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    AIDS 2024 : Recherche sur le VIH, allons-nous dans la bonne direction ?

    • Actualité
    • 25.07.2024

    AIDS 2024 IAS

    © Fred Lebreton

    Par Fred Lebreton, Thierry Tran, Lucas Vallet et Célia Bancillon-Casanova

    AIDS 2024 : Recherche sur le VIH, allons-nous dans la bonne direction ?

    Chaque été, tous les deux ans, a lieu la grande conférence mondiale sur le VIH, organisée par l’IAS. AIDS 2024, se déroule, cette année, à Munich (Allemagne) du 20 au 26 juillet. Au programme, deux jours de pré-conférence, cinq jours de conférences et un grand village associatif avec des activistes venus-es de toute la planète, dont AIDES. La rédaction de Remaides est sur place pour une couverture des moments forts. Quatrième épisode sur la journée du mercredi 24 juillet 2024.

    L’avenir de la recherche contre le VIH : trio pour sopranes

    Trois femmes, chercheuses, appartenant à des générations différentes, sont rassemblées sur la grand scène du hall de conférence pour cette session spéciale en forme de table ronde intitulée : « The Future of HIV Science ». La plus jeune, Reena Rajasuriar, chercheuse à l’Université de Malaya en Malaisie, se focalise actuellement sur la réaction immunitaire et s’intéresse particulièrement au vieillissement des personnes vivant avec le VIH. Est présente à sa droite, Jeannie Marrazzo, directice de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses (NIAID) aux États Unis, reconnue pour ses travaux sur les maladies infectieuses touchant principalement les femmes. Enfin, on ne la présente plus, Françoise Barré-Sinousi chercheuse française de l’Institut Pasteur récompensée d’un Prix Nobel en 2008 pour la découverte du VIH en 1983. Le tableau est impressionnant et met en valeur la place des femmes dans la recherche encore largement dominée par les hommes. La modération assurée par Juan Michael Porter II (rédacteur en chef du site médical TheBody.com) complète le tout, avec sa flamboyance. Sa première question donne la direction et pour cause : « Allons-nous dans la bonne direction en ce qui concerne la recherche sur le VIH ? ».  Françoise Barré-Sinousi donne une réponse de « normande » selon ses propres termes : oui et non ; justifiant ainsi un développement didactique repris par ses consœurs.

    Oui, car la recherche avance et très vite. On trouve des illustrations dans les traitements et la Prep à longue durée d’action (long acting). En particulier, les récentes données relatives au lénacapavir en Prep tous les six mois (voir ci-dessous) ouvrent des perspectives nouvelles en termes de prévention et de réduction des transmissions. La recherche de vaccin suivant la piste des anticorps neutralisant à large spectre est également évoquée. Mais cela n’est bien sûr pas suffisant. Non, car la recherche fondamentale est insuffisante en ce qui concerne la compréhension des mécanismes de l’inflammation et des troubles métaboliques. Cette recherche non spécifique au VIH bénéficierait pourtant aux connaissances sur d’autres pathologies comme les cancers et toutes les autres comorbidités associées, par ailleurs, au fait de vieillir avec le VIH. La qualité de vie des personnes et, en particulier, celle des femmes est également citée comme objectif complémentaire à l’élimination des transmissions. Objectif qui ne pourra être atteint que si les outils de prévention et les traitements sont effectivement accessibles aux populations. Le succès d’une recherche allant « de la découverte jusqu’à la distribution » (From discovery to delivery) est conditionné au développement des recherche en sciences de l’implémentation, insuffisamment financées et peu menées. Toutes ces recherches de disciplines différentes devraient être conduites sans priorisation tant que la collaboration étroite et précoce entre les chercheurs-ses et les communautés est assurée, car elle est indispensable à leur succès. Ces collaborations doivent idéalement inclure les décideurs-ses politiques, dont le soutien améliore l’implémentation en vie réelle des outils au sein d’infrastructures adaptées.

    Au vu des outils existants (bien que pas toujours disponibles), la recherche de traitements curatifs est-elle encore nécessaire ? La question est adressée à Françoise Barré Sinousi qui donne la réponse la plus pertinente : il faut demander aux personnes concernées. C’est ce qu’elle a fait en 2010 avant d’initier le programme IAS « Towards HIV Cure » (Vers un traitement curatif du VIH). La réponse des concernés-es : « Nous souhaitons obtenir un traitement que nous pourrions arrêter et ne plus subir la stigmatisation associée au VIH ». Cette attente d’un traitement curatif, qui n’est légitimement pas forcément partagée par toutes les personnes vivant avec le VIH, continue de servir de fondement à la poursuite de ces recherches. D’autres considérations économiques, liées au coût et donc l’accessibilité des antirétroviraux, ont également été soulevées. Jeannie Marrazzo fait remarquer à l’auditoire que tous les traitements ne sont pas éternels et qu’une course est engagée contre les pathogènes, en constante évolution, pour que continuent de se succéder des outils toujours à risques d’obsolescence. Elle partage son avis sur la DoxyPep (traitement antibiotique post-exposition pour prévenir les transmissions d’IST bactériennes) qu’elle estime être utilisable sur une fenêtre de temps inférieure à dix ans, et qui devra pouvoir céder sa place à un nouvel outil avant d’arriver à un point critique d’émergence de résistances aux antibiotiques. De plus, la compréhension et l’utilisation des innovations thérapeutiques ne vont pas de soi et les associations communautaires ont un rôle majeur et critique à jouer dans l’anticipation de l’arrivée de nouveaux outils et traitements. Ce travail de médiation doit s’adapter au public en termes de transmission de connaissances, de travail sur le langage et la traduction ainsi que sur les modes de communication.

    La discussion s’est achevée sur le thème des jeunes chercheurs-ses et comment assurer la relève de la recherche sur le VIH. Reena Rajasuriar souligne l’importance des formations à la communication scientifique ainsi qu’au mentorat entre chercheurs-ses, devant s’inscrire dans de vrais temps et espaces de discussions intellectuelles ouvertes. Malheureusement, ce temps manque cruellement à cause du sous financement de la recherche et de ses nouveaux modèles très compétitifs sous la forme d’appels à projets. Non seulement, ils contraignent l’avancement des travaux, mais réduisent également les champs thématiques ; la recherche fondamentale en étant la première victime. Toutefois, un levier existe : les plaidoyers à destination des décideurs-ses et financeurs-ses, portés par une communauté engagée pour défendre sa vision d’un avenir sans sida.

    L'avenir du VIH dans la santé mondiale : exceptionnalité ou intégration ?

    Depuis 40 ans, les politiques de lutte contre le VIH/sida ont été mises en place pour répondre à cette pandémie de manière exceptionnelle. Que ce soit au niveau des gouvernements, des institutions, et des communautés, le VIH/sida a suscité une réponse exceptionnelle. Cependant, la question de l’intégration du VIH dans le système de santé global est de plus en plus évoquée dans les échanges entre les parties prenantes. Une table ronde regroupait des membres du Fonds mondial de lutte contre le VIH, d’UNITAID, ainsi qu’un spécialiste des droits en santé publique.

    La salle était partagée entre deux avis : 50 % d’avis pour garder l’exceptionnalité de la réponse à la lutte contre le VIH et 50 % pour intégrer cette réponse parmi tant d’autres pathologies. Cependant, les échanges ont convergé dans l’idée que, dans le futur, la lutte contre le VIH doit être une « réponse exceptionnelle », autrement dit spécifique. En effet, la réponse multisectorielle a permis d’influer l’expansion de l’épidémie, cependant il est nécessaire de tenir les promesses faites et donc d’adopter une solution d’exception pour mettre fin au VIH d’ici 2030 ! L’exceptionnalité doit continuer pour faire face au changement climatique, militer pour le droit des personnes… Il ne s’agit pas ici d’avoir une vision binaire, mais plutôt d’accélérer et de combler les gaps qui existent dans la réponse du VIH au niveau mondial. 

    Un participant a évoqué le fait que l’intégration risquerait même de faire reculer l’empowerment des personnes. En effet, nos systèmes de santé généraux n’impliquent que peu les personnes contrairement à la réponse de lutte contre le VIH. Une personne de l’auditoire a déclaré qu’aucun choix n’était à faire. Il était plutôt nécessaire d’avoir une réponse exceptionnelle et d’intégrer les réponses de lutte contre le VIH aux autres pathologies. Un rappel est aussi fait sur les discriminations que vivent les PVVIH : « Traitons déjà les discriminations que nous subissons et après on parlera d’intégration du VIH dans les réponses de santé globale ». L’intervenant spécialiste du droit en santé publique a rappelé, que les agences « exceptionnelles » comme le Fonds mondial, UNITAID, le pôle VIH de l’OMS permettent de lutter contre l’épidémie de VIH et qu’il faut poursuivre ces efforts avant d’intégrer la réponse au VIH comme une réponse parmi d’autres en santé globale. 

    Il est à noter un point de vigilance sur les régimes d’exception. En effet, une congressiste faisait part de la situation au Brésil quand Jair Bolsonaro était président et que la volonté de son gouvernement était justement d’entraver la réponse « exceptionnelle » de la lutte contre le VIH. Malgré des divergences entre certains participants-es de la table ronde, la réponse entre exceptionnalité et intégration ne doit pas être binaire. Elle doit être adaptée en fonction des pays, des fonds accordés à la lutte contre le VIH et prendre en compte de multiples variables socio-économiques. Il est cependant important de se poser ces questions afin de répondre au mieux à l’épidémie de VIH et surtout de préparer son futur et de lutter contre le risque d’invisibilisation.

    Lénacapavir en Prep : des résultats « exceptionnels »

    C’était LE moment fort de cette troisième journée de conférence. Une standing ovation de toute la salle pour Linda-Gail Bekker, la directrice adjointe de la fondation Desmond Tutu HIV en Afrique du Sud, après sa présentation des résultats complets de l'essai PURPOSE 1 sur le lénacapavir en Prep injectable deux fois par an. Au même moment, les résultats complets étaient mis en ligne sur le site du NEJM (New England Journal of Medecine). Les résultats sont sans appel. L'étude a recruté plus de 5 300 adolescentes et jeunes femmes cisgenres, âgées de 16 à 25 ans en Afrique du Sud et en Ouganda. Plus d'un tiers ont été testées positives pour des infections sexuellement transmissibles au début de l'étude, ce qui indique que la population était à haut risque de contracter le VIH. Il n'y a eu aucune (zéro) nouvelle infection parmi les 2 134 femmes ayant reçu des injections de lénacapavir tous les six mois, seize nouvelles infections sont survenues parmi les 1 068 participantes ayant pris le Truvada en comprimés quotidiens et 39 nouvelles infections parmi les 2 136 femmes ayant reçu le Descovy en comprimés quotidiens. Les trois méthodes de Prep ont généralement été bien tolérées, et aucun nouveau problème de sécurité n'a été identifié. 

    « Ces résultats exceptionnels montrent que le lénacapavir administré deux fois par an en Prep, s'il est approuvé, pourrait offrir un choix hautement efficace, tolérable et discret qui pourrait considérablement réduire le VIH chez les femmes cisgenres dans le monde entier », a déclaré l’ancienne présidente de l’IAS. De son côté, Sharon Lewin, l’actuelle présidente de l'IAS, a également tenu à commenter ces résultats : « Ces données confirment que le lénacapavir administré deux fois par an pour la prévention du VIH est une avancée révolutionnaire avec un immense potentiel de santé publique. Si cet outil à action prolongée est approuvé et délivré — rapidement, à un coût abordable et de manière équitable — à ceux qui en ont besoin ou le souhaitent, il pourrait contribuer à accélérer les progrès mondiaux en matière de prévention du VIH. Nous devons tous une dette de gratitude aux milliers de jeunes femmes d'Afrique du Sud et d'Ouganda qui se sont portées volontaires pour participer à cette étude ».

    En conférence de presse, le vice-président de Gilead, Jared Baeten, a promis que le lénacapavir serait disponible pour la production de génériques et que Gilead le rendrait disponible à un « prix d'accès » en grands volumes. Mais il a parlé des « pays à faibles revenus », sans mentionner les « pays à revenus intermédiaires », et n’a donné aucun prix, aucun volume ni aucun nom de sociétés génériques comme le fait justement remarquer Ben Phillips, le directeur de la communication de l’Onusida. Une journaliste du Guardian a demandé à Gilead si les licences génériques seraient également attribuées aux pays à revenus intermédiaires. Gilead a répondu que la liste était encore en cours de finalisation. La journaliste a donc demandé si, dans la version actuelle de la liste, il y avait des pays à revenus intermédiaires. Gilead a botté en touche en répondant que la liste n'était toujours pas décidée…

    Malgré un intérêt compréhensible sur ce nouveau traitement très prometteur, il faudra faire preuve de patience car il ne sera sans doute pas commercialisé avant 2026. Les résultats de l'étude PURPOSE 2 sur les hommes gays et bisexuels, les femmes et hommes transgenres et les personnes non binaires sont attendus fin 2024 ou début 2025. Des essais pour les femmes cisgenres aux États-Unis (PURPOSE 3), les personnes qui s'injectent des drogues (PURPOSE 4) et les personnes à haut risque de contracter le VIH en Europe (PURPOSE 5) sont également en cours.

    Trois études française sur la Prep, le Mpox et l’hépatite C

    Au stand France, une table ronde était organisée pour discuter de l’étude Prévenir. Cette étude lancée en mai 2017 est soutenue par l’Agence ANRS | Maladies infectieuses émergentes. Elle vise à améliorer l’offre de Prep en Île-de-France et à évaluer l’impact de cette stratégie de prévention sur l’épidémie du VIH/sida. ANRS-Prévenir a inclus 3 000 volontaires en trois ans. Elle est menée par le professeur Jean-Michel Molina (Hôpital Saint-Louis, AP-HP) et le secteur recherche communautaire de AIDES, avec le soutien de l’Inserm. Dans cette étude, les participants-es, en grande majorité des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, peuvent choisir de prendre la Prep en continu ou à la demande. L'impact d'un accompagnement personnalisé proposé par des acteurs-rices communautaires est également évalué ainsi que la prévention et la prise en charge des autres infections sexuellement transmissibles.

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    Professeur Molina © Fred Lebreton

    Présent au stand, le professeur Jean-Michel Molina a confirmé le lancement en septembre d’une sous étude de Prévenir afin de comparer la Prep injectable sous cabotégravir versus la Prep orale. Il a également révélé qu’une sous étude sur le Mpox (Monkeypox ou variole du singe) sera publiée dans les prochains jours : « Pendant l'épidémie de Monkeypox, ce qui était intéressant, c'est que comme on avait une population de personnes à très haut risque d'infection par le Monkeypox, de par leurs partenaires et le fait qu'ils utilisent peu le préservatif, on a eu un nombre de cas de Monkeypox très important. Mais aussi, on a pu immédiatement rappeler tous les participants pour leur proposer la vaccination.  Et on a vu, c'est ce qu'on publie, une chute des contaminations beaucoup plus rapide que dans le reste de la France grâce à la vaccination immédiate. Et ça, c'est l'intérêt des cohortes de Prep, c'est que les gens sont dans une démarche de prévention, ils sont sensibles à tous les messages qui peuvent leur permettre d'éviter le VIH ou les IST (…). Dans cette étude, on démontre qu'au-delà des changements de comportement induits par l’épidémie de Monkeypox, c'est la vaccination rapide qui a permis de stopper l'épidémie dans cette population ». Le Pr Molina ajoute qu’une autre sous-étude va s’intéresser à l’hépatite C dans la cohorte HSH de Prévenir : « Nous avons eu quand même pas mal de cas d'hépatite C. Et on a d’ailleurs mis en place en cours d'études une stratégie de dépistage et de traitement par PCR de l'hépatite C. Donc, on a dépisté tout le monde à un moment donné, on a donné un traitement immédiat et on a voulu regarder quel pourrait être l'impact sur l'incidence de l'hépatite C. Les résultats qui viennent être analysés seront probablement présentés à la prochaine Croi [conférence scientifique du 9 au 12 mars 2025 à San Francisco, ndlr], et ils vont montrer l'impact de ces interventions sur l'incidence de l'hépatite C qui a pratiquement disparu dans la cohorte ».

    DoxyPrep : vigilance sur l’antibiorésistance

    La DoxyPrep était très discutée hier à la conférence. DoxyPrep veut dire doxycycline post-exposure prophylaxis (en français : prophylaxie pre exposition à base de doxycycline). Il s’agit ici de prendre un antibiotique (la doxycycline, un seul comprimé de 100 mg par jour, tous les jours) avant un rapport sexuel non protégé par un préservatif. La rédaction de Remaides a demandé son avis au Pr Molina sur ce nouvel outil de prévention des IST : « Il y a des petites études où les gens prennent la doxycycline tous les jours, mais il faut faire attention. C'est pour ça qu'on a mis en place la DoxyPep, parce qu'on veut éviter une surconsommation d’antibiotiques. Parce que si on a une surconsommation d’antibiotique, le bénéfice de la stratégie risque de ne pas être très durable. Il faut utiliser le minimum nécessaire pour avoir l'effet attendu. Ce qu'on dit d'ailleurs aux personnes de l'étude, c'est : « Ne prenez pas plus d'une fois par semaine la DoxyPep. Nous avons des résultats aussi bons en prenant la doxycycline une fois par semaine que tous les jours, donc ce n'est pas la peine d'en prendre trop. Ça ne sert à rien et ça ne peut que favoriser l'émergence d'antibiorésistances, ce que nous voulons éviter ».

    Prep injectable fortement plébiscitée

    Le cabotégravir injectable à action prolongée (CAB-LA) est très efficace en Prep VIH, mais les études de mise en œuvre en vie réelle (hors essais cliniques) chez les hommes et les femmes en Afrique sont insuffisantes. En Ouganda (milieu rural) et au Kenya, plus de la moitié des participants-es à l'essai de prévention du VIH SEARCH Dynamic Choice ont choisi de commencer le CAB-LA plutôt que la Prep orale (en comprimés). Selon les chercheurs-es, le CAB-LA est un choix populaire pour les hommes et les femmes, et réalisable dans ces contextes. La Prep injectable est également un choix populaire en Europe : l'enquête PROTECT auprès de 8 642 hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, qui ne sont pas séropositifs, montre un niveau élevé d'intérêt et d'intention (jusqu'à 74 %) d'utiliser la Prep injectable à action prolongée si elle est disponible. C'était particulièrement le cas parmi les usagers actuels de la Prep orale (80 %).

    Les dégâts causés par la stigmatisation

    L'analyse des données de 842 169 personnes, dont 70 109 vivant avec le VIH, dans 33 pays africains, relie la stigmatisation à une moindre implication à chaque étape des soins du VIH. Les chercheurs-ses ont analysé trois mesures de la stigmatisation : les attitudes discriminatoires envers les personnes vivant avec le VIH (rapportées par 36 %), la honte de s'associer à des personnes vivant avec le VIH (18 %) et la stigmatisation perçue du VIH (79 %). Toutes les mesures étaient associées à une baisse des tests de dépistage du VIH au cours de l'année précédente. À mesure que les attitudes discriminatoires au niveau communautaire augmentaient de 50 %, les personnes vivant avec le VIH étaient 17 % moins susceptibles de suivre un traitement antirétroviral (ARV) et avaient une suppression de la charge virale inférieure de 15 % (charge virale indétectable).

    La Silver Zone : célébrer les personnes âgées vivant avec le VIH

    En se baladant dans le Global Village, notre attention est attirée par une table ronde avec de nombreuses personnes aux cheveux grisonnants. Nous sommes à la Silver Zone, un espace dédié aux personnes âgées vivant avec le VIH. Les personnes âgées vivant avec le VIH se sentent souvent isolées, leurs droits et leur dignité sont parfois négligés, et elles sont incertaines quant à l'avenir. Sur le stand, un texte explicatif : « Notre objectif est de fournir un espace pour la socialisation et la mobilisation, en sensibilisant aux forces, aux besoins de soutien et aux expériences des personnes âgées, qui partageront leurs expériences, défis et stratégies pour bien vieillir. Une large gamme d'activités sera proposée. Celles-ci incluent des dialogues intergénérationnels, favorisant la compréhension et le respect entre les personnes vivant avec le VIH de tous âges ; des tables rondes et des intervenants-es présentant des preuves sur les facteurs affectant le bien-être global ; une affirmation de soi par des projets artistiques, des ateliers, des projections de films et des récits ; et la traduction des leçons apprises en recommandations pour des changements de politique visant à améliorer l'équité et la qualité de vie des personnes âgées vivant avec le VIH ». Aujourd’hui, un débat autour des traitements VIH. Une femme, la soixantaine, se lève et prend la parole : « Cela fait 35 ans que je prends des ARV, j’ai voulu passer au traitement injectable mais mon médecin me l’a refusé ». Un homme lui répond : « Changez de médecin ! Le mien ne voulait pas non plus et il ne voulait pas entendre parler de U = U. Pour lui, c’était capote obligatoire même avec une charge virale indétectable… Il faut cesser de se faire dicter nos vies par nos médecins ! ». L’empowerment n’a pas d’âge et il n’est jamais trop tard pour (re)prendre le pouvoir sur sa santé.

    No bad women, only bad laws – decriminalize sex work now ! (Pas de mauvaises femmes, seulement de mauvaises lois – décriminalisez le travail du sexe maintenant !)

    Il est de ces panels qui sont, par leur composition et la force de leurs discours, des leçons de plaidoyer et d’engagement. Ce fût le cas à la Sex Worker Networking Zone, au milieu du Global Village. Des parapluies rouges accrochés au plafond, des pin’s « Sex worker do it better » et des personnes assises sur les chaises ou par terre pour venir écouter six intervenants-es représentants-es de la société civile, des agences des Nations unies, des experts-es indépendants-es et des universitaires. Organisée par le NSWP (Global Network of Sex Work Projects) et modérée par le SRI (Sexual Rights Initiative), les intervenants-es de cette table ronde n’ont eu qu’une seule idée : prouver que la décriminalisation du travail du sexe est indispensable à la lutte pour les droits humains et celle contre le VIH. 

    Selon le NSWP, « la décriminalisation retire ou abroge les lois pénales qui interdisent le travail du sexe lui-même ainsi que toutes les activités qui lui sont associées. Au-delà des lois pénales, la décriminalisation devrait abroger toutes les lois qui oppriment juridiquement et affectent de façon disproportionnée les travailleurs-ses du sexe ». Selon ces critères, seuls deux pays rentrent dans cette catégorie : la Nouvelle-Zélande, dans son entièreté, et deux États australiens. Pourtant, Antons Mozalevskis, responsable technique des populations clés à l’OMS sur les enjeux VIH/hépatites/IST, rappelle que les risques de contracter le VIH étaient 7,17 fois plus élevés pour les TDS exerçant dans un pays qui criminalise complètement le travail du sexe. 

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    © Célia Bancillon-Casanova

    C’est finalement sur ce point que réside tout l’enjeu de cette table ronde : pourquoi la décriminalisation du travail est-elle si peu mise en place alors que l’ensemble des données disponibles, notamment en matière de lutte contre le VIH, prouvent depuis près de 40 ans que cela est nécessaire ? Pourquoi les fameuses « evidence-base » sont refusées par les pouvoirs publics quand il s’agit de travail du sexe ? Si le thème de la conférence est « Putting people first », il faut aussi être en mesure d’entendre ce que les personnes ont à dire. Pour Jules Kim, coordinatrice globale du NSWP, « soutenir les droits des TDS est une activité quotidienne », il faut des relais, audibles, présents de partout, qui martèlent le non-sens des lois imposées ici et là.

    Le patriarcat me direz-vous. Oui, mais c’est complexe. Une certaine branche du féminisme considère le travail du sexe comme une violence en soi à l’égard des femmes. Jules Kim, du NSWP, revient sur le modèle nordique, fervent défenseur d’un abolitionnisme complet au nom de l’égalité de genre. Elle interroge alors la portée féministe de ce modèle : dans quelle mesure ce contrôle sur les femmes, leur corps, leur sexualité, leurs ressources économiques est une arme décisive dans la lutte pour l’égalité de genre ? Elle poursuit en soutenant qu’au contraire, c’est la décriminalisation, en soutenant le choix des personnes, qui nous permettra collectivement de nous rapprocher de cette égalité. 

    Cette table ronde en est témoin, même si les gouvernements persistent dans leurs positions, la question de la décriminalisation est portée dans les instances internationales. La docteure Tlaleng Motokeng, surnommée « Dre T », rapporteure spéciale sur le droit qu’à toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, rappelle que le combat contre la criminalisation du travail du sexe doit prendre en compte l’intersectionalité et la décolonisation des luttes afin de ne « laisser personne derrière », notamment les TDS noires, autochtones, trans, celles dont le statut administratif les marginalisent d’autant plus. Et cela finira par payer, on l’espère en tout cas. ET la « Dre T » de conclure la discussion en rappelant que « la prévalence du VIH dans le travail du sexe et chez les TDS n’est pas dû à de mauvais choix faits par des femmes, mais du fait de la loi ».

    DOSSIER À SUIVRE DANS LE CINQUIEME EPISODE VENDREDI 26 JUILLET 2024

    Prix de la Fondation Robert Carr pour l’étude RISE

    Après plus d'un an de travail et une collecte de données dans plus de 80 pays, le groupe RISE (pour Représentation, inclusion, pérennité et équité) a publié le 22 avril 2024 son rapport final sur l'engagement des communautés auprès des instances de coordination nationale (ICN/CCM) du Fonds mondial. Moment de consécration pour toutes les personnes qui ont contribué à cette étude avec la remise du prix pour la recherche du Robert Carr Fund. À cette occasion, une grande partie de l’équipe qui a coordonné l’étude était présente sur scène dont Alana Sharp (chercheuse en santé publique basée à Washington DC, États-Unis), Serge Douomong Yotta (directeur du plaidoyer à Coalition PLUS) et Léo Deniau (coordinateur du plaidoyer international à AIDES).

    AIDS 2024 IAS

    © Fred Lebreton

    Quelques mots sur Robert Carr (23 février 1963-10 mai 2011), un universitaire et militant des droits de l'homme trinidadien qui a consacré sa vie à attirer l'attention du public sur les questions liées à la stigmatisation et à la discrimination à l'encontre des personnes vivant avec le VIH. Robert Carr a principalement écrit sur les questions centrales aux communautés vulnérables des Caraïbes. Le focus des publications de Robert Carr était l'intersectionnalité de la pauvreté, de l'homophobie et des droits de l'homme, ainsi que leur rôle dans la production et la perpétuation de la violence systémique à caractère sexuel et des réponses inadéquates au VIH/sida au niveau mondial, régional et jamaïcain. Le Conseil international des organisations de services contre le sida (ICASO), basé à Toronto, a créé le Robert Carr Award pour honorer les contributions à la lutte contre le sida.