsque les médicaments arrivent, les traitements sont rationalisés et parfois détournés pour être revendus. Il y a parfois des ruptures de stock aussi ».
Plusieurs-es participants-es ont fait part de leurs inquiétudes quant à un durcissement des lois concernant l’accès aux droits des étrangers-ères en France : « Dans les années 90, nous nous sommes battus pour avoir la possibilité d’un titre de séjour pour soins pour les étrangers malades. Petit à petit, ce droit a été grignoté. Il faudrait protéger ce titre de séjour pour soins. C’est un principe fondamental : une personne malade doit pouvoir rester en France », rappelle un participant. Même ressenti chez une participante qui accompagne des personnes migrantes vivant avec le VIH : « La loi immigration me fait très peur. Comment mieux accompagner les migrants dans leur parcours d’accès aux droits avec tous ces obstacles ? », demande-t-elle. Un exemple, parmi tant d’autres de ces obstacles, partagé par une participante : « L’OFII [Office français de l'immigration et de l'intégration, ndlr] m’a demandé tous mes bilans sanguins et toutes mes ordonnances depuis un an avec le cachet de la pharmacie ». Le poids de la culture et de la religion est beaucoup revenu dans les discussions : « On est invisibles parce que nous, les musulmans, on ne parle pas du VIH », affirme un participant. Même constat pour une participante d’origine Afrique subsaharienne : « On ne parle avec personne de cette maladie à cause de la honte. Quand on m’a annoncé ma séropositivité au pays, j’ai eu envie de me jeter d’un pont ».
Parmi les recommandations du groupe :
- Plus de coordination et d’entraide entre les associations qui accompagnent les étrangers-ères malades ;
- Une montée en compétences et en responsabilité des personnes racisées dans les associations ;
- Mieux (in)former le corps médical des parcours du combattant de leurs patients-es étrangers-ères pour obtenir un titre de séjour.
L’atelier s’est terminé sur une note plus légère. Un participant, qui a été militant dans le VIH pendant de nombreuses années, ne comprend pas comment il a pu se contaminer alors qu’il était bien informé. Réponse d’une participante : « Tu n’as jamais vu un médecin malade ? ». Rire collectif de la salle. Pour finir, une participante a partagé une note d’espoir avec le groupe : « Parfois, je suis découragée, mais grâce à ces échanges aujourd’hui, je me dis que je ne suis pas seule et ça me redonne de la force et de l’espoir. L’union fait la force ».
L'intégralité du compte-rendu de la journée du lundi 27 mai est disponible ici
Tim, un témoin à part… entière !
« On ne peut jamais savoir si c’est le virus ou les traitements qui abiment »
Entre deux ateliers, nous échangeons avec Tim. Ce parisien de 59 ans est accompagnateur communautaire au SPOT de AIDES à Paris. « Je me suis inscrit aux États généraux parce je m'occupe beaucoup de chemsex, mais, en fait, depuis quelques temps, je réalise que j'ai besoin de renouer avec les histoires de VIH plus directement et notamment tout ce qui concerne le vieillissement des séropos ».
Le militant vit depuis plus de 40 ans avec le VIH : « J'ai été diagnostiqué en 1986, mais j'ai été contaminé probablement en 1983 car cette année-là, j'ai fait une toxoplasmose [infection parasitaire qui se contracte lors de contact avec un chat porteur du parasite ou en consommant des aliments contaminés (viande mal cuite, fruits et légumes crus). C’est aussi une infection opportuniste liée au stade sida, ndlr]. Je n’avais absolument aucune raison d'en faire. Il n'y avait pas d'antécédents familiaux. Je n'avais pas de chat. Je ne mangeais pas de viande rouge… Bref, j'ai un vieux virus et il continue de faire des complications aujourd’hui. Mais au fil des années, on ne peut jamais savoir si c’est le virus ou les traitements qui abiment. Les deux se combinent ». Tim explique aussi qu’avec les années, son virus a développé des résistances : « Actuellement, je n’ai plus que deux lignes de traitement possibles et si l’une des deux saute, je suis dans la merde ».
« Il faut se méfier de la mélancolie collective »
Tim, qui est ancien journaliste, partage avec nous sa vision de ce qu’il nomme la « transmission mélancolique » à propos de nos histoires avec le VIH/sida :
« En fait, j'ai réalisé en parlant avec des jeunes, notamment quand je faisais de l'accompagnement Prep, qu'ils reprenaient à leur compte des situations dramatiques, désespérées, violentes, qui ressemblaient à ce que nous, on a vécu dans les années 80-90, mais qui ne correspondent pas à leur vécu objectivement. Ce n'est pas qu'ils ne vivent pas des choses compliquées mais la notion d’urgence n’est pas la même. Pour moi, c’est un peu une explication de pourquoi il a été tellement long de reconnaître des avancées comme le Tasp ou Prep. C'est-à-dire qu'on est tellement restés sur les configurations mentales de ce qu'était le sida dans les années 80-90, qu'on n'a pas réussi à voir que les choses avaient changé et qu’il fallait changer nos méthodes et nos discours. Le terme « transmission mélancolique » vient d'un activiste américain, qui s'appelle Tony Valenzuela. Il l’avait utilisé dans une interview que j'ai faite de lui, il y a dix ans, pour ma revue Monstre. Il faut se méfier de la mélancolie collective, c’est-à-dire la façon dont on se réapproprie, contre soi-même, des douleurs ou des peines qui ne nous appartiennent pas ».
Les métiers de l’aide à la personne, un enjeu fondamental
Qu’est-ce que Tim attend des recommandations qui seront présentées (lundi 27 mai 2024) au ministère de la Santé ? Pour le militant qui accompagne des usagers de chemsex au SPOT de Paris de façon quotidienne, l’accompagnement par les pairs-es n’est pas reconnu à sa juste valeur : « Je trouve paradoxal que tout le monde s'accorde pour dire que l'aide à la personne est un enjeu des 50 prochaines années, et que les professionnels qui s'engagent dans la prise en charge de la personne soient si maltraités, avec si peu de reconnaissance, si peu de salaire, et si peu de considération. Les métiers de l’aide à la personne, c'est un enjeu fondamental qui pourrait être tout à fait politisé. Il y a des philosophes comme David Graeber qui pensent que la grande erreur du capitalisme, c'est de ne pas tenir compte des relations sociales et de ne pas donner une valeur de capital aux relations sociales. Et je crois qu'il a raison. C'est absolument absurde de considérer que parce que quelqu'un ne produit pas une marchandise, il n'a pas de valeur ».
« Quand j'étais jeune, c'était ça passe ou ça casse »
Autre sujet de préoccupation pour Tim : vieillir bien avec le VIH : « Quand on vieillit, l'infectiologue perd la main sur le suivi, au profit d'un oncologue, d'un pneumologue, d'un cardiologue, et parmi ces professionnels de santé, il n'y a pas le même historique, pas la même culture avec le patient. On perd des points face à eux, dans un contexte où les vieux séropos ont l'impression, enfin en tout cas, moi, j'ai l'impression, de devoir revivre les mêmes enjeux que ce que j'ai vécu quand j'étais jeune, mais pas avec la même perspective. En d’autres termes, quand j'étais jeune, c'était ça passe ou ça casse. Soit je meurs et dans ce cas-là, c'est réglé, soit j'ai un brillant avenir devant moi. Là, c'est soit je meurs et dans ce cas-là tout est réglé, soit je deviens un vieux séropo, mais ce n'est pas la même temporalité ».