Frédérique Siess : "Le legs est une proposition d’engagement citoyen et militant pour un avenir sans sida"
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Dans de nombreux secteurs de la vie associative, du fait de fortes contraintes budgétaires, les pouvoirs publics choisissent de se désinvestir. La lutte contre le sida n’est pas épargnée. Le phénomène n’est pas nouveau, mais s’amplifie, incitant certaines associations à diversifier leur recherche de financement, notamment en faisant appel aux legs. Legs et lutte contre le sida : le rapprochement peut surprendre voire heurter. En charge de ce sujet à AIDES, Frédérique Siess explique de quoi il s’agit, revient sur les enjeux que ce financement peut représenter pour une organisation indépendante et sur la question taboue du rapprochement : VIH et mort. Interview.
Comme d’autres organisations, AIDES lance une campagne concernant le legs et les assurances-vie. Pourquoi lancer une telle campagne et quels en sont les objectifs ?
Frédérique Siess : Depuis sa création en 1984, AIDES tient à agir en toute indépendance ; c’est pourquoi elle s’est toujours attachée à mettre en œuvre des moyens pour obtenir des fonds privés, en plus des financements publics dont elle bénéficie. Au vu de l’augmentation de nos actions (dépistages du VIH et du VHC, actions de prévention et de soutien, recherche, etc.) et de la stagnation des financements publics, il est impératif aujourd’hui de diversifier les moyens de collecter des fonds privés. En lançant pour la première fois une campagne d’envergure sur les legs et les assurances-vie, nous avons pour objectif de mieux faire connaitre ces moyens de soutenir nos actions— bien moins connus que les dons — et de disposer des fonds nécessaires pour en finir avec le sida dans un avenir proche.
Legs, donation, assurance-vie, testament olographe, testament authentique, héritage, etc. On voit pas mal de termes, parfois techniques, dans les campagnes portant sur ce sujet. Quelles sont les différences ?
C’est vrai que les termes évoqués ne font pas partie du langage courant, notamment le terme d’assurance-vie, moins connu que celui de legs. Il ne s’agit pas pour autant de notions compliquées qui requièrent des connaissances juridiques et de lourdes formalités. Les legs et les assurances-vie ont un point commun : les personnes qui décident de les consentir à notre association ne cèdent aucun bien de leur vivant ; elles font en sorte de céder une partie de leurs biens, ou tous leurs biens, à leur décès. Les legs permettent de céder tous types de biens : des objets, des biens immobiliers, des sommes d’argent, etc. Ils passent par la rédaction d’un testament avec des dispositions en faveur de notre association. Les assurances-vie permettent de céder des sommes d’argent placées sur un compte. Elles impliquent de signer un contrat auprès d’un établissement — telle une banque ou une mutuelle — et dans ce contrat, de désigner une association comme bénéficiaire des sommes éventuellement disponibles au jour du décès de la personne. Les Français affectionnent ce type de placement, mais ils ne retiennent pas forcément le terme d’"assurance-vie". Assez souvent, des personnes nous ont expliqué détenir un tel placement à la banque, mais ne pas se souvenir qu’il s’agissait d’une "assurance-vie".
La grande violence de l’épidémie de VIH en France à ses débuts, la dureté pour de nombreuses personnes de vivre avec le VIH aujourd’hui encore peuvent constituer des obstacles à une bonne acceptation d’une campagne fondée sur l’héritage, donc associée à la mort. Est-le cas ou assiste-t-on à une évolution des mentalités sur cette question ? Autrement dit, dans le contexte du VIH, craignez-vous qu’une telle campagne suscite du rejet notamment de la part des personnes vivant avec le VIH ou de leurs proches ?
La mort reste un sujet tabou. Cela peut amener certaines personnes à refuser de penser à leur décès et probablement, à ne pas accepter ce type de campagne relatif à l’héritage, que ce soit en faveur de la lutte contre le sida ou de toute autre cause d’ailleurs. J’ignore si l’opinion publique évolue sur ce sujet et si l’acceptation d’un tel dispositif est meilleure. On peut noter cependant que de plus en plus d’organisations y font appel, c’est sans doute un signe. Les événements dramatiques qui secouent actuellement le monde, le climat de défiance voire de désillusion vis-à-vis des dirigeants politiques, la volonté de faire œuvre utile par delà sa disparition peuvent conduire des personnes à réfléchir de façon différente à "l’après", y compris en s’engageant par un héritage "militant" pour en finir avec le sida.
A l’époque où le VIH est apparu en France et où il n’existait pas encore de traitements efficaces, une telle campagne n’aurait pas été possible. Vingt ans après l’arrivée des trithérapies et les immenses succès qu’elles ont permis pour les personnes, le contexte est très différent. Notre campagne est une proposition d’engagement citoyen et militant pour un avenir sans sida.
Aujourd’hui, la plupart des grandes associations ont développé des secteurs sur les legs et donations. De plus en plus de campagnes sont lancées, mettant en concurrence les causes. Qu’est-ce qui différencie la campagne lancée par AIDES ? Ce qui nous singularise, ce n’est pas tant notre campagne en elle-même que notre cause : la lutte contre le sida. Et surtout, le fait que nous savons aujourd’hui comment mettre fin à cette épidémie. La plupart des autres associations, sinon toutes, ne peuvent malheureusement pas, à la différence de notre association, assurer à leurs bienfaiteurs que leur acte de générosité contribuera à mettre fin au fléau qu’elles combattent. C’est tout le sens du slogan que nous avons retenu pour cette campagne : "La fin du sida passera par moi, je lègue".
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