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    États généraux des personnes vivant avec le VIH : un moment « Magic » !

    • Actualité
    • 28.05.2024

    jean-françois laforgerie

    © Nina Zaghian

    Par Jean-François Laforgerie 

    EGPVVIH 2024 : un moment « Magic » !

    Les États généraux des personnes vivant avec le VIH (EGPVVIH), les premiers depuis 20 ans, se déroulaient du 25 au 27 mai à Paris. Difficile de raconter en un seul texte les moments forts d’un évènement qui a rassemblé près de 200 personnes vivant avec le VIH. Jean-François Laforgerie, le rédacteur en chef de Remaides, s’est prêté à cet exercice. Un récit lu par son auteur lors de la plénière de clôture lundi 27 mai au ministère de la Santé. Les EGPVVIH comme si vous y étiez…

     

    Lundi 27 mai 2024
    Ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités

    Exposés-es

    Faut-il y voir un signe ? C’est à quelques encablures du Parc des expositions que se trouve l’hôtel qui a accueilli ces nouveaux États généraux des personnes vivant avec le VIH, deux jours durant.

    Exposition. Elle a été au cœur de cet événement hors norme qui, pour beaucoup, avait la saveur de l’inédit. Pensez un tel rassemblement ne s’était pas produit depuis 20 ans. C’était à Paris déjà, place du Colonel Fabien, en 2004.

    Exposition consentie au regard des autres, à l’écoute de tous et de toutes ; car il s’agissait de parler de soi, de son parcours qu’il soit ancien ou récent avec le VIH, de ses aspirations, des espoirs que permettent le contexte thérapeutique d’aujourd’hui, des colères qu’inspirent le contexte social actuel et son cortège de discriminations qui perdurent, mais aussi de ses envies, de ses inquiétudes, de ses idées pour changer la donne.

    Car c’est bien une des ambitions de ces États généraux que d’améliorer l’existant en passant des constats — qu’ils soient individuels ou collectifs — à des recommandations concrètes portées ensemble… et c’est ce que nous avons vu hier et allons vivre dans quelques instants.

    S’appuyant sur les ressorts de la démarche communautaire, ces États généraux sont l’illustration que le « circuit court », dont on vante tant les mérites dans bien des domaines, existe aussi dans le champ de la santé. Comment appeler autrement, un processus qui permet en deux jours de produire — sur la base d’un travail de collecte des besoins, réalisé en amont —, des recommandations sur le VIH par des personnes directement concernées et de le faire connaître à toutes les personnes qui peuvent, à leur niveau, les rendre possibles ? Dans le fond, ce qui a été vécu ici tient du pari, de la prouesse et de la promesse.

    Pari. Celui que ce format inédit, réalisé en partenariat, trouve écho aujourd’hui chez les personnes concernées, qu’elles aient l’envie de l’investir, de monter au front collectivement, qu’elles pensent qu’un changement est possible, qu’elles veuillent encore faire entendre leur colère. Pari réussi !

    L’engagement des personnes lors de la phase de recueil des besoins, votre présence, énergique, engagée, ces deux jours et ce matin encore, en témoignent.

    Prouesse. Celle de réussir à faire vivre et se mobiliser ensemble des personnes qui ne se connaissaient pas forcément. Ces États généraux se sont singularisés par la grande diversité des parcours, des expériences de vie avec le virus et, peut-être pour certains et certaines, des virus, voire d’autres pathologies. Le VIH compagnon de longue date depuis des années, voire des décennies, jusqu’à 40 ans de cohabitation. Le VIH, nouveau venu, dans la vie d’autres personnes. Ces expériences diverses, librement partagées lors des échanges, ont façonné une solidarité précieuse entre toutes et tous. Celle que les personnes, au parcours plus ancien avec le virus, ont manifestée à l’égard des personnes plus récemment infectées. Celle dont les personnes plus récemment touchées ont fait preuve envers celles et ceux qui ont connu les années noires, souvent essuyé les plâtres d’une épidémie inédite par sa violence, sa durée et sa cruauté. Cet échange solidaire aura été une des prouesses de ces États généraux. Et c’est vous qui l’avez permis.

    Promesse. Qu’il y ait un avant et un après. Que ces États généraux soient puissants, mobilisateurs comme Corinne et Damien nous y invitaient en début d’événement.

    Que cette énergie, cet engagement ne s’estompent pas au fil des jours. Chacun, chacune d’entre nous, à sa place, à son niveau, sera responsable du succès, à court, moyen et long termes, de ces États généraux. Un peu comme si le « Rien pour nous sans nous » qui a servi de matrice à cet événement se doublait d’une autre déclinaison : le « Sans nous, il risque de ne rien se passer ». Qui peut courir ce risque au moment où la lutte contre le VIH et ses spécificités que vous avez souligné, semblent solubles dans le grand tout de la santé sexuelle ?

    Au premier jour…

    EGPVVIHMais reprenons l’histoire. Une arrivée samedi matin par voiture, train, avions (parfois déroutés pour cause de grève), tram, métro... Un hôtel qui nous laisse croire qu’il est à Paris alors qu’il est en jolie banlieue, bordée de verdures qui tentent de faire oublier que le périphérique passe à deux pas. 

    Des affiches siglées du logo de l’événement, une caisse de badges, une attestation à signer, un bracelet rouge lorsqu’on ne veut pas être photographié, un questionnaire à remplir, un QRCode à scanner, un programme à lire, un sac collector à garder, des tickets boisson à conserver, une valise, un bon de consigne pour la bagagerie, une lunch box à manger sur le pouce… de quoi avoir le tournis. 

    Et puis un hôtel au lobby grand comme une agora, une série d’escaliers, de tournants, d’étages, une suspension blanche comme une méduse géante, indolente et apaisante, une multitude de recoins cosy, un jardin extérieur, de la lumière… du beau, du confortable, du reposant… une impression que vient rapidement atténuer la présentation du programme faite par Catherine. Un programme dense, riche, qui ne compte pas ses heures. 

    Pas trop le choix vu la feuille de route que se sont fixés ces États généraux comme l’a rappelé Camille en ouverture : permettre l’expression des besoins des personnes vivant avec le VIH, faire un état des lieux des recommandations actuelles et les comparer avec ce qui se passe en vie réelle et élaborer ensemble des propositions concrètes qui permettent d’améliorer notablement l’existant.

    Ces États généraux méritaient qu’on comprenne qui sont, aujourd’hui, les personnes vivant avec le VIH en France. C’est ce que nous avons découvert avec la présentation, claire, vivante et documentée, de Dominique. Quelques données. Près de 160 000 personnes vivent avec le VIH en France, dont 34 % (soit 54 600) sont des femmes, parmi lesquelles 41 % sont suivies en Île-de-France. Parmi l’ensemble des personnes, 4 % sont âgées de plus de 75 ans et 91 % ont l'ALD. Des données de cohortes indiquent que 111 371 personnes vivant avec le VIH ont été suivies au moins une fois à l’hôpital en 2021. On compte 65 % d’hommes, 35 % de femmes et moins de 1% de personnes trans (qui sont mal identifiées et dont probablement le nombre est sous-estimé dans ces cohortes). La prévalence (soit le nombre de personnes vivant avec le VIH par rapport à la population générale) est la plus forte en Guyane, en Île-de-France, en Guadeloupe et en Martinique.

    Quoi de neuf doc ?

    Lors de la phase de recueil des besoins, demande avait été faite d’avoir un point sur les traitements actuels du VIH. Ce sont Victoria et Pierre, tous deux médecins, représentant-e des deux sociétés savantes impliquées dans les États généraux, qui s’en sont chargés. Il a été question d’initiation de traitement, de simplification, d’allègement, d’injectables, mais aussi d’empowerment (d’empouvoirement) de la patiente ou du patient. 

    Pierre a ainsi expliqué comment il faisait le choix du premier traitement, affiche d’Actions Traitements sous les yeux, dans un partenariat à deux : une alliance thérapeutique que tous-tes les médecins ne mettent pas en œuvre, loin s’en faut. 

    Victoria a rappelé le bénéfice individuel et collectif du traitement, l’intérêt du traitement précoce. « Le cœur du suivi passe par la prise en charge de la santé en général », a-t-on entendu. Et il a été rappelé que l’effet indésirable principal de la vaccination, c’est la désinformation à son propos.

    Il faut voir comme on nous parle

    Le premier atelier du samedi avait deux ambitions : faire connaissance et travailler sur le thème « Être acteur, actrice de sa santé ». Vaste sujet qui va du lien avec les professionnels de santé au rapport à l’hôpital, des questions d’observance aux rendez-vous et aux traitements à l’accompagnement en santé proposé par les associations. Vos échanges ont mis en avant le décalage entre l’infectiologue avec lequel ou laquelle les rapports sont souvent bons, et d’autres professionnels-les de santé, dont le médecin traitant, avec lesquels, c’est loin d’être le cas. Des exemples.

    EGPVVIH ateliers

    Une demande de dépistage VIH à laquelle un médecin répond : « Si vous ne voulez pas avoir le VIH, ne baisez pas sans capote ! »

    « Apparemment, vous êtes séropo ! », dit, à haute voix, par un médecin à une personne aux urgences, dont le père, installé dans le même box, n’est pas au courant.

    Un médecin généraliste qui scanne chaque courrier de l’infectiologue, y jette un œil, n’en dit rien et s’empresse de le ranger dans le dossier médical : « Oh, vous savez, je ne m’y connais pas trop ». 

    Une médecin qui rappelle son patient deux semaines après la consultation : « Vous pouvez me rappeler ce qu’on s’est dit la dernière fois ? »

    Un ange passe en blouse blanche !

    Bien sûr, les manques de moyens humains comme financiers expliquent pour partie certains dysfonctionnements, vous l’avez dit, mais ils ne les justifient pas.

    « La liste de mes envies »

    Au prononcé de l’intitulé « Ma Vie relationnelle, affective et sexuelle ». On a entendu : « Ah ouais, quand même » et d’autres « Houla, y’ a beaucoup à dire ». Beaucoup a été dit. Des paroles fortes, dont certaines ont pu faire rougir les yeux. 

    « Je ne parle pas de ma séropositivité. Je ne suis pas prête à expliquer que j’ai des relations sexuelles avec mon mari, que j’ai eu des enfants qui vont bien. Et qu’on dise de moi : « Quoi, elle a osé ! » J’ai bridé ma parole pour ne pas avoir à m’expliquer sur ma sexualité, ma vie privée. »

    « Je n’en parle pas par crainte qu’on me juge, qu’on pense que je suis séropositive parce que je serai une femme qui va à droite, à gauche ; ce qui n’est pas le cas. Je crains d’être catégorisée, jugée. »

    « Prenons l’exemple d’une émission de télé, on y présente une personne atteinte d’un cancer, tout le monde trouve ça triste. Puis vient le tour d’une personne vivant avec le VIH, personne ne s’apitoie. Beaucoup vont même dire que la personne le mérite. »

    « Pourquoi nous donner des bracelets rouges pour nous cacher ? » s’est interrogé un participant avant d’asséner : « Parce que la société produit cela ! »

    Et la sexualité dans tout cela. 

    « J’avais fait une croix sur ma sexualité par peur du rejet (….) Je préfère assumer seule ce fardeau que de le transmettre à toute une famille. »

    « Pour moi, une personne qui vit avec le VIH ne vit pas sa vie sexuelle. Cela m’a renvoyé à ma solitude. Bien sûr, tu peux dire que tu es séropo. Parfois, l’autre écoute. Souvent, il ne t’en reparle jamais comme si ce n’était plus un sujet, rien. »

    « Il a fallu que je me retrouve avec le VIH pour que j’apprenne qu’il était possible d’avoir une charge virale indétectable et de ne plus transmettre. »

    Et s’il fallait désacraliser le terme « séropositif-ve », le changer, en finir avec cette histoire trop lourde. Et si on en finissait aussi avec les injonctions qui conditionnent la vie.

    « À l’annonce du VIH, il y a 24 ans. J’ai demandé : qu’est-ce que je dois faire ? Le médecin m’a répondu : « Rien ! Ah si, j’ai un conseil : « N’en parlez à personne ! » J’ai suivi cette injonction. Je n’ai pas su aller au-delà… C’est moi qui ai fait perdurer cela. Je suis venue aujourd’hui ici car je porte cela depuis trop longtemps. »

    Il a bien été question du Tasp « qui met du baume au cœur », d’une certaine forme de normalisation du VIH, de l’ambivalence à vouloir être visible pour contribuer à changer l’image des personnes vivant avec le VIH et la crainte d’éventuels « dommages collatéraux » sur les proches, les partenaires, la famille…

    Et puis quelqu’un a dit : « La culpabilité, c’est une maladie opportuniste du VIH ».

    Comme un boomerang

    EGPVVIH ateliersD’autres sujets ont été abordés : le travail, la retraite, la précarité économique, les droits sociaux dans leur ensemble, les enjeux multiples et complexes de l’avancée en âge, la vie familiale et les enfants, les traitements, la santé mentale, l’allaitement, le parcours de migration, d’autres encore.

    Comme un boomerang, la persistance des discriminations est revenue. On les croyait partie du domicile, elles reviennent par la chambre à coucher ou les applis de rencontres. On les croyait refoulées de l’hôpital, elles s’immiscent en consultation. Elles ont infecté tous les champs de la vie, produisant souvent le pire.

    « On ne parle avec personne de cette maladie à cause de la honte. Quand on m’a annoncé ma séropositivité au pays, j’ai eu envie de me jeter d’un pont », a expliqué une participante.

    Ces différents ateliers se sont déroulés dans des salles nommées Vinci, Gutenberg, Eiffel, Galilée, Newton, Lumière, Montgolfier, Lépine…. Ils furent chercheurs, ingénieurs, créateurs, génies ; certains incompris de leur époque. Ils ont pour point commun d’avoir imaginé l’impossible, d’avoir innové, transformé le monde. 

    Et si ce que vous avez fait ensemble, deux jours durant, tenait aussi de cela… appliqué à la lutte contre le sida.

    Pierre et Marie Curie ont fait salle à part. C’est bien : pour une fois Marie existe pour elle-même, pas en seconde place derrière son mari… Dans la salle qui porte son nom, on trouve, sous son portrait, une citation d’elle : « En sciences, nous devons nous intéresser aux choses, pas aux personnes ».

    Je me demande si vous n’avez pas décidé de faire l’inverse ; vous intéressez aux personnes pour permettre que les choses changent.

    Un effet magique

    Alors voilà, nous en sommes là. C’est presque la fin de ces nouveaux États généraux. On pourra se rappeler d’avoir dansé sur « Wannabe » des Spice Girls et d’autres tubes, des rires aux repas, de la bonne humeur, d’avoir fait le pied de grue à 7h30 du matin devant l’hôtel… celui qui fait semblant d’être à Paris, des questions avisées lors des débats, des témoignages puissants que nous aurons entendus en petits comme en grands groupes. On pourra se rappeler qu’il aura fallu du courage pour monter au front, raviver des souvenirs, parler de blessures plus récentes, s’exposer.

    « C’est dans ce genre de rencontres que je me sens à l’aise et que j’ai le sentiment d’être considérée », a expliqué une personne.

    Dans son discours, au démarrage de l’événement, Florence a rappelé que ces États généraux ne pouvaient pas commencer sans penser à ceux et celles que nous avons connus de près, de très près, de moins près et qui ne sont plus là aujourd’hui.

    La minute de silence à laquelle l’un de vous nous à inviter, hier, en fin de journée, était un beau moment d’émotion partagée, un geste contre l’oubli. 

    Des militants et militantes ont disparu, d’autres ont pris la relève, d’autres la prennent aujourd’hui. Vous le faites ici en réfléchissant, en imaginant, en innovant, en construisant des recommandations en les priorisant.

    Dans son discours, Florence a rappelé l’importance du témoignage de Magic Johnson dans sa vie avec le VIH, souhaitant à tous ceux et toutes celles qui apprendront un jour qu’ils ou qu’elles ont été contaminés-es par le VIH, de pouvoir bénéficier de la force d’un témoignage équivalent. « Je pense qu’en étant ici, comme participants et participantes, nous avons tous un petit pouvoir Magic Johnson », a-t-elle dit. 

    Ces États généraux auront été un moment humainement riche, positif, inédit, puissant ; un moment magique.

    Sans votre engagement, votre confiance, votre solidarité, votre entrain, rien de tout cela n’aurait été possible. De cela, nous pouvons collectivement être fiers-ères. Aussi, pouvons-nous nous applaudir.

    EGPVVIH 27 mai