L'Actu vue par Remaides : États généraux des personnes vivant avec le VIH : des échanges sur les droits sociaux et la précarité
- Actualité
- 23.08.2024
© Nina Zaghian
Par Jean-François Laforgerie et Fred Lebreton
Etats Généraux des personnes vivant avec le VIH : des échanges sur les droits sociaux et la précarité
Quarante-et-un ans après la découverte du virus responsable du sida et vingt ans après un premier événement de ce type organisé par AIDES à Paris, plus de 160 personnes vivant avec le VIH se sont réunies, à l’initiative de plusieurs associations (voir encart) le temps d’un week-end prolongé, en mai dernier, dans le cadre de nouveaux États généraux des personnes vivant avec le VIH — dits EGPVVIH 2024. L’objectif ? Formuler des recommandations et porter des revendications pour améliorer leurs conditions de vie et lutter contre les multiples discriminations auxquelles elles sont encore confrontées. Remaides y était. Retour sur ce qui a été échangé lors des ateliers sur les droits sociaux et la précarité et les recommandations nées de ces échanges.
Un des objectifs de ces EGPVVIH 2024 était, à l’issue d’échanges, de partages d’expériences, de formuler des recommandations. Elles s’adressaient à cinq « cibles » différentes : les personnes participantes à titre individuel, la/les communauté(s) des personnes vivant avec le VIH (PVVIH), les associations, les professionnels-les de santé et du médico-social, les politiques (pouvoirs publics). Quelles sont les recommandations concernant les droits sociaux et plus largement les enjeux liées à la précarité ?
Recommandations aux personnes à titre individuel
Le premier rappel est celui de « se rapprocher des associations, de bien s’informer sur ses droits, et de se faire accompagner quand on en a besoin.
Autre élément important : le fait de bien conserver l’ensemble de ses documents administratifs. « J’ai dû aller au tribunal pour défendre mes droits et ne pas retrouver à la rue », a expliqué une personne. Une autre s’est rappelée avoir « mis deux ans à avoir un logement ». De façon générale, de nombreuses interventions ont traduit un sentiment d’inquiétude : « J’ai peur pour mon avenir » ; « Je vis dans la précarité morale et financière » ; « Je vis en hébergement d’urgence » ; « Quand on sera décédé qui payera nos obsèques ? » ; « Je suis perdue ».
Recommandations à la/aux communauté(s) des PVVIH
Une demande est celle de « créer des temps d’échanges entre PVVIH sur les problématiques d’accès aux droits » ; elles existent déjà dans certaines structures, mais manifestement elles ne semblent pas suffisantes au vu des besoins qui ont été mentionnés lors des EGPVVIH 2024. Précédemment, le conseil était donné de « bien s’informer sur ses droits ». Les participants-es demandent à la communauté des PVVIH de se mobiliser pour « lutter contre la méconnaissance des droits », autrement dit de renforcer les capacités des personnes à agir dans ce domaine. D’ailleurs, la communauté serait bien avisée de « ne pas mettre de côté les besoins sociaux, économiques, en matière de logement » dans l’accompagnement des PVIVIH. Enfin, il lui est demandé de « lutter contre le démantèlement des droits sociaux » et « d’obtenir le respect des droits » pour tous-tes.
Recommandations aux associations
Ce qui est attendu des associations (défense des droits, accès aux soins et à la santé, etc.), c’est qu’elles « informent et accompagnent les personnes dans l’ouverture des droits (dossiers AAH, et RQTH notamment). « Il a fallu que je bataille auprès de la MDPH pour qu’on maintienne ma RQTH », a ainsi expliqué une personne en atelier. Il est demandé aux associations qu’elles « proposent des accompagnements plus spécialisés. Par exemple, un accompagnement au démarches en numérique ». La demande est faite « d’avoir plus de plages horaires, plus de rendez-vous d’accompagnement à proposer ». Côté outil pratique, les participants-es ont demandé la réalisation d’un « guide actualisé sur l’accès aux droits, les possibilités existantes en matière de droits, des explications sur à quoi servent ces droits et à qui s’adresser pour en bénéficier ». Autre demande : que soient renforcés la coordination et les partenariats avec les acteurs-rices de la prise en charge sociale et les pouvoirs publics locaux. « L’accompagnement associatif est le plus adapté », a souligné une personne des États généraux.
Recommandations aux professionnels-les de santé et du médico-social
« Si j’envoie tout le monde à la MDPH [maison départementale des personnes handicapées, ndlr], plus personne ne travaillera », a cru bon d’expliquer un médecin à une personne suivie pour le VIH. Pas étonnant que la première recommandation adressée aux soignants-es soit que les PVVIH puissent avoir : « Des professionnels-les de santé qui ne sont pas stigmatisants-es dans leur accompagnement et qui prennent en considération les besoins en matière de ressources, de logement, etc. » des personnes qu’ils-elles suivent. Les participants-es demandent aussi des « centres de prises en charge, des services hospitaliers, des Cegidd avec des horaires adaptés pour tous les travailleurs-ses ». Ils-elles demandent aussi que les assistants-es sociaux-les soient mieux formés-es sur « les pathologies, les droits, le droit au séjour ». Demande similaire concernant les médecins, cette fois, sur le remplissage des dossiers MDPH. Demande est aussi faite de « sensibiliser la médecine du travail, les médecins généralistes et infectiologues sur l’aménagement des horaires pour les RDV médicaux en journée ». Dans la partage d’expériences, les participants-es ont montré le décalage qui existaient entre eux-elles et certains-es professionnels-les. « Même si je travaille, je n’ai que le SMIC et les fins de mois sont difficiles. Alors comment se nourrir correctement quand les médecins nous disent qu’avec le VIH il faut bien manger ? », explique une personne. Certains-es assistants-es sociales en prennent pour leur grade. « En tant que personne primo-arrivante [en France, ndlr], on est à la merci des assistantes sociales », déplore une personne, tandis que pour une autre : « Les AS de secteur, c’est la grosse cata », alors qu’une autre personne considère que « les AS ont tendances à faire les choses à la place des gens ». Ils ont montré aussi que des personnes vivant avec le VIH se trouvent aux prises avec des situations sociales difficiles. « En tant que jeune retraitée, on voit les autres qui sont heureux, qui font des voyages, etc. Et moi, je ne peux pas les suivre parce que je n’ai pas les moyens », a expliqué une femme.
Recommandations aux politiques
Une bonne part des recommandations qui ont été faites lors des EGPVVIH 2024 aux pouvoirs publics concernent les ressources, l’AAH, la couverture maladie. Les personnes demandent le « maintien de l’AAH quand on arrive à la retraite au taux initial ; autrement dit : pas de diminution de l’AAH au moment de la perception de la retraite ». Les personnes demandent aussi, question d’égalité, une uniformisation sur le territoire : que les taux des aides sociales (notamment l’AAH) soient uniformisés, sans nivellement par le bas. Autre demande : l’obtention de la Complémentaire santé solidaire (C2S) sans prise en compte de l’AAH. Est aussi demandé le retour à l’accès au complément de ressources pour les personnes percevant l’AAH et le retour du cumul ASS et AAH. Parmi les recommandations, on trouve aussi la « reconnaissance sur la longue durée, des aides sociales, sans passer par des processus de renouvellement ; l’abrogation du décret du 10 novembre 2011 (accès à l’AAH sans restriction substantielle et durable d’accès à l’emploi), voire de « prévoir un maintien de salaire quand on n’est plus en activité ».
Dans un autre domaine, les participants-es demandent aux pouvoirs publics de « garantir l’accès aux assurances, à l’assurance-vie décès, à la garantie décès ». « Je ne veux pas mettre mes proches, mes parents, dans la difficulté financière si je meurs », a d’ailleurs expliqué quelqu’un.
Les personnes ont aussi demandé de « rendre possible les aménagements du temps de travail : reconnaissance qui pourrait être corrélée à la RQTH, et de permettre des absences sans justification au cas par cas et en toute confidentialité. Il serait bien de « simplifier les documents, courriers administratifs et procédures de l’administration » et de « renforcer les financements associatifs pour l’accompagnement à l’accès aux droits ». Il serait aussi utile de « proposer de l’accueil physique dans tous les services publics pour prendre en compte les fractures numériques ». « La dématérialisation de l’accès aux droits = la privation des droits », a dénoncé une personne. D’ailleurs, note une autre : « Depuis le Covid, nous sommes anesthésiés. On accepte la dématérialisation sans broncher ».
Il faut aussi « mettre fin au trafic de rendez-vous pour les demandes de titre de séjour — tous les créneaux sont réservés par des gens qui les revendent ». La situation des personnes étrangères a suscité beaucoup de réactions. « Aujourd’hui, la situation s’aggrave pour les personnes étrangères demandant le droit au séjour pour soins », note une personne des États généraux. « Dès qu’on est étranger, on est criminalisé », explique une autre. « Le ministère de l’intérieur s’est immiscé dans tous les actes de la vie quotidienne », constate avec amertume une autre. « C’est insupportable aujourd’hui de voir des femmes avec enfants à la rue ».
Par ailleurs, les participants-es enjoignent les « pouvoirs publics locaux, les collectivités territoriales à être plus solidaires, davantage dans une logique de coordination et de partenariat avec les associations de terrain ». Ils préconisent aussi de « renforcer les financements associatifs pour l’accompagnement à l’accès aux droits ».
Qui a participé aux Etats Généraux des personnes vivant avec le VIH?
Qui sont les 160 participants-es des États généraux des personnes vivant avec le VIH ? Un petit questionnaire sociodémographique anonyme et facultatif était proposé à l’entrée de l’évènement samedi. Il permet de donner une photographie des participants-es. Concernant le pays de naissance, 54 % des répondants-es sont nés-es en France métropolitaine et 26 % en Afrique sub-saharienne. Les trois régions de France les plus représentées sont l’Île-de-France (39 % des participants-es) puis l’Auvergne-Rhône-Alpes (14 %) et la Provence-Alpes-Côte d'Azur. La majorité des répondants-es sont dans la tranche d’âge 50-78 ans (58 %) puis la tranche 26-49 ans (37 %) et une minorité de la tranche de 18-25 ans (5 %). Une certaine parité dans le genre des participants-es : 54 % d’hommes cis, 43 % de femmes cis, 1 % de femmes trans et 1 % de personnes non-binaires. Même parité en ce qui concerne l’orientation sexuelle avec 44 % de personnes hétérosexuelles, 43 % de personnes homosexuelles et 8 % de personnes bisexuelles. On peut souligner une majorité de personnes diagnostiquées séropositives il y a plus de 20 ans (49 %) et seules 12 % de personnes diagnostiquées entre cinq et dix ans. Enfin, 58 % des répondants-es étaient membres bénévoles ou salariés-es d’une association VIH, 32 % en contact avec une association sans en faire partie et 10 % sans lien avec une association.